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Perséides (Les)
Robert Charles Wilson
Le Bélial’, recueil de 9 nouvelles, traduit de l’anglais (Canada), science-fiction, 314 pages, septembre 2014, 22€

La librairie d’occasion Finders, la ville de Toronto, quelques personnages apparaissant plusieurs fois, autant de repères dans ce recueil qui sans être un fix-up est d’une belle unité. Six inédits pour 3 rééditions (deux publiées à l’origine dans les anthologies « Utopiales » d’Actu SF et une dans « Bifrost 45 »), un très bon ratio pour nous permettre de découvrir plus avant ce formidable écrivain, plus connu pour ses romans que pour ses nouvelles. Rien d’étonnant, car il a presque autant écrit des deux et il nous a livré des pépites du genre telles que « Spin », « Les Chronolithes », « Darwinia »... Et le même mois que la présente publication sont parus son nouveau roman « Les derniers jours du paradis » chez Denoël Lunes d’Encre et la réédition en poche de « Julian » chez Folio SF.
Autant dire que Robert Charles Wilson est une valeur sûre de l’imaginaire.



« Les Perséides » s’avère un recueil dérangeant par les idées soulevées et l’atmosphère particulière évoquée à chaque fois. Les nouvelles ne sont pas sans dégager une certaine oppression, une impression d’étouffer sous le poids des événements ou des révélations. Si les personnages ne sortent pas intacts de leurs expériences, qu’ils en sont transformés, que dire des lecteurs qui ressentent aussi le poids des sujets.
Rarement une œuvre ne m’aura fait un tel effet, la plupart des textes me laissant après lecture absorbé dans mes pensées, demandant une période d’adaptation avant de passer à autre chose.
Dans mon échelle de valeurs toute personnelles, “L’observatrice” a atteint le sommet à côtés de très peu d’élues. Nouvelle à part, car ne se passant pas à Toronto, sans aucun rapport avec la librairie, mais mettant en scène une jeune fille quittant quelques mois le cercle familial pour vivre chez son oncle travaillant au tout récent observatoire du mont Palomar en Californie. Son entourage espère ainsi lui faire passer ses terreurs nocturnes. Chez son oncle, elle rencontrera des célébrités locales tels Aldous Huxley, Edwin Hubble. Ce dernier est malade et n’est pas supposé aimer les enfants.
L’ensemble est très touchant, le sujet des enlèvements par des aliens est ici superbement traité. Une claque magistrale !

L’auteur se plaît dans ce recueil à lever le voile de la réalité, à chercher ce qui se cache dessous et n’est révélé qu’à des initiés comme Jeremy arpentant sans relâche Toronto de nuit, jusqu’à en découvrir de nouvelles facettes (“La ville dans la ville”). “Le Miroir de Platon” n’est pas juste une invention d’un écrivaillon mais une fenêtre sur l’essence des gens, des choses...
Miroir acheté dans la fameuses librairie d’occasion Finders dont le patron Ziegler n’apparaît que rarement aux clients. Dès “Les champs d’Abraham” se déroulant début 20e siècle, le mystère plane autour de ce personnage. Qu’est-il vraiment ? Difficile à dire, tant il semble lié à la librairie, dont une employée Deirdre revient aussi épisodiquement dans ce recueil. Elle est d’ailleurs l’actrice principale de “Bébé perle” où il lui arrive un heureux ou plutôt un drôle d’événement. Comme d’habitude, ce qui en découle défie l’imagination. Ultime volet de « Les Perséides », il referme en quelque sorte la boucle.

Quand Ziegler descend de son antre, ce n’est pas innocent mais pour révéler à une personne dans quel monde elle vit vraiment et la mettre face à sa multitude (“Divisé par l’infini”). Texte très fort sur les univers parallèles et la place de l’homme dans cette cascade de potentialités découlant de chaque action.
Dans “Protocoles d’usage”, un nouveau médicament semble soigner les troubles les plus graves du comportement. Dîtes-moi ce que vous prenez comme médocs, je vous dirai qui vous êtes. Mais ces prises de cachets sont-elles si innocentes, ne s’accompagnent-elles pas de phénomènes inexplicables, n’apportent-elles pas une autre connaissance ou des pouvoirs ? Mickey est paranoïaque, regarde cette médication d’un œil critique. A-t-il raison de se méfier ? L’issue a de quoi donner froid dans le dos !
Prise séparément, “Les Perséides”, la nouvelle donnant le titre du recueil, ne m’avait pas fait grand effet (« Utopiales 2009 »). Par contre, placée dans ce contexte, elle trouve une autre dimension, rajoute sa touche d’étrangeté avec ce groupe essayant de communiquer avec ce qui pourrait vivre dans le vaste espace, au milieu de la multitude d’étoiles. Michael y perd son latin, il est bien forcé de croire une fois qu’il a vu.
Ulysse voit la lune par la fenêtre de sa chambre” est un ton en-dessous, elle ne dégage pas la même aura que les autres écrits. Le sujet est plus évasif, la distance beaucoup plus courte. Voir dans une vulgaire pierre un moyen de prédire l’avenir, car créée par une conscience supérieure que l’on ne peut appréhender passe beaucoup moins bien. Pierre bien sûr achetée chez Finders...

Neuf nouvelles sur lesquelles planent les ombres de Finders, vieille librairie d’occasion, Toronto, une ville à l’allure tentaculaire aussi bien dans l’espace que dans le temps et qui se mérite pour l’appréhender, et des personnages récurrents comme Ziegler, le mystérieux patron de Finders, ainsi que Deirdre qui assiste à de drôles d’événements et voit leurs effets dévastateurs sur son entourage.
Lire « Les Perséides » revient à abandonner toute rationalité, à s’ouvrir sur l’étrange, sur ce qui est caché et qui ferait sûrement mieux de le rester, car la connaissance s’avère ici vénéneuse, elle transforme en profondeur. L’initiation des personnages est souvent douloureuse et s’accompagne de sacrifices qu’ils ne sont pas forcément prêts à faire.
Une grande force se dégage de ce recueil à l’imaginaire diabolique, les nouvelles se complètent, se répondent. Robert Charles Wilson sait nous toucher, trouver des sujets pour mieux nous interpeller. La construction est imparable, elle fait mouche et « Les Perséides » marque en profondeur ses lecteurs.

Dans une postface, l’auteur nous livre les inspirations de chaque nouvelle, si elle a déjà été publiée auparavant ou écrite spécialement. Et on pourra chercher dans la bibliographie d’Alain Sprauel les récits de Robert Charles Wilson que nous aurions pu manquer, ce qui est normal après la claque qu’il vient de nous infliger.

À ne pas manquer !


Titre : Les Perséides (The Perseids and Other Stories, 2000)
Auteur : Robert Charles Wilson
Traduction de l’anglais (Canada) : Gilles Goulet
Couverture : Manchu
Éditeur : Le Bélial’
Directeur de collection : Olivier Girard
Site Internet : Roman (site éditeur)
Pages : 314
Format (en cm) : 13,9 x 20,5
Dépôt légal : septembre 2014
ISBN : 978-2-84344-127-1
Prix : 22 €



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François Schnebelen
19 octobre 2014


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