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Que la Ténèbre Soit !
Alain Roussel
La Clef d’Argent, KholekTh, n°6, fantastique, 102 pages, mars 2010, 9€

Fondée début 2008 par les éditions « La Clef d’Argent », la collection KholekTh se définit comme suit : « Contes et nouvelles étranges et fantastiques : un livre, un auteur ». Après Sylvie Huguet, Timothée Rey, Michel Rullier, Jean-Pierre Andrevon et Philippe Bastin, c’est donc au tour d’Alain Roussel de présenter un florilège de nouvelles inquiétantes. Cet auteur n’est pas tout à fait inconnu des amateurs du genre puisque deux des nouvelles ici présentées, “Joyeux Noël Monsieur Chronoclaste !” et “Une ombre encombrante” ont déjà fait l’objet d’une publication dans le Codex Atlanticus, anthologie annuelle de l’éditeur. Par ailleurs, Alain Roussel a publié des textes poétiques, dont, aux éditions La Différence, un intrigant « La vie privée des mots », où il imagine l’indicible à partir de la disparition d’une hypothétique vingt-septième lettre de l’alphabet.



Des thèmes variés et souvent classiques

Une revisitation effrayante du thème du Golem, non pas de boue mais minéral, une horloge maudite, la scission tragique entre un homme et son ombre, une malédiction qui se répète au fil des générations, un assassin condamné pour d’autres crimes que les siens, un devin qui réalise lui-même ses prédictions, un couvre-chef maléfique, un rêveur confronté à un personnage issu de ses propres songes, une femme végétale, un détective « devenu fossile assassin par la malédiction d’un baiser », un commissaire prêt à tout pour démontrer la véracité de ses hypothèses, la lente dérive poétique, et kafkaïenne, d’un jeune homme subjugué par les textes de Lautréamont : tels sont les principaux thèmes abordés par Alain Roussel à travers ces treize textes.

L’auteur emprunte donc largement au genre, use de thèmes canoniques qu’il revisite à sa façon. Si deux des récits, “ La fourchette en argent” et “Le lieu du crime” se terminent par une chute assez prévisible (mais reconnaissons qu’ils sont assez courts pour duper un lecteur trop rapide), d’autres prennent des voies moins communes. Ainsi un texte comme “Un baiser dans la nuit”, s’il joue sur un thème rendu célèbre par Prosper Mérimée, en constitue-t-il une variante intéressante et partiellement inversée, et “Une petite ville tranquille ”, même s’il repose en partie sur l’argument rebattu de l’ancienne malédiction, se révèle-t-il en définitive comme un texte parfaitement original.

Un style sobre et discret, des échappées vers la poésie

Si l’auteur se permet ici et là quelques facilités - « L’ainée, Adèle, avait bien eu une liaison dans sa jeunesse avec un marin au long cours, qui, durant plusieurs années, l’avait menée en bateau avant de la quitter irrémédiablement » - sa prose est dans l’ensemble sobre et discrète. On notera qu’Alain Roussel affuble régulièrement ses personnages de patronymes à base de noms communs en rapport avec leur fonction. Citons ainsi Mademoiselle Baliverne dont on apprécie « le charme inégalable de la conversation », Léon Chairdepoule le voyant, les sœurs Coloquintes qui tiennent une épicerie, l’enquêteur René Lafouine, le commissaire Barillet, ou l’assassin Alexandre Traquenard. Cet humour vieillot et suranné, s’il accentue la parenté avec les récits anciens et semble témoigner d’un certain recul de l’auteur vis-à-vis de sa narration, pourra amuser certains lecteurs, mais aussi sembler superfétatoire à d’autres.

Si son écriture reste par ailleurs presque classique, et dépourvue d’artifices flagrants, l’auteur sait user de formules élégantes – comme, par exemple, «  la nuit où il avait basculé sans boussole dans les grandes frayeurs oniriques », au début du récit “Les complots de l’Histoire”, et générer des images poétiques. Il sait également procéder à l’habile mise en scène de visions surréalistes. Ainsi, la célèbre citation de Lautréamont, issue de la sixième partie des « Chants de Maldoror » » beau comme la rétractilité des serres des oiseaux rapaces ; ou encore, comme l’incertitude des mouvements musculaires dans les plaies des parties molles de la région cervicale postérieure ; ou plutôt, comme ce piège à rats perpétuel, toujours retendu par l’animal pris, qui peut prendre seul des rongeurs indéfiniment, et fonctionner même caché sous la paille ; et surtout, comme la rencontre fortuite sur une table de dissection d’une machine à coudre et d’un parapluie ! « se transforme-t-elle en réalité dans “Le Récit de Mervyn”, où, »au milieu des bibelots, des incunables, des grimoires, des crânes d’animaux et même d’hommes, le tout éparpillé dans un désordre indescriptible sur les tapis, les commodes, les buffets de l’immense pièce, un individu se tenait debout, observant d’un œil ironique les amours illicites d’une machine à coudre et d’un parapluie".

Un recueil estimable

Que penser en définitive de ce volume ? Si l’inégalité et le manque d’homogénéité des nouvelles sont fréquemment reprochés par les chroniqueurs de recueils, nous aurions tendance ici à formuler un regret inverse. Non pas celui d’une certaine uniformité, car les thèmes abordés sont suffisamment variés, mais par le fait qu’aucune nouvelle, peut-être, ne se détache suffisamment du lot, qu’il n’y ait parmi ces contes celui qui vous sidère et qui vous confond, celui qui justifierait à lui seul l’enthousiasme et vous ferait penser le plus grand bien de l’auteur. Du moins serions-nous tentés d’exprimer ce regret si, parmi tous ces textes d’un niveau fort estimable, nous n’avions – bien entendu en toute subjectivité – été conquis par l’aspect surréaliste du dernier texte, “Le Récit de Mervyn”, et, pour les récits plus conventionnels, par “Une petite ville tranquille”. Une nouvelle qui, sous un titre innocent, sans effet particulier de style ou de narration, et sans jamais avoir l’air d’y toucher, relate la disparition intégrale, et terrifiante, d’une ville de Provence, et qui, sans se terminer par un classique effet de chute, nous apparaît pourtant achevée de façon originale et brillante.

Certains, peut-être, ne seront pas autant que nous séduits par ce conte, et plus que nous en apprécieront d’autres. Il en va ainsi pour toute anthologie. Quoiqu’il en soit, ce recueil ne manquera pas de séduire les nostalgiques d’une époque pas si lointaine - et, grâce à des passeurs comme la Clef d’Argent, pas entièrement révolue - où des maisons d’éditions comme Marabout publiaient de gros volumes de textes courts et fantastiques, des volumes souvent exigeants sur le plan de l’écriture, et suffisamment denses et riches pour que tout amateur du genre ait l’espoir d’y trouver des récits susceptibles de le faire rêver.

Texte - 274 octets
Coquilles Que la Ténèbre soit !

Titre : Que la Ténèbre Soit !
Auteur : Alain Roussel
Couverture : Sébastien Hayez
Éditeur : La Clef d’Argent
Collection : KholekTh
Site Internet : page roman (site éditeur)
Numéro : 6
Pages : 102
Format (en cm) : 11 x 17,5
Dépôt légal : mars 2010
ISBN : 978-2-908254-78-5
Prix : 9 €



À lire également sur la Yozone, dans la même collection :
- volume 1 « Le Passage » de Sylvie Huguet
- volume 2 « Caviardages » de Timothée Rey
- volume 3 « Peuchâtre et Gésirac » de Michel Rullier
- volume 4 « C’est un peu la paix c’est un peu la guerre » de Jean-Pierre Andrevon
- volume 5 « Mitochondries » de Philippe Bastin


Hilaire Alrune
21 juin 2011


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