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Donnybrook
Frank Bill
Gallimard, Série Noire, traduit de l’anglais (États-Unis), polar noir, 233 pages, février 2014, 17,50€

Fatalités, meurtres, dérives, violences, contraintes, rancœurs, misère : on l’avait vu dans « Chiennes de vie », l’Indiana profond se situe très précisément aux antipodes du rose, là où l’on plonge sans cesse plus profondément dans la noirceur. « L’Amour brut », un des récits de ce recueil, relatait la perfidie d’une femme poussant son mari à assassiner son beau-père pour hériter d’un terrain où organiser des combats clandestins. Le meurtrier, Bellmont McGill, est parvenu à ses fins, et les cent mille dollars de récompense promis au vainqueur du Donnybrook suscitent bien des convoitises.



On l’a lu dans « Chiennes de vie » ; “Isaiah McGill, le père de Bellmont, avait abreuvé d’histoires l’esprit son fils adolescent – des histoires de maquignons, de voyants, de bootleggers, de gitans, de boxeurs et de lutteurs qui se réunissaient une fois par an dans l’Irlande du dix-huitième siècle (...) jusqu’au moment où la joyeuse animation se transformait en bagarre générale, où les coups et les blessures s’échangeaient allègrement, donnant naissance à la légende du Donnybrook.”

Bellmont aménage donc plusieurs arènes de combat et des granges pour servir de dortoir. Et fait fortune en attirant les combattants les plus féroces, les plus sanguinaires, les plus déments, des combattants dont les veines charrient, on s’en doute, bien plus d’une substance illicite.

On s’en doute : il ne s’agit pas d’une histoire classique façon « Le grand tournoi » avec méchants et gentils, et le Donnybrook en question n’apparaît pas pour l’auteur comme une fin en lui-même : il est pivot et surtout point de convergence à bien des personnages et des thématiques rencontrés dans « Chiennes de vie ». Un prétexte, donc, mais pas seulement : il sera le lieu où culminent bien des histoires, avant – du moins pour les rares personnages qui survivent – de nouveaux déboires dans la chienne de vie, de nouveaux règlements de comptes et, peut-être, un nouveau tour de piste.

«  Pour peu que l’opération lui rapporte de quoi jouer, il aurait déterré père et mère avant de marchander leurs corps desséchés par le formaldéhyde au plus offrant.  »

De fait, ce fameux Donnybrook sert à mettre en scène, plutôt que des combats successifs, les trajectoires aventureuses ou sordides des personnages qui s’y retrouveront, ou périront de mort violente avant d’y parvenir. Des personnages en proie pour la plupart aux démons de l’alcool, de la drogue, du sexe, de la violence et autres vices d’une banalité affligeante. Pharmacien véreux, dealers en tous genres, criminels de tout poil, flics au passé trouble (dont le shérif Ross Whalen déjà rencontré dans « Chiennes de vie »), recouvreurs de dettes chinois, gosses illicites ou handicapés, tout y est.

«  Elle pourrait par exemple lui ouvrir les poignets, les chevilles et la gorge, puis le laisser se vider de son sang dans du jus de batterie. Un truc Vieux Testament.  »

Dans « Donnybrook », on le voit, les gens s’aiment passionnément. Les femmes y apparaissent plus que fatales, et n’ont, dans la liste de leurs obsessions personnelles, pas grand-chose de plus, ni de mieux, que leurs homologues masculins. Entre plans tordus et desseins d’une noirceur à rendre jaloux le diable lui-même, les ingrédients de la rancœur, de la jalousie, de la cupidité des unes et des autres composent un schéma dont bien peu sortiront intacts. Entre balles à bout portant, empoisonnements et diverses formes de massacre, ceux de nos personnages qui arrivent au Donnybrook auront le choix entre s’entretuer, être jetés en pâture aux chiens ou aux mocassins d’eau, se prendre une balle ou finir, au mieux, avec une bonne série de fractures.

«  Le Donnybrook permettrait à Marine d’échapper à la pauvreté qui avait marqué les noms de ses proches listés dans les rubriques nécrologiques . »

S’il y a dans « Donnybrook » une étonnante dose de noirceur (la palme revenant sans doute à ce passage où un flic, découvrant dans un lieu isolé un laboratoire clandestin, est attaqué non seulement par le couple de trafiquants, mais par leurs enfants en bas âge, élevés comme des molosses, qui ne sont pas loin de le dévorer vif), on finit par y retrouver, tout comme dans « Chiennes de vie », un soupçon d’espoir, et de futur un peu meilleur. C’est à travers le personnage de Marine, en effet, qu’apparaît une légère note de morale. Si ce colosse démolit au passage un commerçant, ce n’est guère que pour lui “emprunter” la somme nécessaire à l’inscription au Donnybrook, dont le pactole devrait lui permettre de nourrir correctement sa femme et ses deux enfants, et s’il esquinte un ou deux flics sur sa route, c’est aussi parce qu’il ne voudrait qu’ils l’empêchent de gagner le lieu de tous ses espoirs. Un lieu où se scelleront bien des destins, où périront bien des ordures, où en survivront d’autres, et dont Marine se tirera in extrémis. Un soupçon d’espoir, et de futur un peu meilleur ? Oui, mais dans l’univers dépeint par Frank Bill, il n’y en a pas beaucoup plus que le strict minimum.


Titre : Donnybrook (Donnybrook , 2012)
Auteur : Frank Bill
Traduction de l’anglais (États-Unis) : Antoine Chainas
Couverture : Carlos Cicchelli / Wildcard Images
Éditeur : Gallimard
Collection : Série Noire
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 233
Format (en cm) : 15,5 x 21,5
Dépôt légal : février 2014
ISBN : 978-2070141784
Prix : 17,50 €



Frank Bill sur la Yozone :
- La chronique de « Chiennes de vies »


Hilaire Alrune
3 avril 2014


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