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House of Cards
Michael Dobbs
Bragelonne, Thriller, roman traduit de l’anglais (Grande-Bretagne), thriller politique, 406 pages, août 2014, 20€

Francis Urquhart, la soixantaine, est un député anglais bien décidé à sortir de l’ombre. Depuis des années, il est le Whip Chief, le chef du groupe parlementaire du Parti. Il recadre « gentiment » si collègues si besoin, et assure la cohésion du groupe. Parce qu’il connaît tous leurs secrets, parce qu’il a un dossier sur chacun, et qu’à la moindre incartade ou velléité de désobéissance, il peut détruire la carrière du plus prometteur politicien.
Après la virulente et sans pitié Margaret Thatcher, le Parti a préféré une personnalité plus effacée, plus consensuelle, plus fade, Henry Collingrige. Cinq ans plus tard, la nouvelle élection est un carnage, le Parti perdant les trois quarts des cent sièges de sa majorité. Urquhart, qui a l’oreille du Premier Ministre, pense sortir de l’ombre à la faveur d’un grand remaniement post-électoral. Il n’en est rien : Collingringe préfère jouer la carte de la continuité, et lui refuse un fauteuil de ministre. Déçu et amer, Urquhart décide alors l’impensable : abattre le chef de son propre parti et, pourquoi pas, prendre sa place.



Je fais sans doute partie d’une encore grande majorité à ne pas avoir visionné (encore) la série avec Kevin Spacey qui a secoué les écrans tant pour sa qualité que la façon dont son diffuseur, Netflix, l’a proposé (soit tous les épisodes en même temps et pas au compte-gouttes). Mais si l’envie me titillait déjà, la lecture du roman de Michael Dobbs a achevé de me convaincre.

Bragelonne profite donc du succès télévisé pour traduire, enfin, ce best-seller anglais de 1989. L’auteur, entre-temps anobli, a été journaliste politique puis conseiller auprès de Thatcher, et son histoire fait montre, dans ses détails, d’un vécu indéniable, tant sur les coulisses du pouvoir anglais que dans la jungle de la presse politique londonienne.

L’histoire se partage entre deux personnages majeurs. Francis Urquhart, le vieux politicien de l’ombre, et Mattie Storin, une jeune journaliste politique qui va peu à peu déceler derrière les multiples scandales qui secouent le Parti la main d’un comploteur, et mener son enquête.

Si Urquhart n’est pas ministre, il est dans les plus hautes sphères du Parti, une ombre loin des caméras. Mais il a l’œil sur tout. Ainsi organise-t-il, avec le responsable de la communication, un type aux narines bourrées de coke, des fuites providentielles pour la presse. Chaque révélation secoue un peu plus le gouvernement. Lorsqu’il parvient, grâce à un petit coup de pouce du destin, à mouiller personnellement le Premier Ministre en impliquant son frère alcoolique dans un délit d’initié, c’est la cerise sur le gâteau. Mais c’est, il l’ignore encore, la faille par laquelle Mattie Storin, qui aime fouiller en profondeur, commence à gratter. Parce que s’il est évident qu’une taupe dans le gouvernement organise ces fuites, elle est une des rares à se demander pourquoi. Les autres sont des requins et c’est l’heure de la curée. Le tableau de la presse anglaise brossé ici n’est guère reluisant, et le patron de presse omnipotent de Mattie, capable de faire et défaire la réputation d’un homme ou d’un parti, est effarante. Mais tellement réaliste.

De coups bas en menaces de révélation d’erreurs de jeunesse, Urquhart parvient à faire démissionner le Premier Ministre et, dans les élections internes qui s’ensuivent, à mettre à terre ses adversaires tandis que lui se fait l’incarnation de la probité, s’arrangeant même pour que ce soit les autres qui l’appellent au pouvoir, en sauveur. Vous vous doutez bien de comment ça va finir. Mais le finale ciselé par Michael Dobbs est un bijou de cynisme de plus, terminant en apothéose ce roman édifiant de réalisme.

On appréciera d’autant plus la lecture de « House of cards » qu’il s’agit d’un roman de la fin des années 1980 écrit à la fin des années 1980. Pas de gadgets technologiques à tout va, smartphones, micro-espions, hackers, etc. (même si Urquhart ne dédaigne pas les systèmes d’enregistrement), où tout va trop vite. Au contraire, Urquhart apparaît comme un artisan du chantage, glanant des informations qui resserviront dix, vingt ans plus tard. Son sens du timing ne se joue pas en micro-seconde, mais sur le calendrier parlementaire et les dates de bouclage des journaux papier ou TV. Le téléphone fixe est une arme formidable, car elle dit à votre interlocuteur que vous savez où il est. Surtout quand il est chez une maîtresse ou tout autre lieu peu conforme avec sa députation...

Si on pourra éventuellement regretter un petit côté trop facile dans cette formidable descente du parti puis dans l’ascension de Francis Urquhart, que rien, pas même un soupçon, ne vient entraver, cela n’enlève rien au plaisir de la lecture, au contraire : les quelques preuves que Mattie met au jour montrent que si la mécanique est parfaitement huilée, elle aurait pu s’effondrer. Mais l’Homme est l’Homme, ambitieux, égoïste, et cela Urquhart le sait parfaitement : plus que ses dossiers sur tous, c’est l’individualisme forcené et la jalousie envers leurs collègues qui font tomber, comme des dominos, ses adversaires les uns après les autres.

C’est noir, cynique, et presque drôle si on en oubliait combien c’est vrai. Il n’y a qu’à suivre les rebondissements à l’UMP actuellement, il y aurait de quoi en écrire un tome ou deux. Trente-cinq ans plus tard, rien n’a changé. Rien ne changera jamais. Sur le fond, « House of Cards » est intemporel, et c’est ce qui explique le succès actuel de la série et de façon plus générale du thriller politique. Cela pourrait se passer à Athènes ou dans l’espace, les moyens et les résultats seraient identiques. Et sous une plume acérée, toujours aussi truculent à lire.


Titre : House of Cards (House of Cards, 1989)
Auteur : Michael Dobbs
Traduction de l’anglais (USA) : Frédéric Le Berre
Couverture : Shuttershock / Fabrice Bario
Éditeur : Bragelonne
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 406
Format (en cm) : 24 x 15 x 3,3
Dépôt légal : aout 2014
ISBN : 9782352947950
Prix : 20 €



Nicolas Soffray
29 août 2014


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