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Bardes et Sirènes (Imaginales 2014)
Sylvie Miller et Lionel Davoust (dir.)
Mnémos, Fantasy, nouvelles (France), anthologie Imaginales, 203 pages, mai 2014, 18€

Barde et sirène : les liens entre ces deux grandes figures du folklore sont nombreux. Tous deux ont un chant qui séduit, des intensions parfois pures (l’amour), parfois moins (la mort), ils fascinent mais demeurent souvent rejetés, incompris.
Les 11 auteurs de cette année explorent les deux figure avec beaucoup d’imagination.



C’est Carina Rozenfeld qui ouvre le bal avec “La Boîte à musique”. Si j’ai dit par le passé que le premier texte était souvent le plus facile d’accès, celui qui « se contentait » de reprendre les motifs du genre, l’auteure s’en tire plus que haut la main, rappelant au passage qu’écrire pour la jeunesse est loin d’être disqualifiant. Dans son histoire, un barde exhibe une boîte à musique, au chant fascinant. C’est en réalité une vraie sirène, qui a accepté de prendre cette forme pour suivre son aimé dans les terres. Le barde, parvenu au sommet de la notoriété en jouant devant le roi, comprend le sacrifice consenti et revient à la mer, libérer la sirène. Et la rejoindre. Émouvant et magnifiquement bien écrit.

Dans “Plaie étoilée”, Samantha Bailly pousse la fantasy un peu plus loin, avec des bardes affublés d’une cicatrice en étoile de mer, symbiote par lequel ils captent et amalgament les histoires glanées sur les route, avant de rentrer au bercail et, par une pratique alchimique, d’extraire la quintessence de l’étoile. Trop d’histoires emmagasinées pourrait rendre fou. Mais pour Hédos, ce retour à la maison des bardes a d’étranges résonances... Plus complexe, plein de non-dits, et très mélancolique.

Yann de Saint-Rat tente une approche radicalement différente dans “Tant que nous demeurons ensemble”. Il nous place du côté du peuple sirène, et nous les accompagnons lors d’une incursion terrestre pour un rapt de nourrissons. Car certains ont un pouvoir dans la voix, un pouvoir redouté... Histoire d’adoptions, d’amour maternel et filial, de tolérance, une excellente surprise.

Dans “La Tête de singe”, Estelle Faye explore les rapports de force des univers médiévaux, entre hommes et femmes, riches et pauvres, puissants et faibles. Sa barde est contrainte de rejoindre le château du seigneur des environs, où elle divertira sa sœur. Mais l’étrange couple effraie les villageois, et semble cacher d’affreux secrets. Il ne reste qu’à espérer que le vieux talisman qu’elle porte est réellement magique... Cru et violent, un texte qui en peu de pages décape la fantasy.

Frédéric Petitjean nous transporte à notre époque, avec un barde qui se rend dans un bar de l’Entremonde à New York, “Au Bar des Sirènes”. Tandis qu’une catastrophe naturelle couve dehors, pour punir les hommes, lui croise le regard d’une sirène muette, danseuse prisonnière de son bocal. Tous deux vont devoir s’extraire des décombres, sans qu’il ne se défasse d’un sentiment diffus de reconnaissance envers la sirène. Et si leur liens était plus ancien qu’il n’y paraît ? Très original et magnifiquement écrit.

J’aime toujours particulièrement les textes de Maïa Mazaurette, et son retour en fantasy avec “La Mise en pièces” est un régal. Dans un donjon assiégé, un jeune homme « occupe » la princesse des lieux, la retenant dans les affres de la luxure, pour laisser le temps à ses compagnons de prendre d’assaut la citadelle. Mais l’illusion de la séduction s’est dissipée, et il se sent désormais plus captif que geôlier. Et la dame en question est de plus en plus folle, au milieu de ses bêtes fabuleuses empaillées. Il tente encore et encore de la charmer par ses récits extraordinaires, mais son imagination, comme sa patience à elle, commence à se tarir... Un sombre régal, aux phrases ciselées.

Tant qu’il y aura des sirènes” de Régis Goddyn est le texte le plus obscur. Entre deux amis qui attendent, sur une île méditerranéenne, quelque chose, et un reportage, dans un lointain futur, sur l’extinction des sirènes, avec un intervenant qui peine à rester dans le cadre, on est dans une perspective totalement différente du reste de l’anthologie. Très (trop ?) dépaysant.

Dans “Le Chant des autres”, Mélanie Fazi met en scène des sirènes modernes, deux jeunes filles qui fuient dans les banlieues parisiennes, n’hésitent pas à se battre, utilisent le charme de leur chant pour trouver gîte et couvert. L’ainée est une guerrière urbaine, la cadette aimerait tant lui ressembler. Elle croiseront un Barde, un homme différent de tous ceux qu’elles ont connus, qui leur montreront le monde sous un jour nouveau. Un texte très fort, comme toujours avec Mélanie Fazi, et un des rares à s’achever sur une lueur d’espoir.

Le Chant du solstice” de Pierre Bordage nous emmène dans un village où on a pêché une sirène. Ce qui fait bien les affaires du barde-sorcier du village, qui doit sous peu se produire devant ses concitoyens et déclamer un chant magique qui apportera la prospérité pour un an encore. Mais il a perdu la foi, le talent. La sirène peut-elle l’aider ? Si oui, ce sera donnant-donnant. Ou pas. Comme à son habitude, Pierre Bordage brosse un tableau précis de la cruauté des hommes, rehaussé par cette rencontre avec la féérie. Sans grands effets, en toute simplicité, une nouvelle preuve de la bassesse de notre race. Impeccable.

Anne Fakhouri, avec “Ci-gît mon coeur”, entremêle entourloupe et amour vrai, dans un spectacle qui semblait bien rôdé et qui déraille totalement, en un tel est pris qui croyait prendre. La vengeance des habituelles victimes. Savoureux.

En clôture, l’autre texte très original est signé Thomas Geha. “Le guetteur de Nuages” est la rencontre et l’affrontement de deux mondes, vu par l’un des camps, avec un magicien chargé de détruire les nuages qui pourraient menacer le royaume. Mais ces entités aériennes sont autre chose que de simples agrégats de vapeur, et ce n’est que lorsqu’il aura user son talent en pure perte qu’il tentera une approche différente. L’ouverture plutôt que l’affrontement.

Excellent millésime que celui de 2014, puisqu’un an après sa lecture, la quasi intégralité des textes m’est restée en mémoire. Si on trouve notre lot de sirènes dangereusement séductrices, voire simplement dangereuses, les auteurs n’ont pas épargné non plus les hommes, dont la capacité à la séduction mal intentionnée est plus grande encore. La figure du barde, conteur et mémoire, menteur et garant, resplendit à chaque fois.


Titre : Bardes et Sirènes, anthologie des Imaginales 2014
Anthologistes : Sylvie Miller et Lionel Davoust
Auteurs :
- Pierre Bordage
- Mélanie Fazi
- Frédéric Petitjean
- Estelle Faye
- Régis Goddyn
- Carina Rozenfeld
- Samantha Bailly
- Mélanie Fazi
- Yann de Saint Rat
- Thomas Geha
Couverture : Krystal Camprubi
Éditeur : Mnémos
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 203
Format (en cm) : 15,5 x 23,5 x 2
Dépôt légal : mai 2014
ISBN : 9782354081782
Prix : 18 €



Nicolas Soffray
27 mai 2015


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