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iBoy
Kevin Brooks
La Martinière, Fiction J., traduit de l’anglais (Angleterre), un autre super-héros ?, 281 pages, janvier 2011, 12,90€

En rentrant dans son quartier, Tom reçoit un iPhone sur la tête.
À son réveil à l’hôpital, le médecin lui révèle que certains morceaux, enfoncés trop profondément, sont restés dans son crâne. Tom se découvre alors des pouvoirs liés aux capacités du smartphone : il a accès à internet, il peut téléphoner, envoyer des messages, localiser et pirater les téléphones alentour...



Cela ressemble à toutes les genèses de super-héros : un accident fortuit, une « mutation », et des super-pouvoirs. Et cela aurait pu tomber dans les mêmes travers.
Heureusement, non.

L’histoire que nous propose Kevin Brooks a déjà le mérite d’être finie. Tout tient en moins de 300 pages, et si la fin reste ouverte, c’est le héros qui décide, simplement, de refermer cet épisode de sa vie. Car ce qui devait être fait a été fait.

À la lecture de la 4e de couverture, on pouvait s’attendre à un truc sur le phénomène de mode qu’est l’Iphone d’Apple©, et toute la ribambelle de smartphones du même genre. Pas du tout : Brooks ne s’intéresse qu’à une chose : les nouveaux comportements induits par ce lien permanent avec tout et n’importe quoi que nous offre la technologie actuelle. Il ne fait que la pousser un cran au-dessus en fusionnant un ado et un téléphone portable (mais en y pensant, est-ce si loin de la réalité ?).

L’auteur se moque également de cette technologie. Parmi les super-pouvoirs de Tom, certains sont hérités des effets indésirables des smartphones, dont certains ont fait la une des journaux : décharges électriques, champ magnétique trop puissant, etc. Expérience des comics aidant, ces défauts deviennent des armes dans « Iboy ». Et Tom va en faire bon usage.

Car la principale qualité de cette histoire est son contexte : Tom vit dans une cité HLM de la banlieue de Londres. Une cité d’aujourd’hui, avec des barres immenses, et des gangs de racailles qui trainent et terrorisent les honnêtes gens. Des gangs qui embrigadent les plus jeunes, et punissent sévèrement tout manquement, refus d’obéir, etc.

C’est par une punition de ce genre que commence « Iboy ». Un jeune est passé à tabac chez lui, et sa soeur, une amie d’enfance de Tom, est « agressée ». Je le mets entre guillemets, car dans le récit de Tom, et dans les mots de Lucy qu’il rapporte, jamais le terme « viol » n’est prononcé... La marque du politiquement correct, non pas dans la plume de l’auteur, mais dans les mots de ses personnages, dans nos mots quotidiens.

Violente entrée en matière donc, à côté de laquelle le jet d’iPhone sur la tête de Tom, quelques étages plus bas, paraît anecdotique. Et c’est aussi la réaction de l’ado qui, découvrant ces pouvoirs « iPhoniques » en même temps que les évènements dont il n’a été qu’un dommage collatéral, va se mettre au service de la justice.

Bien sûr, on va dire que c’est une justice biaisée, une vengeance, mais pas entièrement. D’abord parce que Tom lui-même, dans ce récit qu’il fait à la première personne, ne nie pas qu’il souhaite punir les agresseurs de Lucy, et ensuite parce qu’il réalise rapidement que frapper les sous-fifres ne mettra pas fin à la violence dans la cité. Aussi se lance-t-il dans une campagne de terreur, pour faire sortir le caïd du bois. Pour cela il n’hésite pas à employer les armes de ses adversaires (violence, intimidation, torture même), en faisant le constat de l’échec de la police : pour intimider un monstre, il faut se montrer plus monstrueux que lui.

Là encore, on aurait pu craindre une dérive façon vengeance aveugle qui consume le héros. Tom, bien heureusement, ne perd jamais de vue pour quoi et pour qui il fait cela, et malgré quelques entorses à la loi pour se simplifier la vie (qui n’a jamais été tenté ?), pense toujours à l’après.
Et l’après, c’est Lucy, son retour à une vie normale, et peut-être une relation entre eux. Kevin Brooks allie sur ce seul personnage deux éléments universels des comics : le déclencheur et le garde-fou du héros. C’est pour Lucy que Tom fait tout cela, et c’est aussi pour elle qu’il ne doit pas aller trop loin. Parce qu’elle peut en subir les conséquences, mais aussi parce qu’il peut la perdre à tout jamais.

La construction de l’intrigue est parfaitement huilée, et malgré une temporalité parfois un peu floue (l’histoire se passe sur quelques semaines), la densité des évènements, les multiples répercussions des actes de chacun conduisent naturellement au grand final. Où le grand méchant se révèle, où le héros est pris en défaut, muselé par la crainte qu’on fasse du mal à ses proches (ce qui le différencie et le différenciera toujours du méchant), et affaibli par la mise au jour de sa faiblesse (car comme tout héros, iBoy a une faille dans son armure, qu’il connaissait : l’absence de réseau...).

Y a-t-il des happy end dans les cités HLM rongés par la délinquance, le crime et la drogue ? Il faut croire que oui. Et lorsqu’on est à deux doigts de refermer le roman de Kevin Brooks, on veut croire que oui.

Parce que ce super-héros reste toujours profondément humain, et que cet ado super-connecté est profondément ancré dans la réalité de son quotidien, il m’aura gardé scotché trois soirs durant à son récit. J’aurai voulu le dévorer en moins, j’aurai voulu le faire durer un peu plus.

Un excellent roman, estampillé jeunesse mais qui satisfera un plus large public, amateur de comics mais pas seulement : tous ceux qui veulent encore croire que pouvoirs ou non, on ne baisse pas les bras.

Je signale pour terminer quelques petites choses agréables : la numérotation des chapitres en binaire, et les extraits et citations en incipit (qui renseigneront autant sur les smartphones que sur des choses plus générales) ; et la forme du récit, avec un emploi du passé aujourd’hui presque rare, face à la domination du présent narratif plus « immersif ».

Du fond, de la forme. Un lien avec l’actualité, une peinture sans concession du quotidien. Et de l’espoir.
De la très bonne littérature.


Titre : iBoy (Iboy, 2010)
Auteur : Kevin Brooks
Traduction de l’anglais (Angleterre) : Sabine Boulongne
Couverture : images mizenpage / fotolia
Éditeur : La Martinière (site en Flash)
Collection : Fiction J.
Site Internet : blog du roman
Pages : 281
Format (en cm) : 21,5 x 14,5 x 2,6
Dépôt légal : janvier 2011
ISBN : 978-2-732444864
Prix : 12,90 €



Nicolas Soffray
22 septembre 2011


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