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Dimension de Capes et d’Esprits, tome 2
Eric Boissau (dir.)
Black Coat Press, Rivière Blanche, Fusée, nouvelles (France, USA), fantasy, 292 pages, juillet 2011, 20€

Un seul volume n’aurait suffi à contenir, sans parler d’épuiser, tout le panache de cette thématique. Tant de morceaux de bravoure qu’il en fallait remplir un second volume. Tant d’aventures, qu’on en redemanderait encore !



Après un premier volume fort appréciable, en dépit de textes en demi-teinte mais ô combien relevés par des joyaux inestimables, ce second tome place la barre un cran plus haut.

Pour en discourir, n’ayons pas peur des mots,
et pour cette critique des faits de ces héros,
restons-en, par logique
à l’ordre alphabétique.

Jean-Michel Archaimbault ouvre le recueil avec “Les Cométaires d’Aurigalle”. Genèse de la famille du héros de Maurice Limat (et repris par l’auteur chez Rivière Blanche), le fameux Chevalier Coqdor, ce texte nous entraîne peu avant la Révolution. Une intrigante et un alchimiste tentent une expérience, par une nuit d’étoile filante, qui doit les rendre éternels. Après un premier résultat en forme d’échecs, qui les laissent pour morts, ils se relèvent et se découvrent bientôt certains pouvoirs. Fuyant Versailles et Paris, ils seront protégés du monde par la famille d’Aurigalle lorsque le peuple sonnera le glas de la monarchie.
Le tout n’est guère déplaisant, seul l’intérêt final, celui qui fait avancer, manque. Le ton est celui d’un feuilleton de l’époque, la construction semble de même, et qui n’est pas fan de Coqdor peinera un peu face à la lente linéarité et aux effets très classiques de la narration.

C’est malheureux, mais suit ce qui est à mon avis le moins bon texte de ce recueil : “Lagardère et la Chasse Galerie”. Jacques Baudou met en scène le héros de Féval dans une histoire tellement brève que le temps que le lecteur s’y intéresse, et en comprenne les tenants ou les aboutissants, le tout est plié, le dernier adversaire embroché. Le complot soulevé est si peu explicité qu’il faudra attendre l’explication des héros pour en saisir le sens. Une réelle déception.

Bien heureusement, arrive Jean-Michel Calvez et son “Traverso”. D’une noirceur à vous plomber un dimanche ensoleillé, son histoire narre les malheurs d’un joueur de traverso prisonnier d’un charnier après une bataille qui a vite tourné à la boucherie. Tandis qu’il croit entendre son salut, c’est pire que la Mort qui vient à son chevet : ses deux jambes lui sont coupées ! Infirme de guerre, il mendie dans les rues, avant de tomber au plus bas lorsque des malandrins, voulant voler sa maigre bourse, brise son instrument. Touchant le fond, il doit son espoir de salut à un musicien professionnel qui, ayant noté son talent, lui propose d’aller dénicher un nouvel instrument...
Je n’en dis guère plus, de peur de vous révéler la chute, de toute beauté. La langue déployée par Calvez est magnifique, on entend presque les pipeaux mélancoliques au fil des lignes. Si jamais le mystère de la première scène vous est demeuré voilé, quelques indices peut-être un peu trop transparents suivent, et peuvent « gâcher » un peu la surprise finale. Mais j’emploie « gâcher » avec des pincettes, car si, comme moi, vous vous êtes laissé porter par la musique du récit, lorsque l’évidence s’imposera, elle ne donnera que plus de sel à la chute, faisant monter la tension de lecture dans le même crescendo que l’espoir du malheureux de retrouver un instrument.

Marquons là une courte pause, avant de rouvrir le rideau avec Fabien Clavel et “Une Aventure de Don Juan”. Le célèbre séducteur, accompagné de son valet, se réveille dans une ville inconnue, et y tombe amoureux fou d’une créature au teint de porcelaine qui chaque jour s’en vient à la messe puis repart, sans jamais accorder la moindre attention à ses déclarations enflammées. Entre chaque tentative, les deux hommes enquêtent, interrogent : mais qui est donc cette pieuse et pure personne ? La réponse sera de taille à clouer le bec de Don Juan, et se devine quelque peu. L’explication finale, un peu chargée de philosophie, n’était peut-être pas indispensable, et on appréciera l’aplomb avec lequel le héros se remet en selle après ce qu’il ne peut, au vu des détails, qualifier d’échec. Et son valet de craindre le pire pour la suite. Une histoire agréable, notamment pour son atmosphère, mêlant la brume et la pierre, la porcelaine et la poussière de craie...

En milieu de recueil arrive enfin le texte qui remporte tous mes suffrages, car de la plume de Lionel Davoust. L’auteur de « La Volonté du Dragon » (et d’autres choses par moi sans cesse encensées) ne me déçoit pas avec “Les Questions Dangereuses” : tout y est : mousquetaires, complot, bons mots, aventures, méchant très méchant, une pointe de fantastique. Mais si à d’autres cela aurait suffi, point ici : la nouvelle se teinte dès les premières lignes d’uchronie, l’humour affleure sous le lys, l’esprit surpasse la force lorsque les bretteurs s’affrontent, dans ce monde sans épée ni fleuret, à coups d’énigmes (et où l’absence de réponse peut entraîner maux de tête légers ou mortels), et le sort de la Couronne, et du monde, est à la merci d’un texte dont la lecture peut faire s’effondrer les esprits ! (Qui a pensé au « Nom de la rose » ?) Avec en prime une fin qui emprunte à l’univers de Lovecraft, sans parler de l’épilogue, guère engageant quant à la suite des évènements... Tout est là, tout y est pour que jamais de votre mémoire ne s’échappe cette histoire.

Nous revenons à du plus ordinaire, serais-je tenté de dire, avec “La Papesse d’Avignon”, de Micah Harris, qui met en scène Solomon Kane, le héros de Howard, captif du palais papal, et au cœur d’une machination diabolique. Mais si sa capture n’était qu’un moyen d’entrer dans la place, de se rapprocher du Mal et de l’exorciser ? L’auteur américain tisse une atmosphère effrayante avant de clore son histoire dans un duel furieux et un happy end de rigueur, une fois la Chrétienté sauvée. Un bon texte, d’une lecture très agréable, mais pas aussi mémorable que le précédent... ou le suivant.

Car Michel Pagel vient ensuite disputer la place du meilleur récit du recueil. Je ne peux que le déclarer ex-aequo avec Lionel Davoust, tant leurs textes sont différents, incomparables, mais parfaits tant sur le fond que la forme.
Dans “Dans la Lumière, Je Viendrai”, une jeune fille est tirée du couvent où son père, ancien soudard rangé et désormais châtelain, l’y avait placée. Elle, qui s’était résignée à la clôture, découvre qu’elle va être mariée à un ancien et détestable compagnon d’armes de son père, comme prix de son silence pour leurs actes passés. Pinacle de l’horreur, le vieillard cruel, impuissant, compte bien déléguer la consommation de l’union à son âme damnée, et se délecter du spectacle. Enfermée dans sa chambre avant les noces, la jeune fille apprend les détails de l’histoire de sa famille maternelle, et l’origine de leur devise (qui donne son titre à la nouvelle), qui remonte aux croisades.
Lorsqu’elle s’enfuit du château pour échapper aux griffes des soudards, sa route croise celle de son sauveur : un Gascon qui n’a pas peur de ferrailler, et qui ne saurait laisser une dame sans défense.
Michel Pagel a fait le choix formel de la lettre, écrite par son héroïne et narratrice dans ses vieux jours. Aussi, pourrait-on dire, ne tremble-t-on pas trop pour elle, sachant qu’elle ne laissera pas la vie durant cette terrible nuit. Cependant, ce n’est pas la mort qui lui est promise, mais un sort bien pire : la tension n’en est que plus grande, et chaque battement de cœur, chaque halètement durant sa fuite jusqu’à la crypte familiale trouvera son écho dans notre poitrine, notre gorge. Le ton de supplique de cette lettre adressée à sa descendante et héritière nous laisse, dès les premières lignes, envisager le pire, et à chaque soulagement, immédiat, temporaire, trouvé dans la fuite ou la rencontre avec d’Artagnan (zut :-X je l’ai dit), on se dit qu’un danger plus important est encore à venir. Et c’est là que Michel Pagel atteint la perfection : faire de la délivrance finale une menace, du soulagement de la liberté une torture à venir. On peut brandir l’épée de Damoclès, mais si on la lâche, elle reprendra sa place...

Nouvelle pause, le temps de souffler, un entracte... Ce que nous propose ensuite Xavier Penin avec “Cent Ames pour un Roi” est un peu plus léger, mais fort appréciable : un mercenaire est recruté pour user de ses connaissances dans le domaine de l’occulte pour donner un héritier à la Couronne. Contre l’assurance que Louis XIII ne délaissera plus son épouse et qu’elle engendrera le plus grand des rois, le sorcier lui demande, au nom du Diable, cent âmes ! Et le bretteur de courir les rues, bravant la loi de Richelieu, pour embrocher et envoyer aux Enfers cent coquins avant le terme. Sauf que... Vous vous en doutez, il y a un « mais », qu’il va falloir résoudre. Récit encadré par la confession de la complice du spadassin, on pourra penser qu’il peine à démarrer, mais il prend simplement la mesure des actes, et gère notre propre tension. Lent tandis qu’à l’image des conspirateurs nous ne savons à quoi nous en tenir, le rythme s’accélère ensuite et colle finalement à l’urgence subie par le héros. L’une des excellentes surprises de ce recueil.

Recueil qui se clôt sur “Les Deux Panaches de Cyrano”, de John Shirley, où Cyrano se voit offert, quelques instants avant sa mort, un pacte avec un magicien : voyager via l’espace et le temps et abattre un tyran. En échange, le temps reprendra, mais Cyrano aura fait un pas de côté, évitant la poutre mortelle sur lui lâchée. Oui, mais voilà, tout n’a pas été révélé, le marché est truqué, et au déshonneur Cyrano préfère la mort. Question de panache.

En conclusion, si peu à regretter et tant à savourer dans ce second « Dimension de Capes et d’Esprits », qu’encore plus chaleureusement que le précédent je ne puis que vous le conseiller.


Titre : Dimension de Capes et d’Esprits, tome 2 (nouvelles)
Direction du recueil : Éric Boissau
Préface : David S. Khara
Auteurs : (par ordre alphabétique) Jean-Michel Archaimbault, Jacques Baudou, Jean-Michel Calvez, Fabien Clavel, Lionel Davoust, Micah Harris, Michel Pagel, Xavier Penin, John Shirley
Couverture : Aurélien Hubert
Éditeur : Black Coat Press
Collection : Rivière Blanche - Fusée
Site internet : page roman (site éditeur)
Pages : 292
Format (en cm) : 12,8 x 20,3 x 1,9
Dépôt légal : juillet 2011
ISBN : 978-1-61227-027-2
Prix : 20 €



À lire aussi sur la Yozone :
- la chronique du premier volume


Nicolas Soffray
24 août 2011


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