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Amazonia
James Rollins
Fleuve Noir, traduit de l’anglais (États-Unis), thriller, 585 pages, février 2011, 20,90€

Une expédition scientifique disparaît corps et biens dans la jungle amazonienne. Les recherches restent sans succès, et bientôt s’interrompent. Quatre ans plus tard, un survivant refait surface dans une mission perdue au cœur de la forêt : il n’a plus de langue, porte sur sa poitrine le symbole d’une tribu mythique qui terrorise les Indiens, et meurt rapidement. Identifié grâce à sa plaque, puis par ses empreintes digitales et dentaires, il pose aux médecins légistes un problème de taille : cet ancien soldat d’Irak, qui a perdu un membre au combat, est entré dans la jungle avec un seul bras, mais en est ressorti avec deux. Il n’en faut pas plus pour qu’une nouvelle expédition, à laquelle participent des amérindiens, des scientifiques, des membres de la CIA, des rangers et un jeune botaniste dont le père faisait partie de l’équipe disparue, soit montée par un conglomérat pharmaceutique à la recherche de la molécule miracle. Mais d’autres sont également intéressés, et ni la tribu fantôme ni la jungle amazonienne ne leur faciliteront les choses.



Des clichés et des péripéties à foison

Une fois l’introduction passée, point n’est besoin d’être devin pour comprendre que l’on n’échappera pas aux clichés. Les anacondas, un bagnard de la Guyane française encore vivant à Cayenne de nos jours (le dernier bagnard resté en Guyane est en réalité mort depuis longtemps, et même à plusieurs reprises, puisque l’on a maintes fois déniché de nouveaux vieillards pour prendre la relève de cette figure pittoresque, bien que cela ait fini, chronologiquement parlant, par n’être plus tout à fait crédible), les piranhas (qui malgré leur abominable réputation n’ont jamais mangé grand-monde, bien que d’autres poissons de ces régions soient effectivement mordeurs - mais il fallait bien utiliser les poncifs), la jungle régulièrement qualifiée d’ « impénétrable » (si l’on s’y trouve, c’est justement qu’elle ne l’est pas), les miracles de la médecine traditionnelle, les moustiques, les caïmans, les sabotages, le traître infâme et sa fin exemplaire, l’équipe de méchants plus vrais que nature (ils sont français, c’est dire), les tribus locales qui se déplacent sans faire de bruit ni laisser de traces, les rangers héroïques, bref, tout y est. Les clichés adhèrent au roman comme, dans ces atmosphères tropicales, les vêtements poisseux collent à la peau.

Cette expédition, qui devait n’être qu’une quête, se transforme donc à la fois en jeu de piste, en fuite, et en exercice de survie. De surcroît, la jungle elle-même semble être à l’origine d’attaques lancées de manière concertée par ses animaux, à moins que celles-ci ne soient générées par les manigances de la mythique tribu fantôme. Mais comme on peut, lorsque l’on n’est pas occupé à se faire dévorer par une monstruosité quelconque, converser avec ses proches par satellite, nos protagonistes découvrent bientôt, comme s’ils n’avaient pas suffisamment de souci à se faire, que le cadavre de l’homme à l’origine de toute cette histoire, rapatrié aux États-Unis, est responsable d’une mystérieuse épidémie que nul ne parvient à enrayer. C’est ainsi que s’ajoute une intrigue parallèle, permettant de faire figurer, en inévitable tire-larmes, la fillette malade d’une des scientifiques faisant partie de l’expédition.

L’auteur, on le voit, use de toutes les méthodes possibles pour maintenir l’attention. Mais c’est lorsqu’il atteint les limites de son imagination zoologique (après les hybrides de piranhas et de dendrobates, après les criquets carnivores, il se contente de faire plus gros : caïmans géants et jaguars géants) que le roman devient véritablement intéressant. Au terme de leur quête, les héros découvrent dans une vallée isolée, une sorte de « monde perdu » à la Conan Doyle où ont survécu depuis la préhistoire mille et une essences végétales, et où vit la mythique tribu fantôme des Jaguars de Sang. Dès lors, le récit prend une envergure et un intérêt que la succession de péripéties ne lui avait pas permis d’atteindre.

Un final prometteur mais inabouti

C’est donc grâce à la fusion du mythe et de la science que ce roman se démarquera au final. On ne sera pas très étonné de découvrir que le symbole tracé par les membres de la tribu fantôme correspond à la configuration de l’agent infectieux responsable de l’épidémie (jolie référence au mythe voulant que la structure tridimensionnelle de l’ADN ait été connue et symbolisée par diverses peuplades dites primitives, et que cette connaissance leur ait été donnée par les plantes hallucinogènes), mais on découvrira un final bien plus surprenant encore. Si l’auteur, bien que la notice le prétende vétérinaire, n’est manifestement pas lui-même un scientifique (passons rapidement sur quelques bourdes criantes mais sans conséquences comme la confusion p.408 entre un criquet et un coléoptère, qui fera pousser de hauts cris aux entomologistes même amateurs), il s’appuie astucieusement sur les connaissances relatives à la coévolution entre organismes animaux et végétaux pour aborder un final passionnant. Dès lors, la découverte de la tribu, de ses mœurs, et des liens qui l’unissent à la forêt capte entièrement l’attention du lecteur. Cette mystérieuse coévolution entre la tribu et les antiques essences végétales se révèle être le cœur véritable du roman, et à ce titre aurait mérité d’être largement approfondie. Hélas, le potentiel à la fois scientifique et poétique de ce thème est rapidement délaissé au profit d’une action tonitruante à laquelle il ne sert plus guère que de prétexte. Une volte-face qui nous paraît d’autant plus regrettable que la thématique avait été longuement et soigneusement amenée tout au long du volume et que la présence d’un des personnages principaux, botaniste de son état, ouvrait la porte à un large développement de cet aspect.

Un récit qui lorgne trop vers l’industrie cinématographique

Au final, ce roman conjugue donc les avantages et les inconvénients d’un film à grand spectacle. Les incohérences rituelles propres à ce genre de production sont présentes, depuis les invraisemblances grotesques (le jeune botaniste qui combat à mains nues un anaconda de douze mètres dans le fleuve et prend le dessus en lui enfonçant son doigt dans l’œil, un ranger qui bondit sur la tête d’un caïman géant de trente mètres de long et lui jette une grenade dans la gueule avant de lui refermer de force les mâchoires) jusqu’aux contradictions internes (les hélicoptères à trop faible rayon d’action pour rejoindre les rescapés doivent en fin de compte accompagner l’aéronef spécialement affrété par l’armée brésilienne), en passant par les impossibilités logistiques (l’équipe poursuivante, qui remonte la rivière en embarcations, se trouve fort opportunément, et sans la moindre explication, pourvue de scooters sous-marins). Sombrant sur les derniers chapitres – alors que le récit, sur le plan scientifique et ethnographique, commençait tout juste à devenir intéressant – dans la classique surenchère d’action et de pyrotechnie propre aux longs métrages hollywoodiens, le roman confirme, in fine, qu’il a bel et bien été écrit dans l’espoir d’être un jour adapté par l’industrie cinématographique.

Un ouvrage honnêtement réalisé

Le volume s’agrémente de plusieurs cartes géographiques et de dessins de plantes avec leurs qualités médicinales, confirmées ou revendiquées. La traductrice s’en sort avec les honneurs, et l’on ne pourra lui reprocher que quelques petites imprécisions : il aurait été juste de traduire « Suriname » par « Surinam », et, si la traduction de « proteonomics » par protéonomique n’est pas fausse, on emploie beaucoup plus couramment le terme de protéomique. « Hybridation sur tache » est sans doute la traduction littérale de « spot hybridization », que l’on exprimerait plutôt en français par le terme global d’hybridation nucléique ou de révélation par technique d’hybridation nucléique ou, de façon plus détaillée, de révélation par couplage avec une sonde d’acide nucléique. Nous restons plus perplexes sur le fait de « dresser » des hamacs (p. 272), ou de les « harnacher » (p. 274), mais ce ne sont là que des détails. Bon point également, presque pas de coquilles (cf. fichier joint) sur près de six cents pages, ce qui devient suffisamment rare pour être souligné.

Un objectif raisonnablement atteint

Qu’ « Amazonia » ne soit ni de la littérature, ni de la fiction novatrice, on ne pouvait que le deviner en prenant le volume en main. Que l’ouvrage souffre de défauts propres au genre, on ne peut le nier, et, là encore, il était assez facile de s’y attendre. Mais il serait malvenu de faire à l’auteur un procès d’intention, et de lui reprocher d’avoir réalisé ce qui était de toute évidence son objectif : écrire du thriller grand public, accessible à tout un chacun, facile à lire et fertile en rebondissements. Propice à quelques heures de délassement, doté d’un final inabouti mais qui fait tout de même rêver, « Amazonia » s’accommodera fort bien d’une concentration relative, n’exigera pas trop du lecteur, et lui fournira sa ration d’aventures. En ce sens, James Rollins a pleinement rempli son contrat.

RTF - 585 octets
Coquilles Amazonia

Titre : Amazonia (Amazonia, 2002)
Auteur : James Rollins
Traduction de l’anglais (États-unis) : Leslie Boitelle
Couverture : David Pairé
Éditeur : Fleuve Noir
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 585
Format (en cm) : 14 x 22,5 x 4
Dépôt légal : février 2011
ISBN : 978-2265089716
Prix : 20,90 €



À lire également sur la Yozone :
- La chronique de « L’ordre du dragon », autre roman de James Rollins


Hilaire Alrune
13 avril 2011


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