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Poison
Sarah Pinborough
Milady, traduit de l’anglais (Grande-Bretagne), fantastique / bit-lit, 221 pages, avril 2014, 12,90€

Réécrire « Blanche-neige », cela a déjà été fait. Le pimenter ouvertement d’érotisme, ce qui n’était pas permis aux frères Grimm à l’époque où ils ont écrit les versions originales, cela n’a rien de véritablement audacieux. Pourtant, réécrire Blanche-neige dans une version destinée aux adolescentes contemporaines, il fallait y penser.



Il n’y a pas que la bit-lit dans la vie, il y a aussi les contes classiques. On a réécrit Stoker, Le Fanu et les autres ; on peut bien réécrire les frères Grimm. D’un conte à l’origine assez bref, Sarah Pinborough a décidé de faire un roman. Fidèle à l’original, mais aussi un peu plus sensuel, un peu plus hard, et avec une fin qui ne relève pas tout à fait du conte de fées. Le chasseur coucherait bien avec la Reine qui veut la peau de Blanche-Neige, puis avec Blanche-Neige elle-même. Le Prince tomberait bien amoureux de Blanche-Neige, mais, une fois celle-ci sortie de son cercueil de verre, elle pourrait bien se révéler trop moderne pour qu’ils vivent heureux et aient beaucoup d’enfants.

Les contes parlent de manière déguisée du réel, mais le réel n’a pas grand-chose à voir avec les contes. Les choses sont rarement ce que l’on croit qu’elles sont. « Très tôt, son arrière-grand-mère lui avait appris qu’un vœu n’est jamais rien d’autre qu’une malédiction déguisée », est-il écrit dans « Poison  ». Autant pour la mièvrerie.

Reste que si « Poison  » reste dans son déroulement très fidèle au récit original, que si la pointe d’érotisme est au fond assez convenue, que si subversion et transgression ne sont pas véritablement présentes, on trouvera ici et là quelques éléments plaisants. Les allusions à d’autres contes – on retrouve ici et là des traces : « Le petit poucet  », « Cendrillon  » ou « Aladin  » – sont bienvenues. L’effondrement du couple aussitôt après le mariage est si rapide et inattendu qu’il amuse et ne manquera pas d’évoquer – non sans une certaine cruauté – des exemples que chacun a eus un jour ou l’autre sous les yeux, et la fin apparaît suffisamment cynique et désabusée pour s’inscrire pleinement dans l’air du temps. Tout ceci est de la faute du Prince charmant, bien entendu – n’oublions pas que « Poison  » est destiné à un lectorat féminin.

On l’a déjà deviné on n’en finira jamais de réécrire les contes classiques, de décliner en versions cruelles, macabres, érotiques, romantiques ou autres ces histoires qui dans leur version originale recelaient à des degrés divers, et sous forme plus ou moins apparente, cruauté, violence, érotisme et romance. Sachant que les frères Grimm eux-mêmes en ont écrit plusieurs versions, il serait malvenu de reprocher à Sarah Pinborough d’en avoir écrit une à son tour.

Reste que si « Poison  » se lit facilement, l’exercice apparaît lui aussi un peu facile. On a vu ces derniers temps des auteurs trouver un nouveau filon en « réécrivant » des classiques tombés dans le domaine public – c’est par exemple le cas de Seth Grahame-Smith qui, en modifiant un pourcentage minime d’ « Orgueil et préjugés » pour en faire une histoire de zombies, s’est taillé un franc succès. Les classiques, on le voit, ont bon dos. Et la part ajoutée par Sarah Pinborough, avouons-le, est suffisamment mince pour qu’on se demande s’il valait bien la peine d’en faire un roman.

Les frères Grimm s’en retourneraient-ils dans leur tombe ? Il est permis d’en douter. On sait depuis longtemps à quel point, sous des aspects enfantins, les conteurs cherchaient à en dire encore et encore sur l’âge adulte. Blanche-neige s’en retournerait-elle dans son cercueil de verre ? Difficile à dire, car peut-être – nul ne le saura jamais – y fit-elle des rêves d’une lubricité telle que Sarah Pinborough elle-même n’osa jamais y songer. Qui sait ?

Si l’on peut reprocher à la britannique d’avoir fait un roman de ce qui eût pu être une simple nouvelle, reconnaissons-lui le mérite d’avoir su faire court : à peine plus de deux cents pages, illustrations de Noëmie Chevalier comprises, et d’avoir su garder cette légèreté et cette fluidité de style qui sont celles des contes anciens et qui plairont sans doute aucun aux adolescentes. Celles qui en redemanderont pourront très bientôt y goûter encore : après « Blanche-neige » dans « Poison », Sarah Pinborough s’est attaquée à « Cendrillon » dans « Charme » (à paraître chez Milady en avril prochain), et à « La belle au bois dormant » dans « Beauté » (chez Milady au mois de mai). Comme quoi les classiques, mais aussi la bit-lit et la fantasy, ou tout au moins leurs ingrédients, que l’on pourrait croire usés jusqu’à la corde, n’en finissent pas de générer de nouveaux filons.

Titre : Poison (Poison, 2013)
Auteur : Sarah Pinborough
Traduction de l’anglais (Grande-Bretagne) : Frédéric Le Berre
Couverture : Noémie Chevalier
Éditeur : Milady
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 221
Format (en cm) :13,5 x 20,5
Dépôt légal : mars 2014
ISBN : 9782811211622
Prix : 12,90€



Hilaire Alrune
1er mai 2014


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