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Masky
Viviane Etrivert
Argemmios, roman (France), fantasy ou histoire ?, 323 pages, novembre 2012, 20€

Velky, un village tranquille de Moravie, en Bohême, à la fin du XVIe siècle. Alors qu’on célèbre les noces de Vaclav et Marie, le juge Michna est assassiné en plein forêt, par une entité fantomatique grimée en moine. C’est l’émoi dans la bourgade où cohabitent, sans trop de heurts, catholiques, luthériens et adeptes des vieilles croyances, ancêtres et forces telluriques. Avec la neige arrive le nouveau juge : malheur, il a autrefois été banni du village, et semble déterminer à se venger en instaurant une politique judiciaire de terreur...



Vivane Etrivert fait ici œuvre d’historienne et de folkloriste Son Masky oscille entre enquête policière et roman fantastique, tant il semble tour à tour que la main assassine soit humaine ou spectrale. On découvrira finalement ce qu’il est, un juste entre-deux (le surnaturel a parfois besoin d’un petit coup de main des hommes) dans une histoire de vengeance sur fond de sorcellerie.

C’est la sorcellerie, et la foi au sens plus large, qui est au cœur de cette histoire. Au travers des notables de la communauté de Velky, l’auteure dresse un portrait moral et intellectuel de cette fin de XVIe siècle. On croise un médecin français, fils de cathares, et l’astronome Képler, en représentants des sciences modernes. Des prêtres rigoristes dans les détails de leur foi mais capables de s’entendre autour d’une bonne table adoucissent nos images d’une époque marquée par les conflits religieux, toujours présents mais plus lointains. La vallée est un havre de calme. Un tel refuge que les anciennes croyances y perdurent, profondément ancrées dans la population, qui va à la messe pour la forme, sans renier les puissances naturelles. Lena, la mère de Vaclav, est la gardienne du passé : esprits sylvestres, mère nourricière, ancêtre vivant sous le foyer de la cheminée, cultes anciens, fées... C’est elle qui endosse l’esprit de la terre-mère lors du passage des morts entre Noël et le jour des Rois, c’est elle qui conduit les célébrations dans le temple souterrain. C’est elle qui transmet à sa belle-fille et aux autres femmes les secrets de guérison, de l’accouchement, de la fertilité des terres et des ventres.

La mort du juge et la nomination à sa place d’un ancien fonctionnaire banni autrefois pour avoir pioché dans les caisses met la ville sens dessus dessous. Comme tous le craignent, Stepan Riha est revenu avec des idées de vengeance. Le livre Malleus Maleficarum en main, il va purger la ville de la sorcellerie, trouvant des boucs émissaires parmi les marginaux. Puis c’est la spirale infernale, que Viviane Etrivert reconstruit d’après les faits d’époque retrouvés par les historiens : chacun voit la sorcellerie dans le moindre petit malheur, et s’empresse d’aller dénoncer qui sa voisine, qui un parent lointain, l’accusant des pires pratiques, d’assister au sabbat ou de lancer des sorts. La loi partageant les biens du coupable entre le juge et son délateur, tous sont gagnants... Riha terrorise la ville, placardant les pires crimes au front de citoyens sans histoires, voire appréciés de tous... et empoche leur fortune, grosse ou maigre. La torture, qu’il pratique allègrement, arrache des aveux de magie noire aux plus innocents. Et son livre, le manuel des inquisiteurs, est là pour lui fournir arguments, indices, pistes et jugements exécutoires...

Mais on ne terrorise pas impunément une population, tôt ou tard certains refusent de plier plus longtemps l’échine. Dans « Masky », certains s’opposent en public à Riha, et le paient de leur vie ou de leur réputation. D’autres préfèreront des voies plus directes, plus définitives...

Riche en détails historique sur les procès de sorcellerie, le roman retranscrit parfaitement le basculement d’une communauté unie dans la terreur et la suspicion permanente. On pourrait craindre que l’auteure étale le fruit de ses recherches, tant elle détaille certaines pratiques de l’époque (le charivari, par exemple) ou lorsqu’elle lance deux personnages dans une joute verbale où chacun fait montre de son savoir, tiré de ses lectures ou de ses voyages. Crainte envolée, grâce à la plume de l’auteure, cette érudition s’intègre bien dans le roman, le densifiant d’anecdotes qui immergeront le lecteur dans la société européenne du XVIe siècle. Cette richesse du fonds permet également de mieux comprendre la folie qui s’empare de la ville et de ses élites lorsque commence la chasse aux sorciers et sorcières. On passe du merveilleux, avec ses ombres et ses lumières, à la terreur, omniprésente, de l’inquisition. La science, la justice et l’esprit sont abolis face à la machine bien huilée des procès où l’accusé(e) est coupable dès le départ, culpabilité que la torture et l’exécution confirmeront de toute façon.

Excellent mélange entre Histoire et merveilleux, « Masky » est un roman prenant, érudit, à l’écriture exigeante mais à la lecture captivante et enrichissante. La frontière entre fiction et Histoire n’a jamais été aussi mince, et au vu du résultat, on ne s’en plaindra pas. Certaines leçons rentrent mieux sous couvert de fiction : nous voici désormais savants quant à certaines réalités de la sorcellerie à la Renaissance.


Titre : Masky
Auteur : Viviane Etrivert
Couverture : Krystal Camprubi
Éditeur : Argemmios
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 323
Format (en cm) : 20 x 14 x 3
Dépôt légal : novembre 2012
ISBN : 9782919049066
Prix : 20 €



Nicolas Soffray
21 février 2013


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