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Petit enfer dans la bibliothèque
Jasper Fforde
Fleuve, traduit de l’anglais (Grande-Bretagne), fantastique, 409 pages, novembre 2014, 20,90€

Thursday Next, septième. Après « L’Affaire Jane Eyre », « Délivrez-moi », « Sauvez Hamlet », « Le Puits des histoires perdues », « Le début de la fin » et « Le Mystère du hareng saur » – sorte d’intermède mettant en scène un avatar livresque de Thursday lancé à la recherche de la Thursday véritable – revoici l’infatigable aventurière des livres. Un peu vieillissante, certes, et ayant physiquement tendance à traîner la patte. Mais il en faut bien plus que cela pour arrêter un personnage légendaire comme Thursday Next.



Cette nouvelle aventure de Thursday Next commence sous le signe de la folie. Après dissolution des OpSpecs, puis réactivation de ceux-ci, Thursday doit passer par un entretien psychiatrique pour les réintégrer. Un entretien au cours duquel il faut savoir faire preuve de l’exacte quantité de folie nécessaire, tout en faisant en sorte qu’elle semble totalement naturelle. Elle triomphe haut la main de cette épreuve… mais se retrouve à un simple poste de responsable d’une bibliothèque financièrement exsangue.

Plus grave encore, l’agence Goliath apparaît cette fois décidée à en finir avec le monde : faire en sorte, par une alchimie constructiviste et probabiliste que renieraient bien des déterministes, que la menace de collision entre la terre et un astéroïde devienne telle que n’importe qui sera prêt à passer dans un autre monde, celui des livres. Un monde bien entendu sous le contrôle total de Goliath, un passage bien entendu payé au prix fort, et une existence dans des enveloppes corporelles dont Goliath pourrait à son gré renouveler, ou non, le bon fonctionnement.

Mais tout ceci pourrait bien n’être que broutilles, car un autre danger menace. Les amateurs de Jasper Fforde se souviennent d’Achéron Hadès. C’est cette fois Aornis, un membre de la même famille, qui s’acharne sur Thursday Next et ses proches à coups de virus mental. Aornis est en effet une mnémomorphe, capable de modifier instantanément la mémoire de ses victimes. Comment lutter contre quelqu’un qui est capable de bien plus que de vous faire prendre des vessies pour des lanternes, d’occuper votre propre maison sans que vous n’en ayez conscience, et de vous persuader que vous avez une fille qui n’a jamais existé ?

Pire encore – les ennuis n’arrivent jamais autrement qu’en cascade – le jeune Friday, fils de notre héroïne, est condamné à assassiner un innocent dans les jours à venir et à passer le restant de sa vie en prison. Comment faire pour éviter ce qui est déjà écrit ? D’autant plus qu’il y a d’autres problèmes dont il faudrait s’occuper : la preuve ayant été faite de l’existence du Dieu unique, et les manifestations de Son courroux menaçant, les municipalités sont obligées d’investir dans des boucliers anti châtiments divins, fort coûteux et passablement inefficaces. Se retrouver rôtis par des éclairs tombés du ciel, pas question. Et Tuesday, la sœur surdouée de Friday – elle a inventé un appareil permettant de rester conscient durant son sommeil pour mieux en profiter et semble être la seule à pouvoir calculer la Constante de Démêlage – n’arrive pas vraiment à mettre au point ces fichus boucliers.

Comment résumer l’inrésumable ? On retrouve dans ce roman, entre autres, des sororités célèbres comme l’Ordre des Bienheureuses du Homard (également présentes dans une autre série de Jasper Fforde, les aventures de Jennifer Strange) mais aussi la Congrégation de la Défenestration Perpétuelle, des Réserves de Métaphore Brute, la Matière Noire de la Lecture, un gouvernement affairé à multiplier les projets pour alléger l’Excédent de Bêtise, des enveloppes corporelles surpuissantes mais également transitoires (y rester expose à s’y noyer dans ses propres déchets), un colonel d’aviation semi-fictif, donc pas tout à fait humain, échappé d’une fiction, des personnages qui ne continueront à exister qu’à la seule condition que les livres les mettant en scène ne soient pas détruits jusqu’au dernier, et un très étrange Saint Zlvkx dont les ouvrages libertins, de très faible valeur, sont convoités, Dieu sait pourquoi, par des gens particulièrement puissants.

La volonté manifeste de Fforde de rester dans un rythme trépidant, de partir sans cesse dans de nouvelles directions et de surprendre en permanence le lecteur finit par étouffer quelque peu la trame narrative ou même par donner par moments l’impression que le roman ne sait pas tout à fait où il va. Mais malgré les jeux temporels, les glissements récurrents de mémoire et les réalités fallacieuses, l’auteur finit toujours par retomber sur ses pieds, et emmène à chaque fois le lecteur consentant pour un nouveau tour de manège.

Burlesque, inventif, unique, sans commune mesure avec ces auteurs nourris aux ateliers d’écriture et produisant des volumes passés à la photocopieuse mentale, Jasper Fforde continue à amuser, à surprendre, à emmener le lecteur bien loin des sentiers battus. Les amateurs d’humour décalé, de réparties « so british » et de léger nonsense trouveront, dans ce « Petit enfer de la bibliothèque », une bonne dose de leur opium littéraire – une substance fort heureusement encore licite et dépourvue de tout effet indésirable.


Titre : Petit enfer dans la bibliothèque (The Woman Who Died a Lot, 2012)
Série : Thursday Next (Thursday Next ), tome VII
Auteur : Jasper Fforde
Traduction l’anglais (Grande-Bretagne) : Jean-François Merle
Couverture : Jaya Micelli / Thomas Allen
Éditeur : Fleuve
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 409
Format (en cm) : 14 x 22,5
Dépôt légal : novembre 2014
ISBN : 9782265090972
Prix : 20,90 €



Jasper Fforde sur la Yozone :
- « Le Mystère du hareng saur »
- « Jennifer Strange, dresseuse de quarkons »
- « Sauvez Hamlet »


Hilaire Alrune
19 décembre 2014


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