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Compagnons du Chaos (Les)
Luke Scull
Fleuve, roman (Grande-Bretagne), dark fantasy épique, 523 pages, avril 2014, 21,90€

Les royaumes côtiers de la Trine sont dirigés par les Seigneurs Mages. Ils ont vaincu les dieux. Ils nourrissent leur magie de leurs cadavres. Autrefois alliés, voilà qu’ils se font désormais la guerre. D’une vague gigantesque qui le laisse épuisé, Salazar le Tyran de Dorminia a englouti PortOmbre, la cité de Marius. La Dame Blanche, maîtresse de Thelassa, compte bien profiter de sa faiblesse pour libérer la ville de son emprise.
Sauf que bien sûr, rien ne se passera comme prévu. Car tout complot repose sur des hommes, et chacun a ses faiblesses et ses propres objectifs, qui mettront à bas tout plan minutieusement conçu.



« Les Compagnons du Chaos » est un ramassis de personnages atypiques. Luke Scull déclare avoir voulu casser les archétypes, c’est en grande partie réussi. De vieux guerriers à la Gemmell, un pseudo-héros qui prend des poses, jeune adulte un peu pathétique encore accroché à ses rêves (et qui tombera de haut), un mage faiblichon, infirme, bourré de contradictions et finalement bassement humain. J’oublie presque la sorcière du nord qui se voit déjà reine, et écrasant sa tutrice qui la rabaisse sans arrêt. Luke Scull prend la pire bande de caractères, de sociopathes (un terme d’ailleurs employé dans la traduction, qui m’a un peu gêné), incapables ou presque de vivre quelques jours ensemble, unis par l’adversité et la tournure des événements.

À cette galerie s’ajoute une trame de complots multiples. Les Seigneurs Mages sont de dangereux rivaux. Finie l’union qui leur a permis de vaincre les Dieux. Ne reste que la soif de pouvoir, d’accumuler cette magie de plus en plus rare, à tout prix. Les cadavres divins, désacralisés, sont des filons à exploiter jusqu’à épuisement de la ressource. Puis viendra le conflit, pour le moment diplomatique, pour les autres gisements.

C’est dans ce contexte tendu que les rebelles de Dorminia veulent agir, tout comme la dame Blanche. Deux hommes seront au centre de leurs projet : Davarius Cole, un jeune coq qui a hérité d’un artefact capable de tuer un mage comme Salazar, et Emerul, le seul autre mage de la cité, épargné par le Tyran mais amputé des deux jambes. Le premier va, de coup de chance en faux pas, parvenir à son but, tandis que le second obtiendra le pouvoir si longtemps convoité mais n’en fera pas bon usage. Si Davarius est l’élément comique du récit, véritable caricature du jeune homme épris des ors des légendes passées et qui peine à se dessiller malgré la tournure peu héroïque des événements, Eremul représente la part sombre de l’homme : pétri de colère et de vengeance, il est la traîtrise incarnée au point qu’il préférera jouer le jeu à sa façon plutôt que devenir un héros.

N’oublions pas les personnages du nord. Si Yllandris, la sorcière, nous permet de suivre les mouvements et les luttes internes des Clans, ainsi que l’arrivée d’une menace sombre, c’est bien évidemment les deux vieux Highlanders qui accompagnent les rebelles dorminiens qui seront captivants. Brodar Kayne, ex-Épée du Nord, est un héros gemmellien par excellence : vieux, fatigué, brisé par les épreuves, mais encore mortel une épée à la main.

Luke Scull, s’il suit une trame classique de complots visant à provoquer une guerre, pour clore son premier volume sur une bataille dantesque, est là encore loin des sentiers battus : d’abord parce que beaucoup de complots échouent, que certaines choses se déclenchent au mauvais moment (voire le pire) du fait de circonstances malheureuses (mais logiques). Ensuite parce qu’aucun de ses personnages n’est vraiment ce qu’il semble être : les « mauvais » ont de bonnes raisons d’être loyaux au Tyran, Les « gentils » ont de noires intentions cachées, qui font mal lorsqu’ils jouent enfin cartes sur table. On finit par s’attacher aux premiers (y compris Salazar lorsqu’on apprend les origines du Massacre) tandis que les seconds nous auront dégoûtés peu à peu, à chaque révélation sur l’un ou l’autre.

Certes, il y a quelques facilités parfois, des passages obligés de la fantasy, mais l’auteur s’en sort plutôt bien. Si par exemple on se doute rapidement de l’identité de la sœur cadette de Bonnedame (la cruelle chef de la Garde Pourpre) qui a été violée et laissée pour morte, Scull ne fait pas tout un plat de leurs retrouvailles, bien au contraire.

La bataille finale laisse pas mal de monde sur le carreau, comme si l’auteur voulait faire place nette à Dorminia avant d’entamer son second volume, paru en mai 2014 en langue anglaise et intitulée « l’Épée du Nord », centré comme on le devine sur le retour de Kayne dans les Crocs et tout le bazar à venir que cela sous-entend.

Pour finir, on n’est guère surpris de voir ces « Compagnons du Chaos » nommé au Morningstar Award 2014, il le vaut bien.
Espérons ensuite que Fleuve traduise rapidement la suite !

Un dernier mot sur l’absence de carte : si on en trouve une, non officielle, ici, elle est loin de me sembler correspondre aux indications géographiques données dans le roman. Cette absence de repères nous plonge cependant au plus près des personnages, qui pour la plupart n’ont jamais quitté Dorminia et pour qui des contres comme les Crocs relèvent presque de la légende.


Titre : Les Compagnons du Chaos, livre un (The Grim Company, 2013)
Série : tome 1/3
Auteur : Luke Scull
Traduction de l’anglais (Grande-Bretagne) : Emmanuel Chastellière
Couverture : Larry Rostant
Éditeur : Fleuve
Collection : Fantasy/SF
Site Internet : page roman (site éditeur) (retrouvez une interview de l’auteur sur cette page)
Pages : 523
Format (en cm) : 22,5 x 14 x 3,8
Dépôt légal : avril 2014
ISBN : 9782265098190
Prix : 21,90 €


Une quinzaine de coquilles relevées, ce qui est certes très peu, mais elles sont assez surprenantes par leur énormité : lettres ou mots manquants (sur un nom propre p.374, « couper à vos questions » p.291 pour « couper court »), accords de proximité, erreurs de genre, homophones (cœur et chœur, p.296), traduction approximative (« prendre le meilleur sur l’homme » pour « prendre le dessus » p.322)...


Nicolas Soffray
1er juillet 2014


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