Ainsi qu’elle l’explique en préface, le « coup de cœur » est rarement un débutant, mais plutôt un auteur qu’on veut pousser en pleine lumière parce que son talent le mérite. Un coup de pouce à sa notoriété, puisque la qualité est déjà là.
Il arrive parfois que ça se chevauche avec l’obtention du prix Imaginales, mais n’allons pas imaginer des choses purement mercantiles. L’imaginaire est un cercle étroit comparé à la littérature blanche, aussi a-t-on simplement vite fait connaissance avec tout le monde. Surtout les bons.
Cette anthologie est donc l’occasion de faire le point, de voir ce que sont devenus les anciens, et de quoi sont capables les nouveaux. Premier constat : la variété est au sommaire. Signe d’un objet un peu travaillé, une bio à jour de chaque auteur au début du texte, un mot sur la genèse de la nouvelle à la fin.
2004 - Thierry Di Rollo
L’auteur était à l’époque dans la SF bien sombre (« Meddik »). Récemment arrivé à la dark fantasy avec « Bankgreen » et sa suite « Elbrön », il place “Une Simple Promesse” dans cet univers. Que vous ayez lu ou pas les romans, c’est délectable, sombre, triste et dramatique comme une vraie histoire d’amour impossible.
2005 - Jérôme Camut
Camut a abandonné l’imaginaire pour le thriller, et y fait recette, avec sa compagne Nathalie Hug. C’est donc pour lui un retour au genre que “Le Secret de Parsigou”, qui commence comme un fait divers, vire fantastique et termine SF : à la veille de la fin du monde d’après le calendrier maya, un journaleux doit interviewer les habitants du village le plus sain de France. Mais les vieux montagnards ont un secret jalousement gardé... Ambiance glauque à souhait dans cette histoire très contemporaine, qui en dit long sur la nature humaine.
2006 - Érik Wietzel
En voilà un qui fait de la bonne fantasy, mais nous place là une nouvelle fantastique. “Le Chirurgien” est un texte aussi froid que son personnage, praticien bien installé dans son confort et sa routine, jusqu’à ses aventures extra-conjugales. Tout bascule lorsqu’il se retrouve victime des symptômes des interventions qu’il pratique. Étrange et glacé, proche d’une sorte d’horreur médicale, le tout très maîtrisé, ciselé... au scalpel.
2007 - Rachel Tanner
Peut-être le texte le moins intéressant du recueil, “La Stratégie du chasseur” reprend la même héroïne que la nouvelle d’« Elfes et Assassins », une demi-elfe espionne. Si vous aimez les séries américaines à gros flingues, les tueurs au smoking jamais froissé ni taché, cela devrait vous plaire. Si le fond dénonce à juste titre des scandales que tout le monde veut passer sous silence, la forme relève de l’action pure et simple. Hélas seulement divertissant.
2008 - Mélanie Fazi
Qui n’a jamais lu Mélanie Fazi ferait bien de s’y mettre. “Trois renards” est un petit bijou, comme elle excelle à en produire, mêlant la magie d’un univers parallèle, le pouvoir de la musique et la triste réalité d’un couple qui se déchire, la féérie de la rencontre ayant laissé la place au quotidien et à la violence. C’est une histoire de perte de foi et de renaissance, et sans contexte le plus beau texte de cet ouvrage.
2009 - Jean-Philippe Jaworski
L’auteur de « Janua Vera » et « Gagner la guerre » nous emmène dans ses Vieux Royaumes avec “Profanation”, ou le regard d’un détrousseur de cadavres sur les conflits des dernières années. C’est presque un travail d’historien que Jaworski réalise là, dans un texte où la gouaille du narrateur, devant ses juges, cache à grand-peine la cruelle réalité de la vie en temps de guerre dans une civilisation comme notre Moyen-Age. La pirouette finale achève d’en faire un plaisir coupable.
2010 - Sire Cédric
“Séréna” est très courte. Un homme peut vous fournir ce que vous voulez, si vous y mettez le prix. C’est ce qui se passe... avec quelques inconvénients que le client avait pu ne pas envisager. Sire Cédric développe ici un personnage absent de ses romans, le père de son héroïne albinos. Montée en puissance graduelle du mystère, comme le client on avance de plus en plus fébrile, et contrairement à lui on rit presque à la fin.
2011 - Charlotte Bousquet
“La Nuit sur le plateau de K’fên” conte, encore et presque toujours avec Charlotte Bousquet, l’histoire d’une (jeune) fille qui veut vivre libre dans une société patriarcale. Elle s’enfuit, c’est dur, on la pourchasse, et puis elle se croit enfin libre, et ça ne dure pas. Récemment échaudé par les deux premiers tomes de « La peau des rêves », je partais peut-être avec un a priori négatif. Il s’est confirmé : cette histoire est pour la jeunesse, et la qualité de la plume ne fait pas oublier la vacuité du fond, son manque de profondeur et d’originalité. C’est pas mauvais, mais instantanément oublié.
2012 - Lionel Davoust
L’un de mes auteurs préférés livre ici un texte atypique, sur les dauphins à travers le discours d’un autiste. Une forme de témoignage plus ou moins direct, une histoire et une quête dont le narrateur n’a pas toutes les clés, au final un texte impossible à résumer, et très intriguant. L’auteur révèle (re)travailler “Derrière les barreaux” depuis des années, le résultat est éloquent.
2013 - Samantha Bailly
La benjamine du festival, et jeune auteure de surcroît, propose avec “Élixir” de la bonne SF, n’en révélant pas plus que nécessaire sur cette utopie futuriste où des empathes analysent les gens pour aider à déterminer leur aptitude à vivre en société, à vivre tout court dans la cité-dôme, derrière le bouclier d’énergie, protégés de l’Extérieur et de la jungle. Jusqu’au jour où... Tout en émotions, il prouve que la valeur n’attend pas le nombre des années.
Variété de fond, de forme, de talent. Le néophyte trouvera là un aperçu très varié de l’imaginaire français d’aujourd’hui, mais hélas pas un guide de lecture totalement fiable, entre les auteurs qui ont « changé de genre » avec les années, et ceux qui développent leur univers ou leurs thèmes de prédilection.
Pour mettre cette anthologie en parallèle d’« Elfes et Assassins », on appréciera (ou pas) l’absence de thématique commune, pour le plaisir (ou non) d’avancer en terrain inconnu.
Je ne sais quoi penser du montage-coloriage de Daphné Desroziers en couverture (apparemment la spécialité de l’artiste), qui fait quasiment office de repoussoir.
Si la quasi-totalité des textes sont bons, et quelques-uns valent franchement le détour, difficile de trouver à cette anthologie un réel intérêt en tant qu’unité, puisque unité il n’y a pas. Trop de genres différents, l’absence du moindre fil conducteur rend cet assemblage un peu artificiel.
En notre époque de livres électroniques, on n’en voudra pas à ActuSF de détricoter ce patchwork pour proposer les nouvelles à l’unité sur emaginaire. Car ce livre, c’est un peu la transition entre le papier et l’ebook : un pack découverte assez arbitraire. A 1,40 € la nouvelle, 14 € les 10.
Titre : Les Coups de cœur des Imaginales (nouvelles, anthologie des « coups de cœur » du festival de 2004 à 2013)
Préface : Stéphanie Nicot
Auteurs :
Une Simple Promesse, Thierry Di Rollo
Le Secret de Parsigou, Jérôme Camut
Le Chirurgien, Érik Wietzel
La Stratégie du chasseur, Rachel Tanner
Trois renards, Mélanie Fazi
Profanation, Jean-Philippe Jaworski
Séréna, Sire Cédric
La Nuit sur le plateau de K’fên, Charlotte Bousquet
Derrière les barreaux, Lionel Davoust
Élixir, Samantha Bailly
Couverture : Daphné Desroziers
Éditeur : ActuSF
Collection : Les 3 Souhaits
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 313
Format (en cm) : 20 x 14 x 3
Dépôt légal : mai 2013
ISBN : 9782917689516
Prix : 14 €
Pas plus de coquilles que dans l’anthologie annuelle (ça varie selon les textes, de zéro à...).