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Wagon (Le)
Philippe Saimbert et Isabelle Muzart
Asgard, Nuits d’avril, roman (France), fantastique, 226 pages, novembre 2011, 15€

Qui réserve, achète ou composte un billet ne sait jamais vraiment où celui-ci va le mener. Les trains, les gares, les voies ferrées sont propices aux dérives fantastiques. Rencontres inattendues, wagons hantés, contrôleurs ou passagers fantômes, destinations douteuses, aiguillages diaboliques, paysages effarants, gares maudites : de telles occurrences ont été si souvent explorées que le fantastique ferroviaire apparaît comme un genre à part entière, et que des anthologies spécifiques lui ont été consacrées – citons à titre d’exemple les « Histoires de trains fantastiques » rassemblées par Danny De Laet à la Librairie des Champs-Élysées dans les années 1980, ou le recueil établi par Philippe Gontier, « Trains de cauchemar », paru début 2012 aux éditions La Clef d’Argent. La publication d’un roman fantastique intitulé « Le Wagon » ne pouvait donc que susciter, de la part de l’amateur de genre, une curiosité bien légitime.



Dans un petit pays d’Europe centrale, qui ne sera jamais nommé, de mystérieux phénomènes sont observés par les passagers d’une ligne de chemin de fer : des lueurs écarlates, sans rapport aucun avec le crépuscule, y baignent les profondeurs isolées de la forêt. Rien ne vient expliquer ces apparitions lumineuses ; elles inquiètent tant la population que nul ne veut plus emprunter cette ligne.

Lhoman, dont il est difficile de savoir s’il est un habile homme d’affaires, un escroc ou un simple opportuniste, organise un voyage ferroviaire pour riches touristes : tous auront l’occasion de voir de leurs propres yeux ces mystérieuses lueurs, et peut-être même d’en savoir plus. C’est ainsi que prennent place à bord d’un wagon réaménagé façon Orient-Express, outre Lhoman et un acolyte du nom de Hornet, les époux Richter, Hunt et ses deux enfants, Henri Domergue, une jeune journaliste, Veronika, et un inquiétant personnage du nom de Lazlo.

Mais le voyage ne se passe pas comme prévu. Si les mystérieuses lueurs sont bien au rendez-vous, les ennuis le sont également. Nul ne sait ce qui arrive au convoi, mais, après une série de secousses violentes, il s’immobilise en pleine nuit, en plein brouillard. Les voyageurs descendant sur le ballast découvrent que le wagon a été abandonné au cœur de la forêt. Dès lors, l’épouvante s’installe.

En utilisant avec mesure la psychologie des personnages, sans en faire trop comme on le voit si souvent dans les récits de genre élaborés outre-Atlantique, ce bref récit d’à peine plus de deux cents pages parvient à instaurer une ambiance oppressante. Tout doucement d’abord, à la manière de ces métrages fantastiques qui, avec de très simples effets – un peu de brouillard, une apparition furtive, des bruits inquiétants – parviennent à générer progressivement l’angoisse. Puis à un rythme sans cesse croissant, l’horreur revient, les péripéties s’accumulent. On notera ainsi, dans les morceaux d’anthologie de ce roman, un passage très visuel, à la fois horrifique et dramatique – mais où les férus d’humour macabre devraient également trouver leur compte – où Hornet parvient à s’ébouillanter de manière fatale avec un percolateur à café de son invention. Mais la suite réserve des surprises plus âpres encore, en un crescendo savamment élaboré. Usant d’une écriture fonctionnelle, d’un style simple et purement descriptif, Philippe Saimbert et Isabelle Muzart déroulent une intrigue qui emmènera personnages et lecteurs bien plus loin que la destination prévue.

Avec habileté, et en recourant à des éléments visuels trop ostensibles pour ne pas renvoyer aux métrages de genre, les auteurs parviennent à instaurer le doute dans l’esprit du lecteur : tout ceci ne serait-il qu’une mise en scène particulièrement habile de Lhoman destinée à en donner pour leur argent aux voyageurs ? La mort de son complice Hornet est-elle bien réelle ? Le cadavre qui s’effondre hors du nuage de fumée est-il bien un véritable cadavre ? D’autres éléments – cette apparition au visage étrange, ces mains difformes, sanglantes, qui dans le brouillard viennent marteler les vitres du wagon – ne ressortissent-ils pas trop des artifices classiques du cinéma d’épouvante pour ne pas susciter la méfiance ? Les auteurs, avec une pointe de machiavélisme jubilatoire, parviennent ainsi, à plus d’une reprise, à créer le doute et à aiguiller les lecteurs, hésitant entre la supercherie et les manifestations surnaturelles, vers des directions qui ne seront pas les bonnes.

Car les éléments dramatiques, bouleversants, s’accumulent, et comme on pouvait s’y attendre les voyageurs, les uns après les autres, sont victimes de phénomènes qui échappent à toute compréhension, d’une menace que nul ne voit jamais réellement, d’agresseurs sans pitié dont on ignore la nature. Décimé, le petit groupe s’amenuise, et c’est à quelques kilomètres de là, dans une vieille gare à l’abandon, que le roman trouvera son épilogue. Un épilogue inattendu, véritable prouesse de ce roman, d’une noirceur et d’un caractère dramatique bien au-delà de tout ce à quoi l’on croyait pouvoir s’attendre. Nous ne saurions ici dévoiler une fin qui donne à ce roman tout son poids. Prenant sa naissance dans les tourmentes de l’Histoire, ce récit mêle en dernier ressort le grand trouble des songes et l’abomination du réel, et se termine sur un final à la fois philosophique et métaphysique qui fait honneur au genre.

Pour finir, cette chronique ne saurait être complète sans mentionner deux points qui, pour accessoires qu’ils puissent paraître, ne sont pas entièrement négligeables. L’ouvrage a bénéficié d’une relecture, manifestement sérieuse, de Franck et Michel Guilbert. Pas de coquille majeure, donc, ce qui devient assez rare pour pouvoir être noté. Autre souci du détail, l’illustration de couverture de Jimmy Kerast apparaît particulièrement réussie. Elle parvient non seulement à intégrer plusieurs éléments clefs du roman – le wagon isolé dans un endroit désert, l’étrange lueur écarlate, la masse noire et menaçante de la forêt – mais aussi à recréer son atmosphère oppressante et crépusculaire : une étroite adéquation avec le récit qui méritait d’être soulignée.

Texte - 901 octets
Coquilles Le Wagon

Titre : Le Wagon
Auteur : Philippe Saimbert et Isabelle Muzart
Couverture : Jimmy Kerast
Éditeur : Asgard
Collection : Nuits d’avril
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 226
Format (en cm) : 15,5 x 23,5 x 2
Dépôt légal : novembre 2011
ISBN : 978-2-919140-21
Prix : 15 €



Hilaire Alrune
6 février 2012


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