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Marionnettes Humaines
Robert A. Heinlein
Gallimard, Folio SF, roman (États-Unis), SF, mars 2011, 416 pages, 7,30€

En 2007, à Des Moines dans l’Iowa, des enquêteurs d’une agence ultra secrète du gouvernement américain sont envoyés sur le possible site d’atterrissage d’une soucoupe volante, mais ils comprennent très rapidement qu’il s’agit d’un canular de gamins.
Pourtant, certains faits troublants restent inexpliqués, du comportement de certains habitants du coin à la disparition de la première équipe d’agents arrivés sur place.

L’incroyable vérité se révèle dans toute sa cruauté auprès des plus malins dont l’agent Sam Cavanaugh : une race de sangsues extraterrestres envahit peu à peu les États-Unis en prenant directement le contrôle des cerveaux humains via un lien symbiotique.

Le combat contre cette espèce venue d’outre-espace ne fait donc que commencer. Il reste juste à savoir si tout espoir est déjà perdu... ou pas !



Figure tutélaire de l’Âge d’Or de la science fiction américaine, Robert A. Heinlein (1907-1988) est l’auteur de nombreux chef-d’œuvres du genre (« En Terre Étrangère », « Révolte sur la Lune », certains textes de son « Histoire du Futur », etc), d’un grand nombre de romans et nouvelles de haute qualité et bien évidemment, de quelques ratés malheureusement trop souvent réédités.

Rassurez-vous, « Marionnettes Humaines » fait partie des bons romans de Heinlein qui à défaut d’être géniaux ont au moins eu le mérite d’être très bien écrits et pas mal réfléchis. Et si l’on prend en compte le contexte historique de sa période d’écriture et de publication (1951 aux USA -1954 en France), on lui concède même une originalité certaine tant au niveau du traitement de la thématique centrale que dans certains aspects de l’intrigue.
Son versant humoristique n’étant pas le moins surprenant : oser proposer le bain de soleil obligatoire en version dénudée (ou quasi) comme méthode de détection de l’envahisseur en 1951 avait de quoi désacraliser le plus sérieusement du monde les rapports d’un citoyen lambda avec ses dirigeants !

En guise de préambule tardif, un gros point positif éditorial est à porter au crédit de la collection Folio SF qui nous offre la traduction historique de Alain Glatigny révisée et complétée par Pierre-Paul Duranstanti -dont on reconnaît par avance la légitimité littéraire. Mise à jour d’autant plus nécessaire et bénéfique que cette édition nous offre une traduction basée sur la version intégrale et définitive publiée aux USA en 1990.
Un véritable travail d’éditeur, très rare dans une collection de poche, pour lequel on remerciera Pascal Godbillon, directeur de la collection Folio SF. Une initiative qui est généralement la marotte de gens respectables dans des ouvrages de moyens ou grands formats comme ceux des éditions du Bélial, chez Denoël avec la collection Lunes d’Encre dirigée par Gilles Dumay ou de Terre de Brume (liste non exhaustive, soyons honnêtes sur ce sujet).

La tentation de rapprocher ce roman d’invasion de la Terre par une race extraterrestre d’une période d’affrontements géopolitiques et militaires entre les USA et l’URSS est évidemment logique. Surtout quand l’ambiance paranoïaque de chasse aux sorcières aliens induite par le récit fait écho aux obsessions anticommunistes de la société américaine de l’époque.
Si ces postulats ont sans doute leur importance dans l’état d’esprit véhiculé par les non-dits de ce texte, il conviendra cependant de ne pas se focaliser sur ces pistes tant aucun élément réellement concret ne vient vraiment soutenir ce raisonnement au-delà du raisonnable (même si certains spécialistes font justement remarquer que les premières versions publiées forçaient encore plus le trait sur le sujet de l’URSS -un paramètre sans nul doute à explorer). Heinlein n’est pas un propagandiste et il n’utilise pas la SF seulement pour régler leur compte aux idéaux qu’il récuse.
Par ailleurs, il est heureux que, le temps passant et les analyses de l’œuvre d’Heinlein s’affinant, on sorte du basique « Heinlein – américain de droite – conservateur - anticommuniste - militariste – écrivain de SF aux thèmes connotés ». Parfois, quelques romans de jeunesse (ou mineurs) confirment cette sensation, mais majoritairement, limiter le Heinlein littéraire à une seule interprétation politique de ses écrits revient à se crever ses yeux de lecteur sans aucun discernement.

Des influences SF pures et dures sont sans doute plus efficaces pour expliquer et comprendre « Marionnettes Humaines ». La première d’entre elle étant sans doute « La Guerre des Mondes » de H. G. Wells. On ne sait précisément pour le reste, mais il nous semble bien que le « Guerre aux Invisibles » (Sinister Barrier, 1939) de l’anglais Eric Frank Russell avec son histoire d’entités vampires psychiques influençant la vie des humains est le client le plus sérieux. On peut aussi convoquer la nouvelle de John W. Campbell « La Bête d’un autre monde » (Who Goes There ?, 1938 - in « Le Ciel est Mort ») qui deviendra un classique du cinéma en 1951 grâce à Howard Hawks (« La Chose d’un autre monde ») -ne pas rater le remake monument du film d’horreur de John Carpenter en 1982 (« The Thing »)- mais il me semble qu’à trop chercher des influences directes et frontales, on risque bien d’enlever à Heinlein sa capacité à créer et à s’imprégner de l’humeur du moment dans ces ouvrages.
Rétrospectivement, on ne peut s’empêcher de penser à « L’Invasion des Profanateurs » (1954) de Jack Finney, ses nombreuses adaptations cinématographiques durant ce dernier demi-siècle étant là pour nous rafraîchir la mémoire. Également, tout un paquet de films des années 50 brodant sur le sujet des invasions extraterrestres participent sans doute du même mouvement, mais pour le coup, c’est bien « Marionnettes Humaines » qui date de 1951 et fait globalement figure de précurseur.

Des idées et du talent

La grande intelligence de Heinlein, on peut aussi parler sans honte de grand talent, tient à la logique de son récit ainsi qu’à la qualité de ses descriptions. Imaginer que l’invasion se ferait via une prise de contrôle physique et mentale de l’être humain par une race alien était déjà une belle invention, construire une intrigue où l’on comprend que l’humanité devra se défendre, à l’égal d’un corps humain résistant à un nouveau virus dont le taux de croissance est exponentiel, oblige nos héros à tout faire, à tout imaginer, pour neutraliser l’autre (et prend intelligemment à revers la conclusion de La « Guerre des Mondes » de Wells).

Les bonnes idées de Heinlein sont nombreuses, sa maîtrise du récit globalement implacable, son écriture énergique. L’écrivain sait aussi forcer l’empathie de ses lecteurs en mettant ses personnages dans les positions les plus difficiles à supporter tout en nous persuadant de la véracité de ces situations.

Si « Marionnettes Humaines » débute presque gentiment sur un ton bon enfant, l’évolution tragique et catastrophique de son suspense ne fait pas un pli et suffit à transformer ce bouquin en un modèle d’objet dont on a envie de connaître la fin dare-dare.

Un bon roman de Heinlein en version complète et définitive, offert dans une nouvelle traduction revue et complétée, ça ne se refuse pas !

Infos Cinéma :
Il nous faut également signaler ici deux adaptations cinématographiques : une première en 1954, partielle et non autorisée, ayant entraîné des poursuites de la part de Robert Heinlein (« The Brain Eaters », ce film subissant par conséquent le retrait de tous les passages supposés venir du roman et étant aujourd’hui réduit à une petite heure) ; et une seconde, officielle et relativement fidèle (quoique traitée avec nettement moins d’humour) en 1984 et dont le titre français (« Les Maîtres du Monde »), sans doute plus porteur pour le public des salles obscures, a entraîné la modification du titre de la réédition Denoël sortie à l’occasion.

Depuis 1995, « Marionnettes Humaines » s’est de nouveau imposé comme le titre de référence en Français, retrouvant une logique plus en phase avec le titre original : The Puppet Masters (Les Marionnettistes).


Marionnettes Humaines (The Puppet Masters, 1951)
Auteur : Robert A. Heinlein
Traduction de l’anglais (États-Unis.) : Alain Glatigny
Complétée et révisée par : Pierre-Paul Durastanti
Illustration de couverture : Anthony Wolff
Éditeur : Gallimard
Collection : Folio SF
Numéro : 394
Site Internet : fiche roman (site éditeur)
Pages : 416
Format (en cm) : 10,6 x 17,8 x 1,6
Parution : mars 2011
ISBN : 978-2-07-044126-6
Prix : 7,30 € (catégorie F8)



Autres éditions hexagonales (version pré-1990) :

- Hachette-Gallimard, Le Rayon Fantastique (1954) n°25
- Denoël, Présence du Futur, 1972, 1979 et 1995, sous le titre « Les Maîtres du Monde » en 1984 (tous n°159)
- Gallimard, Folio SF (2005) n°223


Stéphane Pons
23 septembre 2011


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Nouvelle édition Folio SF, texte définitif (n°394, 2011).



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L’ancienne version de ce même roman dans la même collection Folio SF (n°223, 2005).



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