L’avis d’Hilaire
Danser en dehors des pistes, faire de la musique à l’écart des lieux destinés à cet usage, escalader secrètement des façades interdites, arracher ses semblables à l’abîme perpétuel de la télévision, combattre sans se laisser aller au défaitisme, bivouaquer dans la forêt de Brocéliande pour y philosopher dans les premières lueurs de l’aube, réveiller d’anciens rituels chevaleresques : autant de défis qui pourraient sembler gratuits mais qui apparaissent, sous la plume limpide d’Erik L’Homme, infiniment riches de sens.
Sans lourdeur aucune, avec quelques références contemporaines, mais aussi d’autres plus classiques – Hemingway, Prévost, Chopin, Rimbaud, Nelligan (sans compter les extraits, sans doute apocryphes, des « Sept bacheliers ou l’Épreuve périlleuse » de Cosme d’Aleyrac) – Erik L’Homme met en scène ce que l’on nomme des moments parfaits ou, moins laudativement, des moments réussis. Des moments qui, grâce à l’influence d’amis, de connaissances, de complices, sont aussi des étapes où quelque chose bascule, cristallise, des épisodes où un individu comprend, s’éveille, des moments qui, peut-être, peuvent changer le cours d’une vie.
On sent chez l’auteur ce bonheur qui est celui des voyageurs aimant sortir des sentiers battus, cette ivresse unique qui naît des moments ou l’on contemple en même temps que l’on agit, et qui prend sa source, en substance, sur les mêmes territoires que ce « bonheur fou » décrit par Giono. Bonheur partagé, souvent, avec ce goût affiché pour le mentorat ou simplement la complicité, avec ce ravissement que l’on éprouve à découvrir et à faire découvrir. Et des message capitaux, par exemple comme quoi l’on peut prendre soi-même des initiatives, comme quoi l’on peut penser autrement que dans le sens des flèches. Mais aussi que l’on peut refuser de se laisser enfermer, empêtrer dans un monde construit par et pour d’autres, et qu’il ne tient qu’à nous de découvrir la nature réelle de ce qui nous entoure. Qu’il est jubilatoire – et pas si difficile – d’échapper aux yeux pas si omniprésents que cela d’un Big brother orwellien auquel il ne tient qu’à nous de nous soustraire. Des messages fondamentaux, des messages si simples que nous les oublions sans cesse.
Ces aspects très humains, faussement simples, ont, on s’en doute, une tonalité bien peu contemporaine. Ils ne font pas assez partie des ritournelles obsessionnelles du présent. Des notions telles qu’honnêteté ou générosité ont une cote si basse qu’il s’en trouvera, même parmi les plus jeunes, pour taxer Erik L’Homme de naïveté ou de mièvrerie. Ils auront tort : « Le Petit Prince » de Saint-Exupéry a déjà traversé la tête haute plus d’un demi-siècle. « Le Regard des Princes à minuit » pourra sans doute, lui aussi, encore faire réfléchir les adolescents dans les décennies à venir. Erik L’Homme a choisi son camp : l’humanité et la poésie de ce monde. Aux oubliettes ce « no future » si facile que chacun peut se l’approprier sans peine : ouvrons plutôt les yeux et l’esprit, voyons plutôt les opportunités que nous offre le monde, voyons plutôt ces choses formidables qu’il ne tient qu’à nous d’accomplir.
Pas de naïveté, donc, mais un parti-pris – de ces parti-pris qu’il est devient de plus en plus courageux, si ce n’est de plus en plus difficile, d’afficher. D’autant plus que l’auteur ne juge pas, ne dénonce pas. Là où d’autres auraient écrit un pamphlet – « Indignez-vous ! » – Erik L’Homme trouve une autre voie, une autre expression, mais ses messages n’en sont pas moins justes et n’en ont pas moins d’importance. « Le regard des princes à minuit » n’a pas d’élégant que son très beau titre. C’est sa démarche toute entière qui ravit. Car « Le regard des princes à minuit », c’est un petit livre limpide à la portée des adolescents et même des enfants. Sans didactisme, sans prosélytisme, « Le Regard des Princes à minuit » n’est ni traité ni roman : il est, simplement, une invite.
L’avis de Nicolas
Se révolter, tant qu’il est encore temps. Partant de la citation de Maurois, Erik L’Homme brosse 7 courts récits de transgressions adolescentes. Sur une structure toujours identique, celle d’un baptême, d’un décilage, de la révélation des vraies valeurs et du goût de la vie, de la liberté, l’auteur arme chevaliers ses sept jeunes héros.
Le recueil s’appuie sur un conte médiéval de Cosme d’Aleyrac, « Les sept bacheliers et l’épreuve périlleuse » (réel ou totalement apocryphe, on n’en saura rien, et peu importe), qui suit les épreuves auxquelles sont soumis sept jeunes aspirants chevaliers par le Roi Arthur, épreuves qui révéleront chez eux les vertus cardinales : probité, honneur, fidélité, courage, vérité. Chaque nouvelle s’achèvera en écho sur un passage de ce conte, l’épreuve du chevalier se faisant miroir de celle du héros.
Erik L’Homme, dans son avant-propos, déplore le manque d’audace des générations actuelles, captives du carcan de la société. Ses 7 histoires seront donc autant de transgression, transgression de la loi avec ou sans majuscule, refus de l’ordre (idem), de l’uniformité, du gris, de la passivité : cela commence par un enlèvement de musiciens dans “Le commando Mazurka” pour donner un bal étourdissant sur un parking, puis le sabotage d’un relais de télévision, la machine à abrutir déjà dénoncée par Orwell, dans “Relever la tête”, ou encore l’escalade de Notre-Dame, pas du tout autorisée, dans “Puisque les étoile tremblent”, juste pour voir le ciel de plus près. La question du terrorisme sous-tend enfin “La Dureté du monde”, mais elle n’en est pas le sujet.
Chaque fois, deux personnages principaux, le mentor et l’apprenti. Celui qui a ouvert les yeux, et celui qui va le faire. Si les expériences « violentes » émotionnellement sont le choix favori pour se sentir pleinement vivant, libéré des carcans de la société, avec un paroxysme atteint dans “Attendre l’aube”, remake de « Fight Club », l’expérience, ainsi que le répètent les mentors, est avant tout personnelle et intérieure, comme lors de la rando nocturne en forêt de Brocéliande de “l’Odeur des Ombres”.
La filiation contemporaine entre les textes est donnée par “Affronter les ténèbres”, et l’adoubement du narrateur, dans un Ordre de chevaliers qui, loin de rappeler les sectes, évoque plutôt les mouvements de Résistance de la jeunesse. Et c’est bien là le propos de l’auteur : la jeunesse doit résister, se rebeller contre une oppression qui menace de la faire rentrer dans le rang, tête baissée, sans jamais avoir vécu ou pensé. La jeunesse doit vivre, ressentir ces valeurs glorifiées à la Table Ronde ; chacun doit, dans sa tête, être un chevalier, et faire le bien autour de lui, non parce qu’on le lui a dit, mais parce qu’il en est profondément convaincu.
Tant dans la parabole du conte des bacheliers que la dernière nouvelle, “La Dureté du monde”, insiste sur la conséquence de cette révélation : tout n’est qu’une question de choix, et de conséquences. Le chevalier doit faire ses choix en son âme et conscience, et en assumer les conséquences. Et le fardeau n’en est que plus lourd pour le lâche, le veule, celui qui détourne les yeux et fait semblant de ne rien voir, ou celui qui regarde mais n’agit pas. Tandis que celui qui, toute sa vie, écoute ses valeurs et agit n’aura aucun regret.
Ce n’est pas seulement un roman jeunesse qu’Erik L’Homme propose ici, c’est un manuel de vie, d’éveil, qu’on mettra entre les mains des jeunes adultes. Ceux qui lisent, ainsi que le dit le mentor de “Relever la tête”, sont déjà plus ouverts que les jeunes happés dans la spirale de la télévision et autres divertissements lénifiants. En notre époque de repli sur soi, d’individualisme permanent, il faut réapprendre à compter sur les autres, à s’ouvrir à eux, apprendre d’eux. Et à voir la magie et la vie partout où elle est naturellement, à savoir la provoquer, et non se contenter des poudres aux yeux qu’on nous propose. C’est avoir envie de quitter le bruit et les lumières de la ville pour bondir toucher les étoiles, et dans leur calme et leur silence, s’interroger sur soi. Et, comme le second bachelier, répondre à ces trois questions : qui es-tu ?, qu’as-tu fait ?, que feras-tu ?
Heureux qui y parvient sans honte ni regret.
À lire également : Erik L’Homme répond à nos questions sur « Le Regard des princes à minuit »
Titre : Le Regard des princes à minuit
Auteur : Erik L’Homme
Couverture : Alex Viougeas
Éditeur : Gallimard
Collection : Scripto
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 138
Format (en cm) : 13 x 19,8
Dépôt légal : mars 2014
ISBN : 978-2070658404
Prix : 7,65 €
Erik L’Homme sur la Yozone :
- A Comme Association - T1 : La Pâle Lumière des Ténèbres
- A comme Association - T2 : Les limites obscures de la magie
- A comme Association – T3 : L’étoffe fragile du mal
- Erik L’Homme l’aventurier