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Nuit du Chasseur (La) - The Night of the Hunter
Film américain de Charles Laughton (1955)
13 avril 2011 - 11 mai 1956

*****



Genre : chef d’œuvre et film culte
Durée : 1h33

Avec Robert Mitchum (Harry Powell), Shelley Winters (Willa Harper), Lillian Gish (Rachel Cooper), James Gleason (Birdie Steptoe), Evelyn Varden (Icey Spoon), Peter Graves (Ben Harper), Don Beddoe (Walt Spoon), Billy Chapin (John Harper), Sally Jane Bruce (Pearl Harper), Gloria Castillo (Ruby), etc,.

Co-scénarisé et réalisé par l’immense acteur anglais Charles Laughton d’après le roman de Davis Grubb (Gallimard, Folio Policier), « La Nuit du Chasseur » (The Night of the Hunter) est un instant sacré du septième Art, totalement raté par le public (et la critique) en son temps. L’échec fut même tellement cuisant qu’il s’agit tout simplement du premier et dernier film de Charles Laughton en tant que réalisateur.

L’histoire est assez simple. Un homme d’église, le prêcheur Harry Powell (Robert Mitchum), rencontre un condamné à mort, Ben Harper (Peter Graves), en prison. Ben Harper a tué deux hommes en commettant un hold-up, mais a toujours refusé de rendre le magot et de révéler l’endroit où il l’avait planqué. Le condamné a cependant eu le tort de parler dans son sommeil et, intelligemment interrogé par le prêcheur, il a plus ou moins laissé entendre que sa famille savait où était l’argent.
Avide, cupide et bien décidé à mettre la main sur les dollars, le « bon » pasteur Harry Powell va séduire Willa (Shelley Winters), la veuve de Ben Harper, et tenter par tous les moyens de forcer les deux jeunes enfants du défunt, John et Pearl (Billy Chapin et Sally Jane Bruce), à lui dire où se trouve le butin.
Les enfants lui résistent, décident de s’enfuir après la disparition de leur mère et sont recueillis par une veille dame, Rachel Cooper (Lillian Gish), bien décidée à les protéger... mais le prêcheur les a retrouvés et tel un fauve pourchassant ses proies, il attend son heure.

On a à peu près dit tout ce qui était utile de savoir sur ce chef d’œuvre absolu du cinéma, mais il n’est pas inutile d’en répéter ici quelques grandes lignes.

Un film hors du temps et des modes

« La Nuit du Chasseur » s’établit sur une vision cinématographique atypique en 1955.
À l’heure des couleurs flamboyantes des « Contrebandiers du Moonfleet » de Fritz Lang (même année), Charles Laughton tourne en noir et blanc et utilise les services (et le talent) du chef opérateur Stanley Cortez -qui travailla avec Orson Welles dans les années 40 (voir « La Splendeur des Amberson »)- pour créer une photographie onirique et fantastique absolument unique.
La réalisation de Charles Laughton s’inspire aussi beaucoup d’influences venues du cinéma muet ou du tout premier cinéma parlant : principalement l’expressionnisme allemand des Lang (« Metropolis »), Murnau (« Nosferatu »), Pabst (« Loulou », « L’Atlantide ») ou Wienne (« Le Cabinet du Docteur Caligari ») et les classiques du réalisateur américain D. W. Griffith (« Naissance d’une Nation », « Intolérance », etc).

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Chaque plan est donc minutieusement étudié, travaillé dans ses moindres détails et bénéficie d’une recherche approfondie sur la géométrie des espaces, les ombres portées, les angles d’attaques des lumières, les cadrages, etc. Conséquence directe des ces choix techniques et artistiques, jamais une image ne semble naître du fait du hasard.
« La Nuit du Chasseur » ne se construit donc pas sur une tentative de retranscription du réel grâce à une réalisation terre à terre, mais bien sur des images totalement artificielles, fruits d’un long travail de réflexion cinématographique, qui doit amener le spectateur à s’intégrer dans la réalité du film.
Il faut accepter de se noyer peu à peu dans le récit afin de faire sienne la grammaire onirique et fantastique proposée.

En outre, plusieurs séquences, cadrées selon les mêmes principes et interprétées avec la même gestuelle par les acteurs, appuient clairement sur la dimension psychologique du scénario. La répétition des certains schémas traumatisants s’impose. Il s’agit tantôt d’enfermer les enfants Harper dans la terreur, tantôt de les en libérer, comme si le film nous présentait la psychothérapie d’un couple de jeunes martyrs, victimes expiatoires des adultes et de leurs péchés.
Visions métaphysiques également, tant certaines scènes nous transportent d’évidence dans un monde irrigué par la Bible et le fait religieux (et pas seulement parce qu’il y a un homme d’église dans le scénario) servent à construire la totalité du récit.
Enfin, au delà du suspense et d’une intrigue crédible (après tout), la totalité du film pourrait tout simplement être un conte des plus classiques.
Une version moderne de Barbe Bleue ou du croque-mitaine (bogeyman) dont Robert Mitchum serait l’interprète parfait. Ainsi, l’inoubliable et superbe scène des enfants en cavale de nuit à la lumière diaphane des cieux, endormis dans une barque voguant au gré des flots sous les yeux d’animaux sauvages, dégage une telle puissance évocatrice qu’on la rattache d’office à toutes une série de souvenirs issues de notre plus tendre enfance. Échos distants des histoires racontées par nos parents et que nous adorions tant.

Du bien et du mal

« La Nuit du Chasseur » est aussi (et surtout) un film qui nous parle du bien et du mal.
Ainsi, Ben Harper est exécuté pour avoir tué et volé, mais par amour pour sa famille qu’il tente de sortir d’une situation économique désastreuse dont elle n’est pas responsable.
Le crime originel porte donc en lui le questionnement des valeurs morales de notre société et la condamnation que le spectateur est prêt à en faire... ou pas.
Charles Laughton va donc jouer de cette dualité en permanence.
Le pasteur porte sur les phalanges de ses deux mains les célébrissimes tatouages « love - hate » (amour - haine). Il séduit la veuve de Ben Harper avant de s’en débarrasser -ce qui donnera lieu à une des plus belles images du film avec les cheveux de la victime flottant sous l’eau au milieu des algues. Il tente également d’amadouer les enfants avant de les persécuter.
Sous des discours et un comportement mielleux, rassurant, affable et quasi hypnotique, le prêcheur Harry Powell est donc en réalité le pire des tortionnaires.
Seule l’innocence des enfants Harper leur permettra de comprendre le danger et de voir le mal, là où les adultes restent honteusement aveugles.

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Évidemment, l’interprétation de Robert Mitchum n’est pas pour rien dans cet exploit. Tour à tour irrésistiblement séduisant ou sadique à l’extrême, il compose un rôle qui personnifie dans toute son ambiguïté l’expression « la beauté du Diable ».
D’ailleurs, plusieurs scènes et dialogues ne laissent guère planer le doute sur le statut démoniaque du prêcheur avant même que son comportement ne le prouve et ne le révèle tel qu’il est.
Croire en la survie des enfants est donc une tentative désespérée, érigeant la puissance de l’innocence en ultime rempart de l’humanité face aux forces maléfiques (du réel).
On ne peut comprendre « La Nuit du Chasseur » sans passer par le prisme symbolique sur lequel il est entièrement construit.
Réel ou imaginaire, rêve ou réalité, vertu ou péché, justice ou injustice, humanité ou inhumanité, le questionnement est permanent (et certes, bien dérangeant) et ne trouve sa conclusion que dans une fin qui boucle le récit et fait référence aux première scènes (l’arrestation du prêcheur étant l’exact reflet de l’arrestation du père Harper).

D’autres réalisateurs auraient simplifié leur point de vue, leur phrasé et leur vision du scénario. Ils auraient tourné un western, un drame, un film noir, un thriller, un conte ou même un film fantastique.
Charles Laughton a choisi une autre voie qui rassemble tous les genres du cinéma en un objet cinéphilique qui émerveille et fascine encore.

En 1955, le monde n’était pas préparé à « La Nuit du Chasseur » et l’incompréhension fut totale.
En 2010, il n’y a plus de débat depuis des lustres : attention, chef d’œuvre !


FICHE TECHNIQUE

Titre original : The Night of the Hunter (1955)

Sortie en salle (France) : 11 mai 1956

Réalisation : Charles Laughton
Direction des enfants : Robert Mitchum (non crédité)
Scénario : James Agee et Charles Laughton (non crédité)
D’après le roman de : Davis Grubb

Producteur : Paul Gregory

Musique originale : Walter Schumann
Photographie : Stanley Cortez
Direction artistique : Hilyard M. Brown
Décors : Alfred E. Spencer
Son : Stanford Houghton
Effets spéciaux : Louis DeWitt, Jack Rabin
Distribution des rôles : Millie Gusse
Montage : Robert Golden

Production : Paul Gregory Productions (USA)
Distribution originale : United Artists (USA et France)



Stéphane Pons
12 avril 2011



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