Chargement...
YOZONE
Le cyberespace de l'imaginaire




Enfants d’Icare (Les)
Arthur C. Clarke
Milady, traduit de l’anglais (Grande-Bretagne), science-fiction, 354 pages, septembre 2013, 7,10€

Un roman d’Arthur C. Clarke initialement publié en 1953. Trop vieux ? Trop daté ? Obsolète ? Suranné ? Mais il a été traduit au Rayon Fantastique en 1956, réédité dans la mythique collection OPTA quelques années plus tard, repris chez J’ai Lu en 1977, 1981, 1984, 1988, 1992, 2003 – excusez du peu. Et aujourd’hui,, dix après sa dernière réédition, Milady reprend le flambeau. Une telle longévité signifie bien quelque chose.



«  Jan avait eu un fugitif aperçu du cosmos et de sa terrifiante immensité, et il savait désormais que l’homme n’y avait pas sa place.  »

Double mouvement dans le premier chapitre : celui d’une élévation rêvée, la course à l’espace des Américains et des Soviétiques. Une course sur le point d’aboutir mais subitement stoppée, une aspiration avortée, écrasée par un mouvement contraire : la descente dans le ciel de vaisseaux extraterrestres, leur apparition au-dessus des villes. Qui sont-ils ? Même l’émissaire des Nations Unies, le seul à pouvoir s’entretenir avec Karellen, le représentant des Suzerains, l’ignore : il ne le rencontre jamais face à face. Les Suzerains sont là, prétendent-ils, pour le bien de l’humanité. La prospérité, l’aisance, l’état mondial, la fin des guerres. Ceux qui s’opposent à ce projet sont tout simplement ignorés. La technologie supérieure des Suzerains rend toute tentative de leur part d’une inefficacité dérisoire.

Si l’aspect physique des Suzerains est longtemps masqué, c’est parce qu’il est tel qu’il ne saurait que susciter la méfiance, sinon l’horreur. Pourtant, lorsque les bienfaits apportés par les Suzerains deviennent patents, ceux-ci se dévoilent. Leur aspect, qui relève des mythes humains, n’émeut pas autant qu’il l’aurait pu. On en sait alors un peu plus sur les Suzerains, qui malgré leurs actions bénéfiques imposent à l’humanité certaines limites : la course à l’espace est désormais interdite. Et certains continuent à penser que les Suzerains, sous des aspects bienveillants, ont des desseins secrets.

«  De même que nous sommes au-dessus de vous, quelques chose est au-dessus de nous, qui nous utilise pour parvenir à son but.  »

Les Suzerains le savent, l’humanité l’ignore : les hommes vont bientôt muer, muter, donner naissance à une espèce supérieure, une intelligence d’un autre type. Ils vont enfanter, inéluctablement, une génération qui ne sera plus tout à fait humaine, et reléguera l’humanité telle qu’on la connaît au rang de relique, de branche obsolète du grand arbre évolutif. Et si les Suzerains empêche l’humanité de s’auto-détruire, c’est parce qu’eux-mêmes, malgré leur supériorité vis-à-vis de l’humanité telle qu’on la connaît, sont incapables d’atteindre le niveau qui sera celui de la post-humanité. Les Suzerains sont des mentors, des accoucheurs au service d’un principe supérieur qui les dépasse.

«  Tous les espoirs, tous les rêves de votre race sont éteints. Vous avez donné naissance à vos successeurs et c’est là votre tragédie.  »

Un humain, un seul, est parvenu à se dissimuler à bord d’un vaisseau des Suzerains et à visiter leur monde. Il y a rencontré ce qu’il pense être une manifestation de ce principe supérieur, cet esprit ou fusion d’esprits qui émerge dans l’espace. Il a compris qu’il n’y avait aucune place pour les hommes dans les étendues intersidérales, aucune place pour eux parmi de tels esprits. Et lorsqu’il s’en revient sur terre, la loi relativiste fait que s’il a peu vieilli, des décennies se sont écoulées sur sa planète d’origine. Les humains n’existent plus. Seule demeure, mais pas pour longtemps, une incompréhensible post-humanité qui s’apprête, elle, à prendre son essor pour l’espace. Le voyageur reste donc le dernier humain sur terre.

Un roman intemporel

« Les Enfants d’Icare » a été écrit dans les années cinquante. Il serait faux d’affirmer que cela ne se sent jamais. Les évolutions de l’humanité dans les limites imposées par les Suzerains, telles que l’on peut les lire par exemple au dixième chapitre, apparaissent symptomatiques d’une certaine naïveté fréquemment retrouvée dans les ouvrages relevant de l’ « âge d’or » du genre. Mais il s’agit là du seul reproche que l’on saurait faire à ce roman. Et ceci d’autant plus que son propos global est à tel point éloigné de l’optimisme béat de l’époque que l’on est en droit de se demander si ces quelques passages trop simplistes ne sont pas déjà de l’ordre de la caricature.

Mieux encore : en bâtissant un roman relativement court, qui n’excède guère les trois cents pages, Arthur C. Clarke, sait aller à l’essentiel. Là où des auteurs contemporains comme McAuley, Banks ou Baxter noieraient le message sous des accumulations de psychologie et de détails techniques, Clarke fait presque dans l’épure. La manière dont le double mouvement du premier chapitre s’impose en est emblématique ; la fin du récit, lorsque le dernier humain vivant reste écrasé sur une terre en fragmentation alors que la posthumanité prend son essor, ne l’est pas moins.

Il y a dans cette idée de race extra-terrestre en apparence bienveillante, mais au fond totalement indifférente au sort de l’humanité, une certaine élégance trouble qui donne tout son poids au roman. Car, d’une certaine manière, les affirmations des pessimistes étaient en dessous de la réalité : les Suzerains, même s’ils ont sauvé les hommes d’une auto-destruction que l’on peut s’obstiner à considérer comme hypothétique, seront bien responsables, in fine, de la destruction totale de l’humanité.

Cette thématique d’une intelligence cosmique aidant l’humanité à accoucher de la race qui va lui succéder n’est pas spécifique à ce roman dans la carrière de l’auteur : cette idée, il l’avait déjà ébauchée quelques années auparavant, en 1951, dans « La Sentinelle », nouvelle qui servira de base dans les années soixante à « 2001, l’Odyssée de l’espace » Et elle sera reprise bien des fois, déclinée de bien des manières, thématique éternelle, intemporelle, que l’espèce à laquelle l’humanité s’apprête à donner naissance soit en filiation directe, organique, ou totalement autre et anorganique, comme dans le remarquable roman de Jean-Michel Truong , « Le Successeur de Pierre », et son équivalent sous forme d’essai, « Totalement inhumaine ».

En nous confrontant aux abîmes de notre disparition non pas à l’échelon individuel, mais en tant qu’espèce, en jetant les bases d’un thème qui aura une postérité particulièrement riche (jusqu’au jour où cette postérité post-humaine sera réalité), Arthur C. Clarke bâtit en allant à l’essentiel un roman sans fioritures, poignant, bouleversant, intelligent. Un livre à lire pour les amateurs de l’histoire du genre, mais aussi un livre à lire dans l’absolu, parce que l’on a toujours tout à gagner à connaître ses classiques.


Titre : Les Enfants d’Icare (Childhood’s End,1953)
Auteur : Arthur C. Clarke
Traduction de l’anglais (Grande-Bretagne) : Michel Deutsch
Couverture : Manchu
Éditeur : Milady (édition originale : Gallimard,1956)
Collection : Science-fiction
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 354
Format (en cm) : 11 x 18
Dépôt légal : septembre 2013
ISBN : 978-2-811209452
Prix : 7,10 €



Arthur C. Clarke sur la yozone :

- « La Trilogie de l’espace
- « Les Chants de la terre lointaine »
- « Les Montagnes hallucinogènes


Hilaire Alrune
23 octobre 2013


JPEG - 22.8 ko



Chargement...
WebAnalytics