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Carabosse, la Légende des Cinq Royaumes
Michel Honaker
Flammarion, roman (France), conte de fées, 371 pages, avril 2014, 14€

Le jeune roi Florestan veut chasser une bonne fois pour toutes les Dongles, des barbares des Monts Moroses, qui viennent régulièrement piller les villages à la frontière. Commettant l’erreur de les poursuivre dans la forêt, malgré l’avis de son fou le nain Trublion et de ses généraux, il est contraint de trouver refuge dans le manoir du très étrange comte Vitupéri. Là, il rencontre ses deux filles. La première, Cara, est une belle femme, instruite du pouvoir des plantes et des éléments, un peu sorcière, mais pas assez pour faire disparaître la bosse qui déforme son dos. Mais si la danse envoûtante qu’elle exécute charme le prince, son sort est brisé par l’arrivée de sa blonde, pure et naïve sœur Léonore, qui dès le premier regard ravit le cœur du roi.
Par jalousie, Cara s’abandonne au Vent Mauvais, se défait de son humanité pour devenir une fée noire.



Ai-je besoin de vous conter la suite ? Florestan ramène Léonore à son château de Bois-Dormant et en fait sa reine. La même nuit, il fait un rêve étrange, visité par la sombre Cara. A la naissance de leur fille Aurore, les parents convient les fées des cinq royaumes, comme leur veut la coutume que leur rappelle Trublion. Cara s’invite au baptême et maudit l’enfant : à ses 18 ans, elle se piquera sur un fuseau et mourra. Heureusement, la fée Lilas (un peu effrayante, entre la rôdeuse et la dryade), protectrice de Bois-Dormant, dévoie la malédiction : Aurore sombrera seulement dans un profond sommeil, et le baiser d’un prince la réveillera. Dix-huit ans plus tard, malgré la destruction de tous les métiers à filer du royaume, Aurore tombe dans une embuscade de sa tante, se pique, et tout Bois-Dormant sombre dans le sommeil. Pour protéger le royaume de celle qui se fait désormais appeler Carabosse, et de son âme damnée de fils Clèves le tueur de fées, des ronces monstrueuses enserrent le château, attendant le prince.

Le temps passe. Lilas a emmené Trublion dans son domaine féérique, où le temps passe plus lentement. Lorsqu’ils en sortent, un siècle a passé, les princes ont tous disparu, et Aurore dort toujours ! Clèves a tué les cinq fées, ne reste que la farouche Lilas. L’avenir du royaume repose sur Trublion, qui croit fermement qu’un prince peut briser le sortilège.

Je ne ferai pas ici l’éloge de Michel Honaker : la place manquerait tant il est un pilier de la littérature fantastique jeunesse. Citons pour mémoire ses séries récentes « Terre Noire » ou « Agence Pinkerton ».
En reprenant le conte de la Belle au Bois Dormant, il fait merveille une fois de plus.

D’abord, il y a la langue :
C’était en cette forêt d’Ascagne où les arbres millénaires murmuraient encore les contes d’autrefois, où les esprits bénéfiques folâtraient parmi les fougères. Les korrigans y bayaient aux étoiles, et les créatures aux mille secrets pouvaient paraître et scintiller dans le clair-obscur.
C’était en ce lieu autrefois béni par le savoir des elfes et des personnes oubliées que se rendait la cavalière à long manteau, dont le capuchon abaissé dissimulait le visage au pâle éclat.

Dès les premières lignes, fond et forme entremêlent à merveille. Honaker fait montre d’un vocabulaire soutenu et d’une langue à la mesure de l’héritage de Perrault. Qu’il est plaisant de lire des subordonnées avec des subjonctifs passés !

Sur la forme, qui ne connaîtrait pas le conte originel lira là un époustouflant récit de fantasy. Michel Honaker, sans s’écarter de l’histoire universellement connue, balaie dès la premières scènes les archétypes de Walt Disney pour nous plonger en pleine dark fantasy : entre Lilas, la fée sauvage, Cara la fille des bois et la bataille contre les Dongles, on est à cent lieues des couleurs chatoyantes des dessins animés de notre enfance. La violence, physique comme psychologique, est très marquée. Si la première époque (de la rencontre du roi avec les deux sœurs jusqu’à la piqûre d’Aurore) est dominée par la lumière, cela ne fait que plus ressortir la noirceur qui envahit peu à peu Cara.

Car c’est la grande force de la prose de Michel Honaker : jusqu’à ce que la jeune femme passe définitivement du côté sombre, s’abandonnant au Vent Mauvais, elle est presque aimable : intelligente, belle malgré sa bosse, il n’y a que cette difformité, qu’on lui jette perpétuellement à la figure, pour la mettre en colère et la pousser à quelque acte de méchanceté (comme changer les enfants en grenouilles à proximité de brochets). J’en suis même venu à maudire Florestan de lui préférer bêtement sa blonde cadette.

Bon, après, la jalousie et cet énième défaite du fait de son physique imparfait, elle devient froidement cruelle, et prend par la force ce qu’on ne lui a jamais donné : l’amour de son prince, un fils, le pouvoir. Seule Lilas a la force de s’opposer à elle, faisant échouer plusieurs tentatives de meurtres sur la famille royale.

La seconde époque est un temps de ténèbres : Carabosse a dilapidé son pouvoir sans compter, ruinant sa beauté de jeune fille, et a renversé les vieux royaumes. Elle règne d’une main de fer, son pouvoir relayé sur place par son fils Clèves, dont l’arc peut tuer les fées, et sa meute de garous, anciens humains transformés par les pouvoirs de la mauvaise fée. Seule lueur d’espoir, la quête perdue d’avance de Lilas et Trublion, reliquats du passé, à la recherche d’un prince droit et honnête, capable de tomber amoureux d’une princesse endormie derrière des barrières de ronces. Le temps a passé, la peur règne, le progrès est, dans une certaine mesure, venu : Bois-Dormant est tombé dans le flou de la légende. Qui y croit encore ? Qui peut sauver les royaumes de l’emprise de Carabosse ?

Forcément, serais-je tenté de dire, cela finit bien, car on ne peut pas changer un conte. Mais il y a bien et bien. Tout ne refleurit pas par magie, rien n’efface des années de plomb. Michel Honaker s’arrête au même point que Perrault, ne cherchant pas à nous mener sur des chemins inconnus, ceux du « Et ensuite... », où la réalité rattrape le conte de fées. Il nous livre simplement un petit bijou, sombre et attirant.


Titre : Carabosse, la légende des cinq royaumes
Auteur : Michel Honaker
Couverture : François Roca
Éditeur : Flammarion
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 371
Format (en cm) : 14 x 21 x 2,6
Dépôt légal : avril 2014
ISBN : 9782081307988
Prix : 14 €


On regrettera une quinzaine de coquilles, souvent insignifiantes.

- Toutes les critiques des romans de Michel Honaker sur la Yozone


Nicolas Soffray
18 juin 2014


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