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Renégat, 1 : Le Chevalier Rouge
Miles Cameron
Bragelonne, roman traduit de l’anglais (Canada), fantasy, 826 pages, août 2013, 25€

A la frontière du royaume d’Alba, les fermes du monastère de Lissen Carak sont attaquées par des créatures du Monde Sauvage, paysans et sœurs sont massacrés. La Mère abbesse fait appel à des mercenaires pour défendre ses terres, et c’est la troupe du Chevalier Rouge, jeune capitaine mystérieux, qui répond à l’appel et négocie fermement son contrat. Mais après quelques patrouilles, force leur est de réaliser qu’il ne s’agissait pas de quelques irques en maraude : vouivres et trolls sont sortis des bois. Sans parler des boguelins qui se rassemblent... Pour le Chevalier rouge, c’est une attaque en règle qui se prépare, comme une génération auparavant. Un Pouvoir dirige et unit le Monde Sauvage contre les Hommes, décidé à reprendre leurs terres et à les anéantir. L’abbesse alerte le roi, tandis qu’on prépare le siège, et que chacun fourbit ses armes, notamment les plus secrètes...



La 4e de couverture nous présente Miles Cameron comme un ancien militaire, et un auteur de romans historiques, qui plus est diplômé d’histoire médiévale. Et sa grande passion est d’organiser des reconstitutions de batailles, l’armure lourde sur le dos et l’épée à la main.
Et à lire son « Chevalier rouge », on y retrouve effectivement tous les talents d’un homme avec cette vie-là. Pour une fois, serais-je presque tenté d’écrire, nous avons un auteur qui nous écrit de la fantasy médiévale avec de vraies connaissances sur le Moyen-Âge. La troupe du Chevalier rouge est constituée de chevaliers, cadets de famille, nobles déchus ou bannis, arborant ou non leur patronyme de naissance, mais aussi d’écuyers, d’archers, de pages, de cuisiniers, même de prostituées. C’est une VRAIE troupe, avec sa logistique indispensable, et pas une armée monolithique comme les jeux vidéos ont presque réussi à en falsifier l’image. Non, un chevalier n’est pas capable de s’équiper tout seul. Oui, il a besoin d’un écuyer pour l’assister, y compris sur le champ de bataille, pour assurer ses arrières. Et les archers ont un cheval, parce que s’ils traînent la patte derrière les cavaliers, ils vont arriver après la bataille, ce qui serait un peu inutile. Je ne vais pas vous dresser une liste exhaustive, mais voilà, Miles Cameron n’oublie pas nombre de petits détails qui rendent vraie son histoire. Non, on ne peut pas marcher furtivement en solerets (les souliers d’armure en métal) sur un sol dallé. Non on n’est pas furtif en armure lourde sur un destrier.
Bref, on sent l’auteur de roman historique chevronné. Tout comme l’ancien militaire se ressent dans l’organisation du siège.

Mais le paradoxe, dans cette quasi reconstitution, est que c’est la magie qui tient la place centrale du roman.
On découvre assez vite que deux magies s’opposent dans cet univers aux échos d’uchronie de la Grande-Bretagne : l’Hermétisme, hérité de la science grecque, puise son énergie dans le soleil, tandis que le Monde Sauvage emploie la magie verte de source plus tellurique. Difficile d’en dire plus, car les pratiquants sont peu nombreux : Harmodius, le mage royal, quitte son étude au château lorsqu’il ressent l’énergie Sauvage de Thorn, le Pouvoir qui mène l’assaut. Mais, on s’en doute, les mages des deux bords sont plus nombreux, et cachent leur état comme leurs pouvoirs : l’abbesse, sa jeune novice Amicia, sans parler bien entendu du héros de cette histoire, dont l’éducation, mystère central de ce roman, aura été bien particulière, en prévision d’un tel évènement. Ce n’est peut-être pas très original, mais le héros qui détient un pouvoir très puissant et refuse de s’en servir, ça marche toujours. reste à connaître les raisons de ce refus, et c’est là que ça devient intéressant.

Ajoutez à cela une charretée de personnages secondaires, un découpage en saynètes bien localisées afin de ne pas se mélanger les pinceaux, des intrigues de palais, politiques ou amoureuses, des batailles à foison, et vous obtenez un roman touffu, lentement mais sûrement contaminé par la magie, jusqu’à son épilogue (avec un dragon... surprenant).

Je ne me hasarderai pas à des comparaisons, avec Gemmell ou d’autres. Restons dans le technique : « Le chevalier rouge » relève de la fantasy épique, avec un net penchant pour le réalisme, sans rien ôter au bruit et à la fureur habituels. Même en l’absence de carte (eh oui ! alors que c’est souvent indispensable en fantasy, en « un autre monde »), on ressent une forte inspiration de la Grande-Bretagne (la Galle proche, l’empire de Morée voisin, de l’autre côté d’une mer aisément navigable, et un Monde Sauvage facilement assimilable aux Highlands). Historiquement, les références aux savants grecs, la religion chrétienne et le code de chevalerie achèvent de nous présenter l’Alba (Albion ?) comme une version uchronique de l’Angleterre du Moyen-Âge.
Mais, encore une fois, toute ceci n’est qu’un socle où nous avons une partie de nos marques (ou croyons les avoir) sur lequel Miles Cameron tisse une fresque riche et foisonnante de chevalerie et de magie, le destin d’un homme modelé, les rencontres d’amis et d’ennemis d’autrefois, l’impact déterminant de certains petits gestes comme l’inutilité de des décisions.

Pour ceux qui auraient peiné sur ces 800 pages, il reste peu de choses en suspens après la bataille (hormis le mystère principal, mais il ne faudra pas être grand clerc non plus pour échafauder une hypothèse plus que probable au vu des indices récoltés : Cameron nous donne matière à comprendre de quoi il retourne), et il y aura eu suffisamment de morts pour que tous ceux qui attendent la suite n’aient pas à se souvenir de la pléthore de héros qui ont levé l’épée à Lissen Carak.

Je ne sais plus qui a dit que pour une bonne histoire fonctionne, il fallait qu’elle soit réaliste : si vous en avez assez de ces héros qui trucident des bataillons entiers d’orcs à eux seuls et sans une égratignure (genre le Drizzt de R.A Salvatore - quoiqu’il vieillit...), de ces petites compagnies façon jeu de rôles (1 guerrier + 1 mage + 1 voleur + 1 clerc...), bref de la fantasy Donjons et dragons, « Le Chevalier rouge » mérite de croiser votre route.

Signalons pour finir qu’il est nominé pour le David Gemmell Morningstar Award, pour lequel vous pouvez voter jusqu’au 30 septembre.


Titre : Le Chevalier rouge (The Red Knight, 2012)
Série : Renégat, tome 1 (The Traitor son, tome 1/3)
Auteur : Miles Cameron
Traduction de l’anglais (Canada) : Caroline Nicolas
Couverture : Didier Graffet
Éditeur : Bragelonne
Site Internet : page roman (site éditeur), une interview de l’auteur sur le site d’Orbit (anglais)
Pages : 826
Format (en cm) : 15,5 x 24 x 4
Dépôt légal : août 2013
ISBN : 9782352946601
Prix : 25 €



Terminons sur un minuscule bémol : un tel pavé recèle hélas une poignée de coquilles, parfois énormes. 19 repérées malgré des yeux se fermant tout seuls de fatigue à minuit passé, donc je ne jure de rien entre les pages 176 et 422.


Nicolas Soffray
24 septembre 2013


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