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Protectorat de l’Ombrelle (le), tome 1 : Sans Ame
Gail Carriger
Le Livre de Poche, Orbit, roman (USA), bit-lit victorienne, 424 pages, avril 2012, 7,10€

Mademoiselle Alexia Tarabotti est, dans la société victorienne, une vieille fille. Vingt-six ans et pas mariée, la faute à une ascendance paternelle italienne qui lui a donné un teint pas assez pâle et des formes pas assez étriquées pour rentrer dans le moule des jolies potiches qu’on marie à leurs 18 ans à un beau parti. A moins que cela soit son caractère bien trempé, sa curiosité insatiable et sa manie de se fourrer dans de rocambolesques situations. Comme avec le puissant, riche et très en vue lord Maccon, qu’elle agace, titille et rabroue à chaque occasion. Mais lui se l’avoue à moitié : il aime les femmes de caractère...
Voilà, c’est tout mignon. Le rapport avec l’imaginaire ? Ce Londres victorien a accepté dans sa société vampires et loups-garous. Lord Maccon, comte de Woolsey, est l’Alpha de la meute londonienne, et le chef du BUR, le bureau de surveillance des êtres surnaturels (vampires, garous, fantômes). Et Alexia est, de son côté, une paranaturelle : à son contact, la malédiction des vampires ou des garous disparait, les rendant de nouveau humains. Une chose à laquelle ne s’attendait pas le vampire qui tente de l’agresser dans la bibliothèque du duc de Snodgrove, au mépris de l’étiquette !
C’est le point de départ d’un mystère que mademoiselle Tarabotti se fait fort d’éclaircir, malgré l’interdiction de lord Maccon. Au contraire, mettre son grain de sel dans une enquête du BUR est l’occasion de le voir plus fréquemment, et de ressentir plus souvent cette drôle de sensation que provoquent sa présence et sa proximité...



Oui, le roman de l’excentrique Gail Carriger, qui a fait sensation aux Imaginales 2013, est une histoire de filles. Du Jane Austen avec du surnaturel. Mais dans tous les domaines c’est magnifiquement écrit et très bien pensé, bien au-dessus de la bit-lit habituelle.

Son Londres victorien a des accents steampunk en toile de fond, dès l’apparition de la précieuse ombrelle d’Alexia, à la pointe en argent pour repousser d’éventuels prétendants un peu trop entreprenants d’un coup bien placé, aux zones masculines stratégiques dont elle a une connaissance théorique grâce à la gigantesque bibliothèque dont elle a hérité de son père.
Car Alexia Tarabotti est une cause perdue : le teint hâlé, les formes généreuses, c’est une femme loin des canons de beauté en vigueur, a contrario de ses deux demi-sœurs. Et si elle suit la mode presque à la lettre et apprécie les potins, ce n’est pas une écervelée, mais au contraire une femme instruite, qui lit. Cela suffirait à échouer à la marier. Cerise sur le gâteau, elle a un caractère bien trempé, n’hésitant pas à tenir tête à nombre de gens, son étouffante mère la première.
Sa famille ignore son état de paranaturelle, hérité de son italien de père, aussi comprend-elle et assume-t-elle mal les relations d’Alexia avec les surnaturels pourtant bien en vue dans la société, comme le pétulant et extravagant lord Akeldama, vampire âgé entouré d’une cour de mignons, ou le chef du BUR, lord Maccon. Deux relations sans lesquelles mademoiselle Tarabotti serait fort dépourvue face au danger qui la guette...

On appréciera grandement le souci du détail de Gail Carriger quant aux clans vampires et loups-garous, au fonctionnement détaillé et parfaitement logique. Idem des façons de transmettre leur malédiction, très encadrées, et au cœur de l’intrigue de ce « Sans Âme ». Ma seule surprise a été le faible nombre de vampires d’une ruche (moins d’une dizaine), mais là encore les explications physiologiques et surtout sociologiques expliquent tout : c’est parce que ces deux races sont peu nombreuses et se reproduisent mal qu’elles ont été acceptés dans la société et non jugées comme des menaces potentielles.

L’enquête est menée à bon train, et on rassemble les pièces du puzzle à peine quelques pages avant Alexia, généralement dans une situation trop délicate pour y réfléchir correctement. Par situation délicate, il faut comprend soit qu’on tente de l’enlever, soit qu’elle est à une distance déraisonnable de lord Maccon, bien trop proche pour une jeune femme célibataire.

Leur jeu de séduction est une mécanique bien huilée par l’auteure. Tous deux mettent un certain temps, pas le même, à réaliser leurs sentiments, et à faire correspondre leur attitude publique à l’étiquette et aux bonnes manières. Car lord Maccon, en bon loup Alpha, fonctionne à l’instinct. Il faudra toute la diplomatie de son second, l’inestimable professeur Lyall, pour lui faire comprendre qu’on ne peut pas attendre d’une jeune femme, même Alexia Tarabotti, qu’elle se conduise en femelle Alpha. Quoique...
Bref, les situations gênantes sont nombreuses, au grand bonheur des deux protagonistes, et Gail Carriger décrit, via le regard d’Alexia, de manière très scientifique, presque clinique (merci les livres de sciences naturelles de Tarabotti père) ces premières expériences que l’héroïne trouve très enrichissantes, même si cela la décoiffe un peu et lui fait des frissons dans certains endroits de sous son corset ou son jupon. C’est truculent à lire, des maladresses de lord Maccon qui feront penser à tous les lecteurs et lectrices que dans un sens, tous les hommes sont des loups-garous, aux dilemmes d’Alexia entre bienséance et sensations nouvelles.
L’écriture est exigeante, collant à l’époque et aux règles de bienséance, presque aussi coincée que les personnages secondaires, au point qu’il est rare, même que l’auteur nomme son héroïne, ou tout autre personnage, par son prénom. C’est « mademoiselle Tarabotti », « lord Maccon » (parfois avec toute la titulature qui suit). Au point qu’au même titre que certains rapprochements et contacts physique, l’emploi du prénom de l’un ou autre relève d’une certaine intimité, voire sensualité.

La fin révèle un niveau d’horreur dont seuls les hommes « normaux » sont capables, balayant définitivement toute tentative d’étiqueter le « Protectorat de l’Ombrelle » de bit-lit pour ados. Quant à l’épilogue, on le classera « plus de 16 ans », même si visiblement, certaines choses, pas toutes, s’apprennent dans les livres.

Quatre volumes à suivre Alexia avant de bifurquer sur un autre personnage, ainsi que Gail Carriger, interrogée sur ses projets en cours, l’a révélé aux Imaginales. Tous parus chez Orbit. Ce « Sans Âme » y était épuisé, on appréciera donc de le voir arriver en Livre de Poche, tout comme les tomes 2, « Sans Forme », et 3, « Sans Honte ».

Comme toute délicieuse friandise, n’en abusez pas trop ! quand il n’y en aura plus, vous serez bien triste...


Titre : Sans Âme (Soulless, 2009)
Série : Le Protectorat de l’Ombrelle (the parasol protectorate), tome 1/5
Auteur : Gail Carriger
Traduction de l’anglais (USA) : Sylvie Denis
Édition originale : Orbit, 2010 (épuisée)
Couverture : Stefan Hilden
Éditeur : Le Livre de Poche
Collection : Orbit=field_tags%3A298]
Site Internet : page roman (site éditeur)
Numéro : 32557
Pages : 424
Format (en cm) : 17,8 x 11 x 2
Dépôt légal : avril 2012
ISBN : 9782253134886
Prix : 7,10 €


Le Protectorat de l’Ombrelle :
- 1. Sans âme
- 2. Sans forme
- 3. Sans honte
- 4. Sans coeur
- 5. Sans âge


Nicolas Soffray
7 février 2014


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