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Mémoire de l’Orchidée (La)
François Fierobe
La Clef d’Argent, KholekTh, n°12, nouvelles (France), fantastique, 178 pages, décembre 2011, 12€

Un club sans nom, des objets impossibles, une ville introuvable à qui la cherche... Nombre de bizarreries sont recensées ici, dans une tentative de l’esprit humain d’informer, de partager, et peut-être de comprendre ces choses qu’il entrevoit et qui lui échappent.



François Fierobe nous invite, dans ce recueil de nouvelles, à de nombreux voyages. Il va s’agir de voir la frontière, pas n’importe laquelle : celle de notre esprit, de notre compréhension, de notre acceptation de l’étrange, de l’illogique, de l’impossible.

Dans un style à la fois riche (côté vocabulaire) et sobre (un ton d’encyclopédiste domine notamment la seconde partie), l’auteur commence par ressusciter l’ambiance des clubs anglais, avec « les archives du club sans nom » : trois textes relatant des aventures survenues aux membres du(non)dit club.
La Mémoire de l’Orchidée”, éponyme du recueil, voit le narrateur tester une drogue exotique qui lui révèle la véritable beauté, et la véritable couleur de notre monde, avant d’effacer totalement son existence de la réalité, laissant le personnage en proie au doute, non de ce qu’il a vécu, mais de la réalité désormais terne qui l’entoure. Magnifique entrée en matière en dégradés de rouge, parfaitement illustrée par Sébastien Hayez en couverture.
Une Méditation chez Darwin” est une brève affaire de fantômes à tiroirs, pourrait-on dire, plus légère, où l’on sent que l’auteur, sans laisser faiblir son style, s’amuse, et nous avec lui. Le jeu se poursuivra d’ailleurs avec la 3e partie de l’ouvrage, « estaminets et sortilèges », dans laquelle “Chassé-croisé au café Dante” reprend la même trame, et la tord un peu plus. “La Terrasse des âmes perdues”, qui suit, est dans le même registre, mais une forme de poésie vient s’ajouter à l’étrange.
Mais terminons déjà le début. Avec “La ruelle aux empuses”, le lecteur accompagnera deux membres du club dans une étrange expédition, à la recherche d’un lampadaire manquant les soirs de brouillard. Découvrant une ruelle gothique, les deux hommes vont passer de l’autre côté du miroir, et bien vite en revenir. Frôlant la terreur lovecraftienne, cette nouvelle est un véritable hommage au Maître de Providence : la tension monte, description après description, jusqu’à l’horreur indicible. Indicible car refusée par l’esprit même, qui veut nier tout ce qu’elle est, et jusqu’à sa propre existence, tant ce fait même peut mettre en péril la santé mentale. Certainement la nouvelle la plus horrifique du recueil, mais preuve supplémentaire du talent de l’auteur.

Avec « Artefacts et singularités », nous entrons dans une sorte de « catalogue de l’impossible, de l’improbable mais pourtant... ».“Géométries caniculaires de Rascanges” se présentent comme la critique d’un livre introuvable inventoriant des objets mystérieux, rompant avec le possible, et tous venus d’une ville, Rascanges, qui vient à vous car qui veut y venir ne trouvera pas son chemin. Tout cela fleure bon le fantastique de la vieille école, et la plume de François Fierobe fait merveille.
Listant tout un tas d’impossibilités physiques, la nouvelle détaille les expériences menées pour comprendre ces objets, quand bien même cela semble impossible. L’auteur nous évoque les semperfixines, qui s’accrochent définitivement n’importe où, même en l’air ; les récurrines, sorte de balles rebondissantes qui reviennent à leur lanceur même si les lois de la physique devraient les en empêcher ; les flacons jumeaux de Rabelais, qui n’ont qu’une face : intérieure ou extérieure. Le premier peut être rempli mais pas saisi (puisqu’il n’a pas de face extérieure), le second peut être saisi mais pas rempli...
En adoptant le point de vue des rédacteurs de ces tentatives de compréhension, citant abondamment l’auteur initial de l’inventaire de ces objets, l’auteur nous fait totalement adhérer à la potentialité de l’existence de tels objets, quand bien même notre premier réflexe, à la lecture de leurs propriétés, aura été l’incrédulité.
Certes un peu austère, malgré la fantaisie des artefacts, en raison de la rigueur scientifique observée, cela n’en demeure pas moins mon texte préféré, car le plus dépouillé de tout effet littéraire et pourtant le plus fictionnel. La preuve que même la science peut nous égarer au-delà des sentiers balisés...

L’auteur poursuit dans la voie des objets bizarres avec “Le Bureau des Objets Maudits” et “La Brocante aux Fantômes”, où le protagoniste voit ses pas le mener à la précitée Rascanges, dans deux boutiques remplies d’objets à même de bouleverser la notion du réel et de l’étrange. Chacune contient suffisamment de micro-histoires entourant le moindre objet qu’il y aurait eu matière à des romans, et pour autant on n’a pas la sensation que l’auteur gâche son matériau, bien au contraire : l’accumulation, en un seul lieu, de toutes ces bizarreries en circonscrit quelque peu l’influence, et on saura ainsi le reste du monde exempt de ces étrangetés propres à faire perdre l’esprit.

Ayant déjà évoqué plus haut deux des trois textes qui forment la dernière partie, je terminerai avec le tranquille mais presque frustrant (jusqu’à la chute !) “À l’enseigne du Curé Vert”, où l’histoire vaut tout autant que son narrateur. Après la complexité intellectuelle des objets de Rascanges, un peu de légèreté n’est pas de refus, comme une lente décompression après une plongée en eaux troubles...

« La Mémoire de l’Orchidée », en sus d’une écriture érudite à chaque ligne, est à placer sur l’étagère des originalités profondément marquantes. Sans aller détrôner à mes yeux l’inestimable « Cité des saints et des fous », ce petit bouquin très dense ne sera pas à ranger bien loin.


Titre : La Mémoire de l’Orchidée (nouvelles)
Auteur : François Fierobe
Couverture : Sébastien Hayez
Éditeur : La Clef d’Argent
Collection : KholekTh
Site Internet : page roman (site éditeur)
Numéro : 12
Pages : 178
Format (en cm) : 11 x 17,5 x 1,4
Dépôt légal : décembre 2011
ISBN : 9782908254976
Prix : 12 €



Nicolas Soffray
19 février 2012


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