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Dans le livre des rêves
Mikkel Birkegaard
Fleuve Noir, traduit du danois, thriller / fantastique, 506 pages, avril 2013, 21,90€

Début 2010, les éditions Fleuve Noir avaient traduit « La Librairie des ombres », thriller aux relents fantastiques mettant en scène une secte de personnes capables d’influencer la lecture des autres, et ce faisant de générer non seulement des fictions étonnantes mais aussi d’autres réalités. Avec « Dans le livre des rêves », Birkegaard revient sur ces thématiques alléchantes : les livres, les confréries secrètes, les pouvoirs de la fiction.



Des éléments prometteurs

« Les planchers des étages avaient été supprimés de sorte que l’on pouvait voir à travers tout le bâtiment. Il n’y avait partout que des rayonnages, des rayonnages remplis de livres. C’était comme de se retrouver au fond d’un puits tapissé de livres. »

Copenhague, 1846. Orphelin de père, le jeune Arthur est sauvé de la délinquance par Mortimer Welles, un libraire dont il devient l’apprenti. Rapidement, il découvrira que les livres, et la liberté d’expression, sont l’enjeu d’une lutte secrète entre la Police des livres, une mystérieuse confrérie de bibliothécaires, et quelques autres personnages assez troubles. Tout tourne autour d’une bibliothèque secrète qui serait située à Copenhague – mais nul ne sait où – et où serait conservée l’intégralité des livres censurés par le pouvoir. Chacun est sur la piste de ce lieu introuvable, chacun espionne les autres, et, dans ce chaos et ce mystère, des individus disparaissent. Se seraient-ils approchés trop près de ce lieu mythique ? Mais si ces disparitions étaient liées à d’autres affaires, et non pas à cette bibliothèque dont beaucoup prétendent qu’elle n’est rien d’autre qu’une fiction ? Ne serait-elle pas « Un conte de bonne femme que des intellectuels rasants se répètent entre eux pour se convaincre de l’immortalité de la littérature  » ? Des intellectuels prenant leurs désirs pour des réalités, simplement parce qu’ils sont « effrayés à l’idée que les fours du ministère du livre soient le lieu de sépulture de certains ouvrages et que l’art majeur que nous appelons la poésie puisse être foulée aux pieds par la puissance et l’aveuglément de l’Etat  » ?
Mais Arthur et Mortimer Welles, particulièrement acharnés, découvriront une vérité effarante. À travers une série d’éléments fantastiques, ils accéderont à la Bibliothèque et à son contenu. Mais la connaissance, tout comme la censure, n’a-t-elle pas elle aussi un côté ténébreux ? Y aurait-il un revers insoutenable à la médaille ? Jusqu’où peut-on aller pour garantir l’existence et le secret d’une telle bibliothèque ?

Des insuffisances incontestables

Des tels éléments, on le voit, sont particulièrement prometteurs. Hélas, l’ouvrage ne manque ni de maladresses ni de défauts. La première partie du roman est entièrement gâchée par les péripéties du chapitre neuf, non seulement absurdes et invraisemblables, mais en plus totalement inutiles. On se demande pourquoi l’auteur convoque un moment les drogues mayas (dont il n’explique jamais le rapport avec Copenhague) avant de s’orienter ensuite vers les manipulations alchimiques, comme s’il avait du mal à choisir. On s’interroge ensuite sur le mode de passage entre le monde habituel et celui de la bibliothèque : avec ce bracelet qui permet de transiter de l’un à l’autre, Birkegaard ne parvient pas à convaincre ; il emprunte à la fois aux fictions de la fantasy (le bracelet magique) et high-tech (un clic sur l’ornement) sans parvenir à les fusionner entre elles, et encore moins avec son intrigue, d’où un aspect pacotille qui vient ruiner ses efforts. Mortimer Welles, le personnage principal, apparaît particulièrement prometteur ; mais ce libraire et rationaliste, après l’inévitable démonstration sherlock-holmesienne, devient aussi transparent qu’un fantôme, et les autres protagonistes peinent eux aussi à gagner la moindre consistance. Et l’on ne peut que regretter que les individus, tout comme les lieux, n’apparaissent les uns après les autres que lorsqu’ils sont nécessaires à l’intrigue.

Plus gênant encore, il est impossible de ne pas noter que ce livre consacré aux livres montre une absence singulière, et presque absolue, d’érudition. Pas ou très peu d’ouvrages cités (ce qui, sur un tel sujet, semblait de prime abord impossible) pas de foisonnement ni d’envergure, pas d’arrière-fond historique ni politique véritable, pas de réflexion sur la liberté ni la censure (pourtant sujet principal du roman) sauf très vaguement, et très superficiellement, lors du dialogue final, et quasi rien quant à la confrérie luttant en secret pour la liberté de l’information. Quant à ceux qui chercheront quelque vertige borgésien en rapport avec les bibliothèques, quelque démesure propre au thème, ils en seront pour leurs frais : malgré une très vague tentative d’évocation de livres mythiques au chapitre treize, l’écriture demeure basique et purement fonctionnelle, et l’on aurait bien du mal à reconnaître le moindre style à l’auteur.

On ne manquera pas s’interroger, par ailleurs, sur cette manie, pré-existante au« Da Vinci Code » mais explosive depuis, d’intrigues historico-ésotériques marquées en général par trois constantes. Tout d’abord, elles sont constituées d’étapes successives, façon jeu de piste de colonies de vacances, ce que rien ne vient réellement justifier, si ce n’est la nécessité de faire se succéder les chapitres. Ensuite, malgré leur caractère multiséculaire, la plupart de ces étapes, du niveau des rébus ou charades pour enfants que l’on trouve imprimés à l’intérieur des emballages de confiseries, devraient avoir été résolues même par les individus les plus médiocres des générations précédentes. Enfin, alors que de manière inexplicable seuls les héros ont su réussir ces premières étapes, ils solutionnent la dernière question, véritablement infaisable, comme s’il s’agissait d’une évidence absolue. Des défauts, des constantes, des rituels qu’il n’était pas nécessaire de reprendre une fois encore.

Un beau sujet, un traitement insuffisant

On a donc l’impression que l’auteur n’est pas à la hauteur des ses ambitions, à moins qu’il n’ait cherché à tout prix à rester « grand public » sur une thématique qui ne l’était pas. On ne peut pas dire que « Dans le Livre des rêves  » soit fondamentalement mauvais : son idée de base est intéressante et son découpage en soixante-quatorze chapitres brefs lui permet de tenir le lecteur en haleine. Les amateurs de thrillers devraient donc l’apprécier. Pourtant, malgré ses plus de cinq cents pages, son défaut de densité sautera aux yeux des lecteurs exigeants, qui se plairont sans doute à rêver à ce que « Dans le livre des rêves » aurait pu être.


Titre : Dans le livre des rêves (Fra Drommenes Brog,2012)
Auteur : Mikkel Birkegaard
Traduction du danois : Frédéric Fourreau
Éditeur : Fleuve Noir
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 508
Format (en cm) :14 x 22,7 x 3,2
Dépôt légal : avril 2013
ISBN : 978-2265097186
Prix : 21,90 €



Hilaire Alrune
16 avril 2013


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