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Little Brother
Cory Doctorow
Pocket Jeunesse, roman traduit de l’anglais (Canada), anticipation, 442 pages, janvier 2012, 18,80€

Marcus, 17 ans, est un petit malin, qui se débrouille plutôt bien en informatique, suffisamment pour déjouer la surveillance vidéo de son lycée et faire ce qu’il veut avec son ordi portable scolaire.
Un jour qu’il sèche les cours pour une partie de jeu de rôle dans une rue de San Francisco, un attentat secoue la ville. Dans la panique, ses amis et lui sont ramassés par... des terroristes ?
Vu leurs méthodes brutales, l’interrogatoire qu’il subit et sa rétention en cellule, Marcus le croirait, mais non, c’est la DHS, la Défense de la Sécurité Intérieure. Parce que Marcus refuse de leur déverrouiller son smartphone, ils lui en font baver, ils le menacent, et lui promettent qu’ils l’auront toujours à l’œil avant de le relâcher. Lui, mais pas son ami Darryl, qui était cruellement blessé lorsqu’on les a ramassés.
Marcus va alors entrer en guerre contre le DHS. Parce qu’il a été humilié pour avoir simplement défendu ses droits et sa vie privée. Parce qu’il refuse que la guerre contre le terrorisme se fasse au prix de centaines de vies innocentes.



Parce que le DHS, sous couvert de trouver les terroristes et d’empêcher d’autres attentats, va commencer à collecter et examiner des données, en masse : votre carte de bus et votre badge de péage routier deviennent des mouchards, sans parler de votre téléphone. Tout ce que vous dites ou tapez au clavier peut être enregistré.
Marcus va commencer à sortir quelques outils à la portée de tous : ParanoidLinux, une Xbox Universal, le système TOR, et un peu de cryptographie... Et de diffuser son système, Xnet, pour permettre au plus grand nombre de pouvoir communiquer sans être espionné. Parce que nous ne sommes pas tous des terroristes, et que nous avons droit à notre vie privée et nos petits secrets.

Ainsi, à San Francisco, haut lieu de contestation américain, va naître une communauté secrète, d’ados pour la plupart, qui va s’ingénier à échapper au flicage permanent... et mettre des bâtons dans les roues du DHS, en brouillant les données de tout un chacun, protégeant la foule à son insu, faisant prendre conscience à toute la ville que personne n’est à l’abri d’être pris et traité comme un terroriste.

Bien sûr, il y a quelques irréductibles, qui acceptent ces quelques nuisances en échange du coup de balai que cela fait, en évacuant les trafiquants, dealers et autres criminels jusque-là trop protégés par la Loi. Au premier rang Charles, un autre lycéen, parfait petit fayot, et le père de Marcus.

A chaque riposte du DHS, qui présente, via la presse, les « Xnautes » comme des terroristes en puissance, des fauteurs de trouble (ce qu’ils sont), le cryptage monte d’un cran, Marcus et ses camarades de jeu sèment le chaos dans le système. Parce que le système est étouffant.

Seulement voilà, que peuvent des moins de 25 ans contre le gouvernement et sa sclérose de dinosaures accrochés à leurs privilèges et leurs terreurs ?

Se révolter. Ne rien lâcher.

Vous l’aurez compris, Cory Doctorow ne cache pas son admiration pour « 1984 » de George Orwell avec son « Little Brother ». Et de nous montrer que les dérives totalitaires ne sont jamais loin, même au XXIe siècle.

Citons par exemple le cas actuel d’Edward Snowden, informaticien à la NSA, qui a dénoncé le réseau PRISM d’espionnage des gouvernements européens mais aussi des citoyens lambda. S’il est extradé aux USA, il sera jugé comme espion, et pas acclamé en héros des libertés individuelles.

Et Julian Assange ?
Remontons quelques années en arrière : pour sa réélection, le président Obama promettait une vraie justice et une protection pour ceux qui dénonceraient les abus de pouvoir des états.
La réalité dépassera toujours la fiction.

Pour en revenir à celle-ci, la trame de « Little Brother » est bien tissée. Si cela commence très fort niveau informatique (on parle de TOR dès le premier chapitre), Cory Doctorow est bon pédagogue, et Marcus apprend et découvre des choses au fil des ripostes du DHS : réseaux cachés, cryptographie, clés publiques... Ce bouquin vous en apprendra beaucoup sur comment fonctionne la sécurité sur les réseaux de nos jours. Et il a été écrit en 2006 (et publié en 2008), aussi si ce sont des choses qui vous intéressent, vous constaterez que le monde n’a pas forcément changé dans le bon sens depuis (par exemple les conclusions judiciaires de The Pirate Bay et le devenir du Parti Pirate en Europe du Nord. Pour les anglophones, voir le documentaire The Pirate Bay - Away For Keyboard, diffusé sur Arte en 2013, qui illustre bien le fossé entre jeunes générations « hyperconnectées » et dinosaures à demi fossilisés).

« Little Brother » est écrit à destination des jeunes adultes. Parce qu’il faut commencer à ne plus être un enfant pour saisir toutes les implications de la vie privée. Et pour admettre que tout ce qui arrive à Marcus, de sa détention aux séances de torture, pourrait arriver. Arrive déjà dans certains endroits du monde.

Il est destiné à tout le monde. A qui n’a pas encore ouvert les yeux sur tout ce qu’Internet a changé, sur tout ce qui se fait à notre insu et avec notre consentement plus ou moins inconscient. Tout ce que la CNIL tente de réguler. Tout ce qui passe au travers du filet.

Quand Amazon vous suggère des livres d’après vos derniers achats, c’est pratique. Quand Google vous affiche des pubs avec des promos sur des articles auxquels vous vous intéressez, ça tombe bien. Quand FaceBook vous informe que votre dernier film préféré sort en DVD, c’est génial. Sauf que vous n’en avez peut-être pas envie. Et que si une machine sait ce que vous lisez, ce que vous achetez et de quoi vous parlez, qui d’autre peut le savoir ? Et que peut-il en faire ? Vous pousser à l’achat, vous enfermer dans des cases, vous catégoriser, vous juger. Pour une durée indéterminée. Pour un usage futur encore indéterminé.

Marcus et Cory Doctorow pointent surtout la très grosse faille d’un système de traitement de masses de données : il y a un pourcentage d’erreur. Quand on annonce une fiabilité à 99%, cela fait 1% d’erreurs. 1% de 800.000 habitants (à San Francisco), cela fait 8.000 personnes. Soit pour 10 terroristes cachés en ville, 7990 innocents qui seront traités comme des coupables.
Et bien sûr, ce système-là n’est pas fiable à 99%. Beaucoup moins, en fait.

Le San Francisco de « Little Brother » se transforme donc rapidement en état totalitaire, et le chaos organisé par les Xnautes n’engendre qu’une seule réponse des autorités : plus d’effectifs, pour plus de contrôle(s). Et l’auteur de rappeler, par la voix de son personnage, ce que font les terroristes : ils font peur aux gens. Mais que ressent-on lorsqu’on est contrôlé en permanence, fouillé au coin d’une rue ou devant son bureau, interpellé au hasard, toujours dans le champ d’une caméra ? De la peur. Quand la surprotection en arrive à juger suspect le moindre innocent, on a peur. Parce qu’on est humain, parce qu’on a nos petits secrets, nos petits écarts de la norme.

Pour s’en sortir, Marcus devra être hors normes : courageux quand il aurait voulu être lâche, confiant quand tout lui hurle d’être paranoïaque. C’est un ado de 17 ans, en plus amoureux : il est capable de tout. Qui pourrait en dire autant ?

Doctorow est un auteur très engagé sur les questions de vie privée sur le Net, tout comme sur le livre numérique. Il est hélas trop peu traduit en français. Et quand on voit la qualité de ce « Little Brother », on se dit que c’est bien dommage : jamais fond et forme, divertissement et information n’auront été aussi intimement mêlés, pour notre plus grand plaisir.


Titre : Little Brother (Little brother, 2008)
Auteur : Cory Doctorow
Postfaces : Bruce Schneier et Andrew Huang
Traduction : Guillaume Fournier
Couverture : Jeannie Harrel
Éditeur : Pocket Jeunesse
Site Internet : fiche du roman
Pages : 442
Format (en cm) : 22,5 x 14 x 3
Dépôt légal : janvier 2012
ISBN : 9782266187299
Prix : 18,80 €



Nicolas Soffray
16 juillet 2013


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