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Cantique pour Leibowitz (Un)
Walter M. Miller Jr.
Folio, collection SF, n°85, traduit de l’anglais (États-unis), science-fiction, 449 pages, juin 2013, 7,70€

Initialement publié en 1959, « Un cantique pour Leibowitz » est souvent considéré comme un classique. Traduit en français en 1961, et depuis lors régulièrement réédité (1971, 1977, 1983, 1994, 1998, 2001, 2013), il propose, à travers trois parties réparties sur plus de deux millénaires, trois longs épisodes exposant un futur possible de l’humanité. On pense donc à ces autres classiques que sont les « histoire du futur » inventées par divers auteurs, ou à cette fable remarquable qu’est « Demain les chiens » de Clifford D. Simak. Sur un ton très différent, à la fois tragique et drôle, « Un cantique pour Leibowitz » prend à leurs côtés une place méritée.



Fiat homo : dans cette première partie, six siècles après l’apocalypse nucléaire, il ne reste plus grand-chose qui vaille. L’église catholique, elle, a survécu, mais tant bien que mal – Rome a changé plusieurs fois de place – et ne règne plus que sur une humanité revenue au moyen-âge. Il faut dire aussi que le savoir est désormais considéré comme la source de tous les maux frappant l’humanité, et ceci non sans raison. Mais un homme, peu après l’apocalypse, a osé aller à rebours des tendances générales. C’est ainsi qu’Isaac Edward Leibowitz a fondé une nouvelle communauté de religieux ayant pris le nom d’Albert le Grand, maître de saint Thomas et patron des hommes de science. “Sa tâche, dont on ne parla pas d’abord, et qu’on définit très vaguement, serait de sauvegarder l’histoire du genre humain pour les arrière-arrière-arrière petits enfants des enfants des simples d’esprit qui avaient voulu la détruire.” Les membres de l’ordre sont soit des « contrebandiers en livres », soit des « mémorisateurs », au cas où les livres seraient malgré tout détruits. Leibowitz a payé cette audace de sa vie ; mais, après son martyre, l’église n’a pas manqué de le canoniser.

«  Une lumière éblouissante illumina les voûtes d’un éclat que l’on n’avait pas vu depuis douze siècles.  »

Fiat lux : dans cette seconde partie, une nouvelle fois six siècles plus tard, tout ce que saint Leibowitz et son ordre sont parvenus à sauver – livres, documents, et même liste de commissions – continue à être conservé sous forme d’un ensemble jalousement gardé nommé Mémorabilia. Des documents à tel point incompréhensibles que certains les nomment désormais Impenetrabilia. Mais c’est sans compter sur ce qu’espérait Leibowitz : l’arrivée d’un grand esprit, un de ces esprits comme il n’en naît qu’un tous les quelques siècles, un cerveau de la trempe d’Isaac Newton qui, à partir des bribes conservées de la science, va ranimer celle-ci. Dès lors, l’humanité renaît de ses cendres, le progrès est de nouveau en marche. Il s’en trouve plus d’un pour s’en féliciter : “Pendant douze siècles, nous avons été une petite île au milieu d’un océan de ténèbres. Préserver les Mémorabilia a été une tâche ingrate, mais sainte.

« La chute de Lucifer n’était qu’une déduction à laquelle on arrivait par la simple arithmétique en étudiant les bavardages du compteur de radiations, le mouvement soudain de la plume du sismographe. »

Fiat voluntas tua : se déroulant au quatrième millénaire, cette partie se situe dans un monde redevenu très semblable au nôtre. Des grandes puissances continentales, la réapparition de l’arme nucléaire, des traités de paix non respectés, l’hypocrisie, l’aveuglement. C’est reparti pour un tour, et pour une nouvelle apocalypse. La seconde, et sans doute la dernière. Mais l’humanité a commencé, très péniblement, à conquérir l’espace. Et l’Église a prévu, une nouvelle fois, de tout sauver : les Memorabilia de Saint Leibowitz vont partir pour une lointaine planète. Fin grinçante s’il en est : on devine qu’ils pourraient bien, au loin, aider à la répétition d’un même désastre.

Profondément humain, infiniment tragique et pourtant souvent drôle, inextinguiblement féroce, « Un cantique pour Leibowitz  » met en scène les échecs répétés, définitifs, de la religion, de la science, et, plus globalement, de l’humanité. Car dans ce récit où archives et mémoire jouent un rôle fondamental – l’équivalent collectif de l’expérience individuelle qui devrait mettre à l’abri de la répétition des erreurs – leur influence est hélas tragiquement détournée, donnant définitivement raison aux obscurantistes. Une fois de plus, l’enfer est pavé de bonnes intentions. Car, si le rêve d’Isaac Edward Leibowitz, « sauver un reste de culture humaine en le protégeant du genre humain » a été exaucé, ce qu’il advient montre que mieux eût valu protéger le genre humain des restes de la culture humaine, de la connaissance scientifique dont elle apparaît incurablement indigne.

Fable grinçante et intemporelle, « Un cantique pour Leibowitz  » accumule les questions philosophiques, comme celle de l’accès à la connaissance et sa mise à l’écart en attendant que l’homme soit « bon et pur, saint et sage » ( ou au contraire la course folle vers l’avant faisant dire à un personnage « Si vous attendez que l’ère soit née pour examiner ses entrailles, il sera trop tard pour prophétiser sa naissance. » ), celle de l’euthanasie qui constitue le véritable morceau de bravoure de la troisième partie où sont mis en place de véritables camps de la mort pour les personnes trop gravement irradiées, sans compter le déterminisme, la fatalité, la nature profonde et irréductible de l’Homme, la foi, la responsabilité, la nature du mal, et bien d’autres encore. Autant de thèmes, autant d’interrogations qui font de ce récit tragique et sarcastique un roman à la fois drôle et âpre, qui, malgré quelques longueurs, et malgré un certain manque de visibilité de la trame de fond de ces siècles futurs (le récit s’attachant surtout à quelques personnages), mérite d’être lu et relu.


Titre : Un cantique pour Leibowitz (A Canticle for Leibowitz, 1959)
Auteur : Walter M. Miller Jr.
Traduction de l’anglais (États-unis) : Claude Saunier
Couverture : Aurélien Police
Éditeur : Folio (édition originale : Denoël,1961)
Collection : Folio SF
Site Internet : page roman (site éditeur)
Numéro : 85
Pages : 449
Format (en cm) : 11 x 17,8 x 1,8
Dépôt légal : juin 2013
ISBN : 978-2- 07-044930-9
Prix : 7,70 €



Hilaire Alrune
8 août 2013


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