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Enfers Virtuels (Les)
Iain M. Banks
Le Livre de Poche, n°33142,traduit de l’anglais (Grande-Bretagne), science-fiction, 860 pages, septembre 2013, 8,90 €

La Culture. Une civilisation parvenue au plus haut stade du développement, ayant essaimé à travers l’espace, disposant d’une technologie supérieure. Un empire tout-puissant qui, de manière souvent masquée, s’immisce dans les affaires des autres, non pas à la façon coloniale, non pas à des fins d’expansion ou de captation des richesses, mais de manière lente, mûrie, réfléchie, dans le but d’infléchir l’évolution d’autres mondes dans une direction qui lui semble, en vertu de ses principes moraux, préférable. L’univers de la Culture a été abordé par Iain Banks à travers quelques nouvelles et une série de romans, lesquels ont progressivement, et sans doute à tort, éclipsé le reste de son œuvre.



«  Nous avons besoin des Enfers. Nous sommes des créatures faillibles habitées par le mal. (...) Tu n’as aucune idée de ce qui se passerait s’il n’y avait pas la menace de l’Enfer pour retenir les gens !  »

Dans un lointain futur, l’espace est peuplé par toute une série d’espèces intelligentes. Celles-ci vivent en relative harmonie, mais un problème d’envergure les oppose : les enfers virtuels. Car, en effet, les avancées technologiques ont été telles que l’on ne meurt plus vraiment : après sa mort physique l’on peut en effet perdurer dans des mondes virtuels. Mais l’on peut également, pour ceux qui de leur vivant ont commis des crimes, souffrir pour l’éternité dans des enfers virtuels. Les espèces intelligentes sont scindées en deux groupes : ceux qui veulent abolir ces enfers, et ceux qui les estiment nécessaires. Plutôt que d’en découdre, ces deux factions décident de s’affronter dans le virtuel. Mais le camp des anti-enfers, qui croyait pouvoir l’emporter, cède peu à peu du terrain. Et envisage, en cas de défaite, de faire déborder le conflit dans le réel. Quant à la Culture, une des très rares civilisations de niveau huit, caractérisée par une supériorité technologique flagrante, ses principes lui interdisent de prendre part au conflit. Mais sa branche la plus prestigieuse, les fameuses « Circonstances Spéciales », est là pour influer subtilement sur l’évolution des autres civilisations.

«  Une fois qu’on avait un processus pour copier l’esprit d’une créature, on pouvait en général – si on avait le contexte culturel et la motivation nécessaires pour cela – commencer à rendre réelle au moins une partie de sa religion.  »

L’idée évoquée par Iain M. Banks apparaît rien moins que vertigineuse, et concerne indiscutablement des problèmes moraux et métaphysiques qui tiraillent l’humanité depuis des millénaires. Existe-t-il réellement une morale ? Existe-t-il réellement une justice ? Dans quelle mesure et dans quelles limites, quelles que puissent être leurs fautes, peut-on faire souffrir les êtres humains, ou, plus globalement, les êtres tout vivants ? Qu’en est-il de cette vie après la mort, qu’en est-il de cette réalité virtuelle ?
Par ailleurs, Banks propose une idée particulièrement ambitieuse, celle de la fusion de ces univers virtuels : “C’est ainsi que depuis des millions d’années il y avait un réseau d’Au-Delà à travers la galaxie, partiellement indépendant du réel et changeant constamment (…) à mesure que des civilisations apparaissaient, se développaient, se stabilisaient ou disparaissaient, se modifiant au point d’être méconnaissables ou régressant, ou encore optant pour une semi-Divinité en court-circuitant carrément la vie matérielle pour atteindre à la sublime indifférence qu’était la Sublimation. ” Les Enfers, eux, n’ont que partiellement fusionné. Mais leur « visite » par un couple de militants anti-enfers, qui se font secrètement injecter dans un de ceux-ci, et dont un seul revient, pose un problème métaphysique d’envergure : la jeune femme qui n’a pas réussi à en revenir peut être réveillée dans le réel, où elle vivra sans jamais en garder le moindre souvenir ; mais sa personnalité restée dans les Enfers, elle, continuera à souffrir pour l’éternité. Est-il possible, pour son compagnon qui est revenu, d’accepter un tel état de fait ?

D’ « Entrefer » aux « Enfers virtuels », de Iain Banks à Iain M. Banks

On sait que Iain M. Banks (M pour Menzies) publiait sous le nom écourté de Iain Banks des ouvrages qu’il jugeait plus proches de la littérature générale. C’est sous ce nom qu’il fit paraître en 1989 « The Bridge », traduit deux ans plus tard chez Denoël sous le titre plus évocateur d’ « Entrefer  ». Dans ce roman, dont la première partie est véritablement exceptionnelle, un homme, dont on comprendra par la suite qu’il est plongé dans le coma, passe de cauchemar en cauchemar. Structurés, baroques, gothiques, victoriens, ces cauchemars apparaissent comme une série de séjours dans des enfers particulièrement inventifs. Pour cette raison, on serait tenté de dire que « Les Enfers virtuels » sont une réécriture de ce roman, dans un contexte plus vaste – celui de civilisations multiples – avec les possibilités formidables qu’offrent les développements scientifiques de la science-fiction, et notamment les univers virtuels.

«  Comme l’original, il utilise des propulseurs à agrégation hyperspatiale avec factorisation d’induction additionnelle plutôt que la technologie plus banale à gauchissement de flux . »

Dans « Entrefer  », la puissance symbolique des rêves et la structure narrative se délitaient peu à peu à mesure que le personnage se dirigeait vers son réveil, donnant l’impression que Banks était passé à côté d’un très grand roman. Il en est hélas de même avec « Les Enfers virtuels  ». Car, en effet, le récit, même s’il est d’envergure, court-circuite totalement ce thème dantesque de la fusion du réseau des au-delà évoquée au huitième chapitre, et abandonne ces visions gothico-baroques auxquelles il excelle pour basculer dans le space-opéra ambitieux, mais classique. Classique, la quête de la vengeance de Ledjedje. Classiques, les combats spatiaux dans le réel. Classiques, les intrigues les alliances, les retournements de situation. Classiques, les aventures du commandant Vatuel dans le virtuel. Classique, le personnage de Veppers, dans sa mégalomanie démesurée et sa fin méritée.

«  De la nanotech en folie. Un Évènement Homogénéisant Monopathe.  »

Si « Les Enfers Virtuels  » ne tient donc pas tout à fait ses promesses, s’il n’est pas en définitive un ouvrage d’exception mais un « simple » et très bon récit du Cycle de la culture – ce qui le place tout de même déjà au-dessus du lot – on ne peut pour autant lui dénier des qualités véritables. A savoir, pour commencer, la capacité à happer le lecteur sur plus de huit cent soixante pages. A savoir également, l’inventivité de Banks pour les « big dumb objects » que sont par exemple les anneaux spatiaux, pour la description de ces attaques de machines auto réplicatives qui n’ont d’autre but que de transformer l’univers en elles-mêmes, pour cette idée de vaisseaux « dormants », méditant à l’écart dans les zones obscures de l’univers, pour l’invention de nouvelles branches de la Culture, pour l’art avec lequel il met en scène drones et avatars de vaisseaux dotés de personnalités singulières, mais aussi des personnages dotés d’une profonde humanité.

«  En ce moment, nous sommes des codes, nous sommes des fantômes dans le substrat, nous sommes à la fois réels et irréels.  »

Que conclure ? Après « Une forme de guerre », « L’homme des jeux  », « L’Usage des armes », « Excession  », « Inversions  », « Le Sens du vent » et « Trames  », et avant « La Sonate Hydrogène  », « Les Enfers virtuels » constitue – à moins qu’un autre auteur n’en reprenne les rênes après le décès de Ian Banks survenu cette année – l’avant dernier volume du Cycle de la Culture. Si les envolées métaphysiques promises par le début du volume restent en définitive modérées, « Les Enfers Virtuels » apparaît néanmoins comme un des ouvrages remarquables du cycle, et plus globalement comme un très bon ouvrage de genre, qui apporte son lot de questionnements sur l’essence de la morale et les fondements même de l’humanité.


Titre : Les Enfers Virtuels
Auteur : Iain M. Banks
Couverture : Lauren Panepinto
Traduction de l’anglais (Grande-Bretagne) : Patrick Dusoulier
Éditeur : Le Livre de poche (édition originale : Robert Laffont, 2011)
Site Internet : page roman (site éditeur)
Numéro : 33142
Pages : 860
Format (en cm) : 11 x 18
Dépôt légal : septembre 2013
ISBN : 978-2-253-16977-2
Prix : 8,90€



Iain M. Banks sur la Yozone :
- La chronique de « L’Essence de l’art »
- Une chronique de « La Plage de verre »
- Une autre chronique de « La Plage de verre »
- La chronique de « L’Algébriste »
- Le cycle de la Culture
- Iain M. Banks par Gérard Klein


Hilaire Alrune
19 novembre 2013


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