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Demain le monde
Jean-Pierre Andrevon
Le Bélial’, Kvasar, recueil (France), science-fiction, 594 pages, novembre 2013, 25€

Jean-Pierre Andrevon fait incontestablement partie des grands noms de l’imaginaire français, de ceux qui ont marqué le paysage de la SF depuis les années 1970. Ce touche-à-tout, comme le précise si bien George W. Barlow en postface, fête ses 45 ans de carrière. En effet, son premier texte professionnel fut publié dans la revue « Fiction » en mai 1968. Certains ne manqueront pas de dire, sourire en coin : « ça ne m’étonne pas de lui », tellement cela colle à l’image que l’on se fait du personnage.
Andrevon est admiré, aussi bien qu’il agace... Bref, il ne laisse pas indifférent, c’est un écrivain qui fait réagir les lecteurs. Sa production est telle que le très bon côtoie le moins bon et que l’on se demande toujours si l’on va bien ou mal tomber à chaque publication. Quand on sait ce dont il est capable, c’est normal que l’on devienne exigeant à son encontre.



Quatrième titre à figurer dans la très belle collection Kvasar, « Demain le monde » affiche près de 600 pages au compteur, contenant 22 nouvelles choisies par Richard Comballot qui signe une préface très instructive, nous montrant bien l’importance de la production d’Andrevon. On ne peut qu’être admiratif devant sa capacité de travail.

Dans ce superbe écrin, propre à cette collection, le lecteur a droit à un concentré d’Andrevon. Pour mieux le savourer, il me semble préférable de le lire petit-à-petit, de ne pas chercher à enchaîner les nouvelles les unes après les autres, mais de se ménager des pauses afin de mieux s’en imprégner. Même si l’on aime pas cet écrivain, que l’on part avec un a priori négatif, il est quasi impossible de ne pas être séduit par cette sélection hétéroclite, mais représentative du talent du bonhomme.

Jean-Pierre Andrevon apparaît parfois bien pessimiste pour l’espèce humaine. À plusieurs reprises, il nous présente des civilisations post-cataclysmiques où l’homme actuel n’est plus la norme, comme dans sa première publication pro “La réserve” où les derniers vrais humains vivent enfouis et ne sont plus que des curiosités pour ceux qui ont survécu en surface. Dans “Un nouveau livre de la jungle des villes”, les robots se sont rebellés contre leurs créateurs. Lorsqu’une bande de machines recueille un nourrisson et l’élève, celui-ci pense tout naturellement être un robot. C’est d’ailleurs à cette première occasion que l’imagination de l’auteur démontre à quel point elle peut être jubilante.
La Terre est aussi fatiguée de porter de tels hôtes indésirables qui ne cessent de l’affaiblir. Rien d’étonnant à ce qu’elle se rebelle par des pluies torrentielles (“… il revient au galop”) ou par un froid polaire bloquant tout (“En route pour la chaleur !”). La fibre écologique de l’auteur parle ici et dans son texte phare, “Le monde enfin”, peut-être le plus célèbre, l’illustration en est éclatante. Le rythme est lent, l’homme solitaire déambule lentement à travers une nature retrouvée et qui reprend le pouvoir. Les descriptions sont légion, constituent une ode à mère nature. L’homme avance finalement vers sa fin, ce départ qu’il sait inéluctable.
Des espèces disparues comme les dinosaures réapparaissent à l’occasion (“Comme un rêve qui revient”), rappelant que l’homme n’était pas le premier sur cette planète.
Il s’essaye aussi à la fantasy avec “Le château du dragon” où la civilisation est revenue à un état moyenâgeux. Et pour quel résultat ? S’entre-tuer...
Est-ce qu’il y a seulement encore un avenir pour nous. “Épilogue peut-être” s’achève par cette question si révélatrice : « Il n’y a rien à faire ? »
D’ailleurs, si des aliens veulent détruire l’humanité, rien de plus simple, elle est si bête qu’il suffit de lui offrir une arme particulièrement destructive (“L’arme”).

Le temps avec son cortège de paradoxes, voilà un autre sujet qui fascine l’auteur. Si la fin d’“Un petit saut dans le passé” est assez prévisible, la fuite dans le passé pour éviter la guerre dans “Régression” a un côté inattendu, non prévu par le savant qui voulait mettre les siens en sûreté mais qui a vu trop grand.
Sur la banquette arrière” n’est pas dénué d’humour, même si l’on se dirige vers l’annihilation de l’espèce humaine. Il est intéressant d’assister à toute la série d’événements découlant d’une simple relation à l’arrière d’une voiture.
La porte au fond du parc entre le cèdre et les chênes” : le titre est déjà magnifique, la nouvelle ne l’est pas moins. Un voyageur temporel débarque plusieurs fois au même endroit pour remplir d’obscures missions. C’est à ces occasions qu’il rencontre une femme mourante, une fillette, une femme... une seule et même personne, mais le fil des rencontres est différent pour les deux... L’histoire est touchante, intrigante aussi à cause d’un traitement éclaté vraiment bien vu. On ne peut en sortir que séduit, favorablement impressionné.

La vie n’est pas facile, elle ressemble souvent à un combat de tous les jours, comme celui que mène Croche dans “Comme une étoile solitaire et fugitive”. Cet être contrefait à cause des radiations rêve d’aller dans les étoiles. Contre vents et marées, il lutte pour atteindre ce but. Ce combat pathétique, sa vie des plus improbables, car rejetée par beaucoup, sont poignants.
Dans une maison surplombant une vallée dévastée par les éléments, un homme survit avec ses souvenirs : ses conquêtes féminines comme les femmes qu’il n’a jamais eues. Veuve poignet l’aide à tenir en attendant que sa réserve de nourriture s’épuise. “Tout à la main” porte bien son titre et montre que Jean-Pierre Andrevon n’a pas peur de choquer le lectorat et qu’il sait le tenir en haleine avec bien peu.
Profession tueur, voilà le thème de “Salut, Wolinski !” Chaque matin, il sort de chez lui pour semer la mort dans son sillage, mais attention en faisant preuve d’imagination. Il ne manquerait plus que cela tourne à la routine ! Illustration parfaite de cette volonté de ne pas se cantonner derrière des barrières politiquement correctes pour éviter d’attirer la vindicte populaire.
Pour “L’anniversaire du Reich de mille ans”, il part d’une idée et une seule et la développe. Si le Reich ne s’était pas arrêté, que serait-il devenu un millénaire plus tard ?
Dans “L’homme qui fut douze”, une mission d’exploration arrive sur une planète très inhospitalière. Un seul membre y réchappe, mais à quel prix ! Le titre intrigue et prend tout son sens au fil des pages. La chaîne d’événements consécutifs à ce débarquement donne proprement le tournis et démontre toute l’imagination d’Andrevon.
C’est clair qu’il ne manque pas d’idées et sait tirer le maximum de chacune.
Même dans son pastiche délirant, référence notamment à certains Fleuve Noir Anticipation assez naïfs des débuts, “Manuscrit d’un roman de SF trouvé dans une poubelle”, il parvient à se sortir du bourbier, à élever le débat dira-t-on, sans se prendre au sérieux.

La bête des étoiles et l’empathe” décline le thème des NAC, les nouveaux animaux de compagnie, mais à une plus grande échelle. Pour les maîtriser, il faut des spécialistes et non des amateurs voulant surfer sur les dernières modes, sans prendre la mesure des problèmes à venir. Ici, ça prend forcément des proportions beaucoup plus importantes...
Halte à Broux” nous présente une guerre à l’allure dérisoire, que des soldats préfèrent fuir en rejoignant un petit village tranquille où ils sont bien accueillis. Mais le repos est de courte durée, l’esprit militaire ne meurt jamais. Cela traduit bien ce que pense l’auteur de ce milieu.
Rien qu’un peu de cendre, et une ombre portée sur un mur”, autre superbe titre soit dit en passant, nous fait partager le calvaire de Virginie, une jeune fille à l’étonnant pouvoir. La folie des hommes, toujours volontaires pour se faire sauter, rendre son habitat impropre à l’existence, est heureusement contrebalancée par son don, une malédiction pour elle, mais une bénédiction pour les innocents à qui l’on ne demande jamais rien, si ce n’est subir. La fin est belle, triste à en pleurer.

Il est à noter que chacune des vingt-deux nouvelles est suivie d’une notice plus ou moins longue de l’auteur, nous expliquant sa genèse, le contexte dans lequel elle a été écrite, ce qui donne souvent un autre éclairage sur celle-ci.

La sélection de Richard Comballot montre tout le talent de Jean-Pierre Andrevon. Même si certains textes sont moins forts, il n’y a rien à jeter et on touche souvent à l’excellence.
On peut dire tout ce qu’on veut du bonhomme (l’adjectif agaçant reviendra souvent !), il n’en reste pas moins que ce fort recueil ne souffre pas la critique. Il nous permet de découvrir l’imaginaire sans limite d’un écrivain à qui certains sujets sont chers et qui sait adapter son style au sujet de chaque nouvelle. Ce dernier point évite une routine de ton, une identification immédiate. Il lui suffit d’une simple idée comme point de départ pour en tirer le maximum et nous amener très loin.
La visite est longue et bonne et on ne peut que remercier les éditions du Bélial’ pour cet agréable voyage qui en surprendra plus d’un. Quel que soit notre avis initial sur Andrevon, au final les points de vues convergeront pour reconnaître la qualité de l’ensemble et avoir l’âme d’un explorateur en allant fouiller dans les autres nombreux recueils de l’écrivain.

Séduit, on lui accordera même de tirer encore la couverture à lui dans l’article “L’autre côté” où il nous raconte d’où lui vient cette irrépressible envie d’écrire.
Dans une lettre ouverte, George W. Barlow n’hésite pas, en toute amitié, à l’égratigner, à lui dire ce qu’il pense de lui. Il n’a pas la langue dans la poche et, à l’image d’un vieux couple qui vide son sac, il se lâche pour l’occasion.

« Demain le monde », c’est du tout bon ! Ce recueil méritait bien la belle couverture de Caza avec le vieil homme déambulant sur son cheval vers une fin inexorable sur une terre dévastée par la folie des hommes et de paraître dans la collection Kvasar qui s’impose décidément comme une référence en terme de qualité.


Titre : Demain le monde
Auteur : Jean-Pierre Andrevon
Couverture : Philippe caza
Éditeur : Le Bélial’
Collection : Kvasar
Directeur de la collection : Olivier Girard
Site Internet : Recueil (site éditeur)
Pages : 594
Format (en cm) : 15,1 x 22
Dépôt légal : novembre 2013
ISBN : 978-2-84344-122-6
Prix : 25 €



François Schnebelen
26 janvier 2014


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