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Chère Patagonie
J. Gonzalez
Dupuis

Au gré des colonies et de la vie politique argentine, la Patagonie a connu de nombreux bouleversements. Ses habitants indigènes, que tout le monde souhaitait voir disparaitre (sauf dans les zoos !), ont été frappés de plein fouet par ces changements.
L’auteur, qui vit aujourd’hui en Espagne, est né en Argentine. Il tente ici de nous livrer un peu de son histoire, de l’origine de ses aïeux et de ses paysages de jeunesse.



Deux éditions sont proposées pour ce livre. L’ouvrage bénéficie en effet d’un tirage de tête numéroté de 1 à 777 exemplaires (dont uniquement 700 à la vente). Pour trente cinq euros, cette édition collector est enrichie d’un dessin inédit imprimé sur papier Modigliani signé par l’auteur. Au vu de l’excellente qualité de l’édition tout public, cette édition « de luxe » s’avère tout à fait dispensable. En effet, l’éditeur a choyé cette parution, ne serait-ce que par la qualité du papier utilisé qui met parfaitement en valeur ce roman graphique. La lecture de ces 280 pages n’en est que plus plaisante.
Et oui, car cette BD hors norme nous propose bien 280 planches pour narrer son histoire. 280 pages de voyages dans le temps et l’espace pour nous présenter, un peu, l’histoire de la Patagonie argentine, ce territoire situé à l’extrême Sud du pays. 280 pages nécessaires à l’auteur, Jorge Gonzalez, pour nous décrire la complexité de ses origines, les bouleversements dans l’Histoire de ces contrées méconnues.

Selon ses propres termes, Jorge Gonzalez voulait essayer de comprendre d’où il venait, sa place en Argentine et l’histoire de son pays. Il tenait à retranscrire une image assez fidèle de l’évolution des tribus autochtones au fil des générations. Pour cette tâche, il s’est entouré de trois auteurs sud-américains, dont certains, comme Horacio Altuna qui a réalisé de nombreux strips érotiques, ne sont pas forcément spécialistes du genre. Cette fresque historique, découpée en neuf chapitres, prend son temps. Elle débute ainsi en Terre de Feu en 1888 et s’achève à Buenos Aires en 2009.
Il est assez ardu de résumer le scénario de cet album. Même si l’ensemble possède un fil directeur (parfois difficile à trouver d’ailleurs), on plonge ici dans une série de faits historiques, d’anecdotes, de pensées personnelles, de moments d’observation muets… La structure habituelle de la bande-dessinée est mise de côté au profit d’une errance contemplative. Il ne faut pas comparer cette œuvre au comic-book américain ou à la BD franco-belge. Jorge Gonzalez, l’auteur de l’excellent “Bandonéon”, nous offre un autre style. Peut-être que celui-ci sera considéré plus tard comme un exemple type de roman graphique sud-américain, si tant est que les livres de ce continent connaissent une meilleure diffusion.

L’auteur nous propose ici une vision de ses racines telles qu’il les vit, les sent, les imagine. Ne vous attendez donc pas à une présentation studieuse des facettes sociales, économiques et historiques de cette région. En revanche, vous y trouverez, peut-être, tout ce que les livres d’Histoire ne mentionnent pas : l’état d’esprit de ses habitants et les zones d’ombre de certains faits historiques. Cette expérience graphique, que l’on peut difficilement qualifier de BD, nous plonge de manière indirecte dans le tourbillon de l’histoire argentine et de ses événements assez peu connus en France.

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A la fin du livre, vous trouverez des éléments complémentaires explicatifs, comme un glossaire ou des précisions historiques liées à chaque chapitre. Ces données vous permettront de reprendre l’ouvrage sous un autre œil, avec une vision plus aguerrie et mieux informées des réalités passées. Certains regretteront sans doute de ne pas avoir eu connaissance de ces éléments au début du livre, avant d’attaquer les nombreuses pages du livre. Mais je ne pense pas que cela soit une bonne idée. Pour pleinement profiter de ces planches, il est, selon moi, indispensable de les contempler avec un regard neuf, candide. On s’imprègne ainsi de l’univers et des sentiments rendus par l’auteur. On accepte de se perdre parfois, quitte à comprendre bien plus tard la signification des dessins. Et de toute façon, avec ou sans ces quelques explications supplémentaires, vous replongerez avec plaisir dans la lecture de ce pavé. Ne serait-ce que pour la qualité des dessins.

Le style graphique varie d’une histoire à l’autre, voire d’une planche à l’autre, alternant entre le découpage en cases traditionnel, les images en double page, les séquences ultra-détaillées à la manière d’un story-board, les esquisses grossières au crayon ou au stylo-bille, la mise en page anarchique façon carnet de voyage, l’extrait d’un livre indigène racontant les origines du monde en espagnol, des dessins magnifiques au fusain ou à la peinture comme on peut les trouver dans certains art-books… mais tous sont liés par la narration. Le lecteur se trouve ainsi noyé dans les pensées de l’auteur, soumis à diverses inspirations. Charge à lui parfois d’identifier l’origine ou la signification de l’illustration.

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Les plus belles illustrations restent ces planches peintes avec des pastels gras et de la peinture à l’huile sur une base de crayon. Elles constituent la majeure partie de l’ouvrage et confèrent une vision magnifique à ces paysages désolés. Ces teintes de gris, entre ciel et terre, offrent une impression d’espace sans fin. Jorge Gonzalez aime également conserver ses traits de crayons, ses premières esquisses, sur le dessin. Si cela peut étonner de prime abord, ce principe accentue le côté vivant du dessin en donnant une impression de mouvements ou de flous. Selon l’auteur, c’est sa façon de conserver la mémoire des premiers traits de crayon, comme il tente de conserver le souvenir de son pays natal.

Beaucoup essayerons sans doute d’intellectualiser les planches de Jorge Gonzalez. La presse écrite, dithyrambique sur son travail, ne s’en prive pas. J’en suis totalement incapable et reste persuadé que ce n’est pas la meilleure façon de faire connaitre ce livre. Un succès critique est rarement un succès commercial. Pourtant, cet album mérite la reconnaissance du public. Ses planches magnifiques, sa mise en page originale et ses différents degrés de lectures font de ce livre l’un des meilleurs ouvrages de cette fin d’année.
Certes, il n’est pas donné, mais pour 280 pages, vous conviendrez que le rapport qualité/prix est exceptionnel. A découvrir de toute urgence donc.


Chère Patagonie
- Scénario : Jorge Gonzalez, Alejandro Aguado, Hernán González et Horacio Altuna
- Dessin : Jorge Gonzalez
- Éditeur : Dupuis
- Collection : Aire libre
- Dépôt légal : 24 août 2012
- Format : 234 x 323 mm
- Pagination : 280 pages couleurs
- ISBN : 978-2-8001-5613-2
- Prix Public : 26,00 €


Illustrations © Gonzalez et Dupuis (2012)



Allison & Julien
4 février 2013




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