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Rois des sables (Les)
George R.R. Martin
J’Ai Lu, science-fiction, n°8494, traduit de l’anglais (États-unis), SF, 285 pages, février 2013, 6,90€

Si George R.R. Martin est surtout connu pour son interminable saga du « Trône de fer », beaucoup ont tendance à oublier qu’il n’est pas seulement l’artisan d’une œuvre à rallonge, et qu’il sait à l’occasion pratiquer la forme courte. À travers les nouvelles rassemblées dans « Les Rois des sables », on découvre un auteur marqué à la fois par les auteurs de l’Âge d’Or de la science-fiction et par les Grands Anciens du fantastique, mais aussi, dans ces récits écrits au cours des années soixante-dix, une inclination certaine pour la dimension légendaire et les formes de la fantasy.



La fantasy aux confins de la science-fiction

Par la croix et le dragon ” met en scène, dans un monde futur, un Inquisiteur chargé de mettre fin aux hérésies émergeant sur diverses planètes. À travers la description d’une hérésie flamboyante, baroque, inventive, cette nouvelle débute d’une manière exceptionnelle. Mais elle se révélera, un peu plus loin, entachée d’un défaut narratif considérable. Sans trop en révéler au lecteur, le fait que cet Inquisiteur, dont la vie n’est par essence rien d’autre qu’arguties et sophismes, syllogismes et rhétoriques en tous genres, se fasse retourner à l’issue d’un dialogue de quelques minutes et avec des arguments au demeurant assez faibles, vient grever, sinon même ruiner, cette nouvelle ambitieuse.

Aprevêpres” est un texte anecdotique aux accents fortement marqués de fantasy et se révélant en définitive, au terme d’une chute passablement téléphonée, ressortir de la science-fiction, “Vifs-amis” décrit un futur dans lequel il est possible de fusionner – ou du moins d’essayer – avec des entités stellaires, l’échec étant sanctionné par rien moins que la mort. Un explorateur spatial voit l’âme sœur y parvenir, mais lui ne parvient pas à passer le cap. Il cherche d’autres manières de garder intact son amour : rêves, élégies, romantisme éthéré, il y a là aussi des accents de fantasy. Plus âpre, “La Dame des étoiles ” décrit les mésaventures d’une jeune femme échouée sur une planète aux mœurs pas vraiment tendres. La demoiselle va s’y révéler étonnante, à travers un récit qui, par sa narration, cherche à évoquer la légende. “La Cité de pierre”, enfin, met en scène un voyageur de l’espace échoué aux abords d’un astroport régenté par d’étranges créatures aux allures de renards, les Dan’lais. Comme son titre le laisse supposer, la composante science-fiction peu à peu s’estompe, le légendaire, à travers les évocations de voyageurs mythiques peu à peu s’impose, et le récit s’achève dans les souterrains d’une cité plurimillénaire, vers une fin ouverte, ambiguë, et qui elle aussi semble ressortir de la légende.

Écrits dans les années soixante-dix, ces textes proposent une S.F. qui d’une part évoque l’Âge d’Or des décennies antérieures, et d’autre part s’oriente vers des aspects médiévaux et baroques, vers le mythe, une tendance du début des années quatre-vingts, comme en témoigne par exemple le Cycle de Tiamat de Joan D. Vinge. Des aspects qui finiront par l’emporter au détriment de la composante anticipation, laquelle s’estompera progressivement, et deviendront emblématiques de la fantasy telle qu’elle commencera véritablement à se développer peu après, et qui vaudra à George R.R. Martin un succès rien moins que considérable.

Des nouvelles horrifiques

Les Rois des sables ” décrit, dans un monde futur, l’acquisition par un amateur d’animaux exotiques de colonies de créatures dont il ignorait l’existence, des animaux pourvus d’astuce et de très légers pouvoirs psioniques, des combattants grâce auxquels il pourra assouvir sa passion quelque peu morbide en attisant leurs affrontements. Mais il ne respectera pas entièrement les consignes données par le marchand, et, dès lors, s’amorcera un engrenage lent et implacable le menant à sa perte. La nouvelle est prenante, mais souffre elle aussi de certaines limites : la dérive psychologique du personnage apparaît trop rapidement décrite, à la fois pour être crédible et pour participer pleinement à l’intrigue, et la surprise finale, superflue, donne l’impression que l’auteur veut à tout prix en faire trop.

En venant faire écho aux aspects horrifiques des “Rois des sables”, “Dans la Maison du ver” , qui ne figurait pas dans l’édition précédente (également chez J’ai Lu, en 2007), donne une dimension particulière à la nouvelle mouture de ce recueil. Sur un mode plus purement fantastique, une sorte d’uchronie médiévale, peut-être Renaissance, une population manifestement décadente voue un culte dégénéré au Ver blanc. Sous leur monde s’étend un réseau sans fin de souterrains où ne s’aventurent en principe que les Viandards, sortes de bouchers capables d’y tuer une créature terrifiante. À travers les errances d’un personnage que rien ne prédisposait à arpenter ce monde, à travers la description de ce labyrinthe de peur et de ténèbres, George R.R. Martin instaure un malaise certain, qui n’est pas sans évoquer la grande époque du fantastique des revues américaines et les influences clairement identifiables des trois maîtres du genre : Howard Philips Lovecraft pour ses aspects horrifiques, Robert Erwin Howard pour l’action, et enfin Clark Ashton Smith pour la part de décadence et une fin inattendue, particulièrement amère, limite théâtrale, mêlant drame et dérision. Si cette nouvelle, qui cherche peut-être à en faire trop, n’atteint peut-être pas le niveau des meilleures œuvres de ces maîtres, elle mérite toutefois amplement la lecture, et ses souterrains claustrophobiques et terrifiants, ainsi que sa touche finale, risquent de marquer durablement le lecteur.

Des récits prometteurs

Au total, si les nouvelles de ce recueil sont pour la plupart estimables, et même, pour certaines, au-dessus du lot, elles sont entachées de défauts mineurs qui les empêchent d’être pleinement abouties. On note en particulier, chez ce George R. R. Martin des années soixante-dix, une tendance à vouloir en faire trop sans avoir la puissance de style ni la richesse lexicale requises, et des défauts récurrents d’équilibre et de cohérence suffisamment nets pour lui interdire l’accès au statut de nouvelliste de tout premier plan. On ne peut s’empêcher, par exemple, de rêver à ce qu’un Lucius Shepard aurait pu faire des “Rois des sables ” ou de “Par la croix et le dragon”. Mais peut-être est-ce, en définitive, la qualité des idées de Martin qui rend le lecteur trop exigeant à son égard. Quoi qu’il en soit, « Les Rois des sables » méritait cette réédition augmentée, et l’aurait méritée même en l’absence du succès actuellement rencontré par l’auteur du Trône de fer.


Titre : Les Rois des sables (Sandkings, 1979)
Auteur : George R.R. Martin
Traduction de l’anglais (États-Unis) : Brigitte Ariel, Sara Doke et Pierre Paul Durastanti
Couverture : Philippe Gady
Éditeur : J’ai Lu
Site Internet : page roman (site éditeur)
Numéro : 8494
Pages : 285
Format (en cm) : 11 x 18
Dépôt légal : février 2013
ISBN : 978-2-290-06989-9
Prix : 6,90 €


George R.R. Martin sur la Yozone :
- « Le Chevalier Errant », suivi de « L’Épée Lige » (Préludes au Trône de Fer) version J’ai Lu et version Pygmalion
- Le Trône de Fer : « L’Intégrale 1 »
- Le Trône de Fer : « L’Intégrale 2 »
- Le Trône de Fer : « L’Intégrale 3 »
- Le Trône de Fer : « L’Intégrale 4 »
- Le Trône de Fer : « Le Bûcher d’un Roi », tome 13
- Le Trône de Fer : « Les Dragons de Meereen », tome 14
- Le Trône de Fer : « Une danse avec les dragons », tome 15
- La saison 1 de la série « A Game of Thrones »


Hilaire Alrune
27 mars 2013


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