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Chesstomb
John Ethan Py
Éditions de l’Homme Sans nom, roman (France), fantastique lovecraftien, 389 pages, juin 2014, 19,90€

Herbert West, réanimateur, a réellement existé. Lovecraft l’a lui-même fréquenté dans les années vingt et s’est inspiré des épouvantes vécues en commun pour écrire le fameux « Herbert West, réanimateur ». Mais il semblerait également que la réalité dépasse la fiction. Car, même si West et Lovecraft sont depuis longtemps défunts, le sérum mis au point par le médecin expérimentateur n’a pas entièrement disparu, et des horreurs anciennes pourraient bien resurgir.



“Dans d’autres cas, transformés en êtres de papier et d’encre rematérialisés dans cette étoffe proche de celle de nos rêves ou de nos cauchemars, certaines personnes réelles ou leurs actes deviennent au contraire plus supportables.”

Floraison de narrateurs pour ce récit dont la trame est composée d’extraits de lettres, de journaux, de mémoires d’individus appartenant à l’époque contemporaine ou à la première moitié du vingtième siècle. Par exemple, Halsey, héritier de la vieille demeure qui est l’épicentre du roman, Shelby Williams, journaliste, ou encore Douglas Bradley, étudiant. Mais l’on trouve aussi parmi ces narrateurs un certain Charles Foster Wade, ami intime de Lovecraft, qui servira de modèle à ce dernier pour le personnage de Charles Dexter Ward. On le voit, les personnages lovecraftiens vacillent entre fiction et réel. Lord Dunsany lui-même intervient dans une très jolie scène. Mais John Ethan Py n’hésite pas à recourir à des personnages de la culture classique : ainsi est-il abondamment question, dans « Chesstomb », de Leibnitz et Descartes.

“Empêcher les gens de mourir, non, ça, la médecine ne le peut pas encore, annonça West d’une voix grave, puis il ajouta de façon péremptoire : Mais les faire revivre… !”

Charles Dexter Ward, certes, mais n’oublions pas pour autant Hubbard Martin Westenberg, jeune médecin aux dents longues, qui n’hésite pas à clamer qu’il est possible de faire revenir les morts à la vie, et, pire encore, y parvient. Hubbard Martin Westenberg, qui servira de modèle à Herbert West, et autour duquel s’articulent les mouvements complémentaires de ce roman : un mouvement chronologique, qui, à l’époque, décrit la survenue des faits, et un mouvement à rebours, qui, à partir de l’enquête contemporaine du journaliste Shelby Williams, vise à éclaircir les faits mystérieux et affreux survenus à Chesstomb, petite ville sise à dix kilomètres de Providence, quelques années avant qu’il ne se penche dessus.

“Nous étions loin de la description rudimentaire qu’en fit plus tard Lovecraft dans sa nouvelle. L’écrivain passa en effet sous silence tous les détails techniques.”

On en apprendra donc beaucoup, à travers « Chesstomb », sur les faits réels qui inspirèrent Howard Philips Lovecraft, et l’on en apprendra beaucoup également sur les horreurs qui secouèrent la petite ville de Chesstomb il y a quelques années. Nous n’en dirons pas plus pour laisser quelques surprises aux lecteurs qui s’aventureraient dans ce roman.

Quelques défauts objectifs

Si ce roman choral, indiscutablement, fonctionne, il est en toute honnêteté impossible de passer sous silence quelques défauts évidents. Ainsi l’on reste à la fois perplexe et dubitatif devant l’irruption artificielle, répétitive et mécanique, sous forme du « journal réintégré James Foster Wade », d’un érotisme bas de gamme, avec parfois des variantes trash, qui non seulement n’apporte rien au récit mais en sus le dessert en lui donnant des allures grand public au sens péjoratif du terme, façon Gérard de Villiers. On s’étonne à plusieurs reprises de variations subites dans la qualité de l’écriture, qui font de « Chesstomb » un roman stylistiquement hétérogène. Ainsi, par exemple, la description de la vieille bâtisse, qui sur le plan du topos et de l’intrigue représente le pivot fondamental du récit, est-elle incompréhensiblement expédiée à coups de clichés (“une vaste bibliothèque emplie d’innombrables volumes”, un laboratoire décrit de manière superficielle avec une poignée d’accessoires.) Une négligence et un désintérêt incompréhensibles de la part de l’auteur pour des passages importants, défauts qui culminent dans les scènes d’action avec des répétitions flagrantes et des phrases lourdes et grammaticalement incorrectes (“Les cris redoublèrent en apercevant la lumière qui filtrait qui filtrait par le trou que j’avais percé”) ainsi que dans les passages horrifiques à tendance gore, parfois à peine lisibles (une phrase comme “Le morceau de chair tomba dans le baquet, ce qui produisit un « plouf » peu ragoûtant” peut-elle avoir été écrite par un lettré des années vingt ?) Des baisses de qualité qui nuisent grandement à l’homogénéité globale de l’ouvrage.

Des qualités évidentes.

On regrette d’autant plus ces défauts que ce récit ne manque pas par ailleurs de qualités. L’auteur est capable de créer facilement des ambiances (la description brève de la boutique, la montée de la tension chez les militaires avant l’assaut des morts) et sa maîtrise des dialogues et des interactions entre protagonistes est évidente. Son utilisation de sources multiples (journaux, lettres, enregistrements audios, vidéos), outre qu’elle évoque certains classiques fondateurs, est faite avec suffisamment d’astuce pour mettre en scène une profusion de points de vue et de personnages, depuis le début du vingtième siècle jusqu’à nos jours, sans jamais briser la continuité du récit ni donner l’impression de tourner à la démonstration, à l’artifice, au système. Autre qualité, et non des moindres : John Ethan Py, à l’inverse de bien des amateurs s’aventurant en terres lovecraftiennes, ne se contente pas de faire un pastiche grossier, et ne cède pas au piège de la référence sans finesse, à tout va, comme on le voit bien trop souvent. De même, s’il met en scène le personnage de Lovecraft lui-même, c’est à la fois avec tact et retenue, comme le montre la mise en scène discrète, loin de toute caricature, de sa répugnance pour les races non caucasiennes. De surcroît, en utilisant Lovecraft comme l’un des protagonistes de son roman, mais en se gardant d’en faire le personnage principal, l’auteur évite de s’enferrer dans la redite. Plutôt que d’écrire une énième déclinaison des thèmes lovecraftiens, Ethan Py trace une ligne entre la naissance de ces thématiques sous la plume du maître de Providence et les déclinaisons contemporaines, qu’elles soient littéraires ou cinématographiques, d’un fantastique qui constitue en grande partie son héritage et sur lequel son empreinte est omniprésente. Une manière élégante de rappeler la filiation entre notre imaginaire et les créations lovecraftiennes, et au final un assez bel hommage à Lovecraft. Hommage jusqu’aux dernières pages, astucieuses et même brillantes, où, en réinventant d’une manière inédite la fin lovecraftienne classique, l’auteur habille l’ambigüité propre au genre d’une vêture inattendue que même les lecteurs chevronnés n’auront pas vue venir.

Notons, pour finir, la réalisation soignée de l’ouvrage par les éditions de l’Homme sans Nom. Outre la belle illustration de couverture d’Alexandre Dainche (intégration réussie du très classique manoir sous l’orage, du crâne comme un rituel propre au genre, et de la seringue au contenu verdâtre évoquant l’affiche du « Ré-Animator » de Stuart Gordon), on notera qu’hormis une référence à une nouvelle mentionnée sous le titre de « La musique d’Erich Zane » dont l’orthographe fera frémir les puristes, le volume ne contient presque aucune coquille, ce qui devient suffisamment rare, même chez les grands éditeurs, pour mériter d’être signalé.


Titre : Chesstomb
Auteur : John Ethan Py
Couverture : Alexandre Dainche
Éditeur : L’Homme Sans Nom
Site Internet : page roman (site éditeur)
Site Internet du roman : page site (archives de Chesstomb)
Pages : 389
Format (en cm) : 13,8 x 20,8
Dépôt légal : juin 2014
ISBN : 9782918541141
Prix : 19,90 €



Hilaire Alrune
7 juillet 2014


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