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Miroir Noir et Autres Curiosités (Le)
Francis Thievicz
Éditions de l’Antre, roman (France), fantastique fin-de-siècle, curiosité littéraire, 114 pages, novembre 2010, 8€

Le narrateur est en proie au désespoir : il se languit d’un crâne d’hydrocéphale, qui fait défaut à sa collection. Fort heureusement son ami Mycroft le conduit sur une place « perdue hors du temps et de l’entendement » où une étrange taverne, tenue par un authentique hydrocéphale, tient lieu à la fois de bibliothèque et de cabinet des merveilles. Cette rencontre signe l’acte de naissance du « Club de Curiosités » où se rassembleront désormais chaque jeudi quelques excentriques et curieux. Y cultivant un goût prononcé pour l’insolite, ils chercheront à y présenter tour à tour d’extraordinaires phénomènes anatomiques, d’étranges découvertes de la science, de non moins étranges personnages, et à lancer le petit groupe dans d’inquiétantes aventures.



Ce sont donc six personnages unis par le goût de l’étrange qui animent cet ouvrage. Henry, narrateur et collectionneur de crânes, Howard, le tenancier hydrocéphale, Moïse, le syphilitique moribond, Miss Stiple, dont tout ce que l’on sait est qu’elle tient une échoppe et aime à se vêtir de costumes victoriens, Mycroft, qui, comme son nom le laisse prévoir, fera preuve de capacités de déduction remarquables, et enfin Léonard le croque-mort, sans qui une telle équipe ne saurait être complète.

En treize brefs chapitres, et sans trop vouloir en révéler, on découvrira des variantes incroyables de l’anatomie humaine, les divertissements macabres d’un croque-mort, les effets inconstants d’un miroir démoniaque, la confession glaçante d’un criminel par opportunité, le destin tragique d’une créature issue de la mythologie, un appartement maudit dans lequel on disparaît, une demeure non moins maudite, une poignée de monstres et de savants fous, et une panoplie d’expérimentations démentes.

Dans ces treize récits indépendants, Francis Thievicz parvient à faire exister ses personnages en révélant leur complicité et leurs oppositions grâce à des dialogues à l’ironie soigneusement dosée. Tous animés par le même goût de la dérision, aimant à se présenter comme plus cyniques qu’ils ne le sont, pratiquant par principe un humour macabre destiné à faire grincer les dents des bien-pensants et à effaroucher les âmes sensibles, ils s’amusent autant du monde extérieur que de leurs propres déboires. De ces dialogues et de ces joutes verbales – qui prennent parfois des allures surréalistes – naît une ambiance originale, gentiment morbide et férocement fin-de-siècle, qui compose un des charmes essentiels du volume.

Si l’auteur, au fil de ses histoires, n’hésite pas à avoir recours à une poignée de clichés (par exemple le mystère de la chambre close), il le fait le plus souvent sous forme de citations rapides, pour aussitôt s’en affranchir et partir dans des directions inattendues. Mais, même s’il lui arrive de rester sur des sentiers balisés, comme c’est le cas avec “Des angles universels”, sur la thématique des angles impossibles chère à des auteurs comme Howard Philips Lovecraft ou Frank Belknap Long Jr, il le fait sur un ton suffisamment atypique, et avec une fin suffisamment grinçante, pour que la nouvelle n’apparaisse pas comme une simple redite. De fait, à l’exception du récit intitulé “Dans le grenier”, qui évoque trop d’influences littéraires et cinématographiques pour être parfaitement abouti et emporter l’adhésion, les nouvelles, à la fois concises et originales, composent un ensemble homogène et plaisant.

Du classique donc, d’habiles variantes, et une ambiance particulière, mais ce n’est pas tout. On trouve également dans ce volume un brin de philosophie façon Siècle des Lumières, comme dans le remarquable récit intitulé “Adam”, qui met en scène l’évolution d’un enfant dont on limite à dessein les contacts avec le monde extérieur, et qui n’est pas sans évoquer les grands discours des auteurs classiques sur l’éducation, et même le mythe de la Caverne attribué à Platon. Enfin, et ce n’est pas là la moindre des choses, on trouve aussi dans cet ouvrage des éléments inattendus tels que les recettes du Crapaud Roumain (absinthe, ail, kwas) ou de l’Atmosphérique de Rais (Cognac à l’éther), qui pourront se révéler utiles au lecteur les soirs de spleen ou de grand froid.
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- Il y a plusieurs volumes ?

- Si vous saviez…

Mais il y a plus encore. En sus des treize chapitres composant le corps de l’ouvrage, Francis Thievicz nous gratifie comme d’autant d’entractes de cinq exergues (“Le drame d’un père et la gloire d’un fils”, “L’arbre aux quatre saisons”, “Flasque et bizarre”, “Parasite”, “Infini”) qui composent de brèves saynètes, elles aussi étranges et en harmonie avec le reste du volume. La dernière de ces saynètes, dialogue entre Miss Stiple et le narrateur, laisse entendre que les chroniques du Club de Curiosités comprennent bien d’autres histoires. Ce que le lecteur est ravi d’apprendre, car au terme de ce petit volume riche en découvertes, mais s’étendant sur seulement cent quatorze pages, il ne rechignerait pas à poursuivre sa lecture.

Que peut-on conclure au terme de ce premier opuscule ? Des auteurs français classiques comme Guy de Maupassant, Charles Rabou, Barbey d’Aurevilly, Villiers de l’Isle-Adam, Philarète Chasles, Xavier Forneret, Marcel Schwob ou Léon Bloy font à l’évidence partie de l’héritage intellectuel de Francis Thievicz, qui pour autant ne renie pas des auteurs anglo-saxons tels que Conan Doyle, Howard Philips Lovecraft, ou encore Ambrose Bierce. Il y a aussi dans ces histoires, pour ne pas oublier les contemporains, une petite note des aventures du tandem Coolter et Quincampoix de Christian Hibon et Philippe Gindre, et un parfum de ces récits façon steampunk qui, depuis quelques années, se matérialisent de façon sporadique sur les tables des libraires.

L’invocation des mânes de ces auteurs prestigieux impose une maîtrise de la langue française qui apparaît ici encore perfectible. Ainsi le puriste pourra-t-il reprocher à l’auteur un couple de contresens, une expression parfois un peu chargée (mais l’exercice de style consistant à écrire façon fin dix-neuvième n’a rien de facile et Francis Thievicz s’en sort plutôt bien), ainsi qu’un nombre non négligeable de coquilles. On peut également ajouter à ce bref paragraphe de regrets le fait que le dessinateur des vignettes de fin de chapitre et de l’illustration de la page cinquante-cinq ne soit nulle part crédité. Mais ces réserves, somme toute accessoires, n’enlèvent pas grand-chose à la qualité de l’ouvrage et ne retirent rien à son charme ni à son originalité.

Car, on l’aura compris, une des grandes qualités de cet ouvrage est de ne s’inscrire dans aucun courant littéraire. Si l’ambiance de ces récits de club est résolument fin-de-siècle, ou, pour considérer la chose d’un point de vue anglo-saxon, victorienne, Francis Thievicz se garde de faire trop résolument basculer ses récits dans le steampunk. L’atmosphère y est – les becs de gaz, les équipées nocturnes, les directions atypiques prises par la science – mais l’une des grandes caractéristiques emblématiques du genre, à savoir la profusion de dispositifs et de mécanismes, est ici évitée. Tout au plus a-t-on affaire à une machine à révéler le poids des âmes, ce qui, avouons-le, n’a rien que de fort conventionnel. Si les emprunts à divers genres de l’imaginaire, fantastique lovecraftien et récit policier pour ne citer que les plus évidents d’entre eux, évoquent eux aussi ce laboratoire de fusion littéraire qu’est le steampunk, l’auteur, manifestement dans le dessein de ne pas s’écarter de sa ligne directrice, se contente d’effleurer sobrement cette mouvance.

Doté d’un format élégant, sous une couverture parfaitement réussie signée Mélusine, « Le Miroir Noir et Autres Curiosités » est donc, sans jouer sur les mots, typiquement l’ouvrage atypique à classer dans les inclassables, le genre de volume que l’on serre précieusement en compagnie d’autres publications excentriques et que l’on prend plaisir à tirer de son rayonnage de temps à autre, pour en relire un chapitre ou pour le faire découvrir à ses visiteurs. Alors que les fêtes de fin d’année approchent à grands pas, un magnifique petit volume et une excellente idée pour ceux qui désespèrent de trouver un livre réellement original à offrir, livre qui devrait leur permettre – qui plus est pour un prix dérisoire – de contenter à la fois amateurs, bibliophiles et curieux.
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Titre : Le Miroir Noir et Autres Curiosités
Auteur : Francis Thievicz
Couverture : Mélusine
Éditeur : Les Éditions de l’Antre
Site internet : Le Club de Curiosités
Pages : 114
Format (en cm) : 10 x 19
Dépôt légal : novembre 2010
ISBN : 9-782915-016093
Prix : 8 €


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Coquilles Club de Curiosités

Hilaire Alrune
17 décembre 2010


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Le Miroir Noir et autres Curiosités



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Club de Curiosités 1



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Club de Curiosités 2



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Club de Curiosités 3



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Le Miroir Noir Quatrième de couverture



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Club de Curiosités 4



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Club de Curiosités 5



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Club de Curiosités par Mélusine



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