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Musique de la Chair (La)
Daniel Walther
Black Coat Press, Rivière Blanche, recueil (France), science-fiction, 276 pages, octobre 2010, 20€

Pour ceux qui connaissent Daniel Walther, Betali Svön ne leur sera pas inconnu. Ce compositeur et chirurgien apparaissait déjà dans les années 1970 dans la nouvelle “Est-ce moi qui blasphème ton nom, Seigneur ?” (Fiction 230) et dans un chapitre du roman « Happy End, ou la Nouvelle Cité du Soleil » (Présence du Futur), ainsi que plus récemment dans le Lunatique Spécial consacré à l’auteur, avec “Manuscrit trouvé dans un étui de cigare”.
Dans le numéro 62 de la revue Brèves en 2000, l’écrivain parlait de son désir de poursuivre les aventures de Betali Svön dans un roman à épisodes.



Dix ans plus tard, ce projet voit enfin le jour. Pour parvenir à ce résultat, il aura fallu d’une part, l’insistance de Richard Comballot, bien connu pour ses entretiens (en général fleuves) avec les auteurs de l’imaginaire et ses anthologies, et d’autre part, l’opportunité de publier « La Musique de la Chair » chez Rivière Blanche. Deux acteurs du milieu qui méritent tous nos remerciements pour leurs efforts.

Finito regroupe huit épisodes de la vie de Betali Svön, racontés par lui-même ou un autre personnage. Son génie lui vaut aussi bien les honneurs que les ennuis. Parfois la musique lui joue des tours : il devient un enjeu politique, les protagonistes voyant en lui un outil de propagande (“Est-ce moi qui blasphème ton nom, Seigneur ?”), un dictateur s’assure par la force ses services pour composer un requiem à sa gloire (“Chirurgie à New Orlando”).
Parfois, ce sont ses dons de chirurgien qui l’entraînent sur la mauvaise pente, comme dans “Le Serpent aveugle” où il soigne un riche obèse qui lui fait une demande dépassant le contrat d’origine.

Finito relève du roman parcellaire, dont les différentes parties n’ont pas forcément de lien direct entre elles. Seules “La Musique de la Chair”, donnant son nom à cet ouvrage, et “Space opera” sont des suites, car on retrouve la femme que Betali a sauvée d’une mort certaine sur une station, avant de l’emmener avec lui sur un vaisseau en transit. Après l’opération, une inspiration soudaine a poussé le compositeur à transcrire la musique sur un support vivant, s’assurant au passage l’amour de sa partition de chair.

Betali Svön est un homme connu, déchaînant souvent les passions autour de lui. Les femmes ne restent pas insensibles face à lui et elles sont prêtes à tout pour le connaître plus intimement. Dans “Manuscrit trouvé dans un étui de cigare”, il rejette les avances pressantes d’une admiratrice, lui accordant juste un substitut dont elle saura faire bon usage.
Dans les deux dernières parties de Finito, Betali Svön se détache de la musique et de la chirurgie, poussé par les évènements dans “Vieux Theodore des Étoiles” et par choix dans “Tsunami”, cherchant davantage encore le plaisir des sens.

Au fil des histoires, le compositeur et chirurgien devient toujours plus humain, il se détache de son statut d’icône pour se rapprocher du simple mortel. La figure de la femme est toujours plus présente dans sa vie, qu’elle soit simple, aguicheuse, désespérée, vicieuse, soumise…
On retrouve ici le thème de prédilection de l’auteur, où un homme sans femme pour lui révéler sa condition n’est pas vraiment un homme.
Certaines séquences sont enlevées et constituent un excellent prélude aux aventures d’une autre création de Daniel Walther.

Laissons-lui d’ailleurs le soin de la présenter : « WYRS, Grant. Profession dimensionaute / immortel fluctuant. Souvent sujet aux hallucinations mathématiques / sexuelles ».
Voilà qui résume parfaitement Autres vies et petites morts de Grant Wyrs. Dans les sept courtes incursions, figures géométriques et sexe font bon ménage. Fantasme, rêve ou réalité, la barrière est mince et Grant Wyrs prend le temps d’explorer chaque nouveau territoire, aussi bien que les corps féminins qui y sont associés.

Ici, Daniel Walther ne transige pas, il laisse courir son imagination, écrivant tout simplement ce qu’il a envie, sans peur de heurter le lecteur. “La Planète égarée”, “Le Triangle d’Andromède” et “Le Losange de Vénus” étaient déjà parus dans des supports que je qualifierais de confidentiels.
Et comme pour Betali Svön, c’est sous l’impulsion de Richard Comballot que l’écrivain a poursuivi les histoires de Grant Wyrs à travers “Le Ruban de Moebius”, “Le Carré magique”, “Le Trapèze de Titan” et “Le Cercle de Circé”.

Les coincés, ceux pour qui le corps de la femme et les rapports charnels sont des sujets tabous crieront au scandale. Pourtant il ne s’agit aucunement de pornographie, mais d’une ode à la femme sans qui les hommes n’auraient finalement pas de grandes raisons d’exister. Sans elles, la vie mériterait-elle d’être vécue ? Daniel Walther pose clairement le problème, y glissant même la solution.

Aucune voix de la science-fiction ne peut se targuer de parler ainsi des rapports entretenus entre hommes et femmes, même entre femmes. Se cantonner aux bons sentiments, éluder l’acte pour éviter de choquer, garder une ligne de conduite sans écarts n’est pas le credo de Daniel Walther. Il n’édulcore pas la vie, il la retranscrit à sa façon.

Loin de se borner à Finito (170 pages) et Autres vies et petites morts de Grant Wyrs (50 pages), « La Musique de la Chair » est complété de la belle nouvelle “Le roman de la rose des temps” et de “Les Chasseurs du temps”, une série de poèmes SF liés entre eux.

Le roman de la rose des temps” est dans la droite lignée des textes précédents. Pour le personnage principal, la croisière s’avère bien monotone avec pour seule distraction les divagations du docte Zacharie Mann. Heureusement que la plantureuse Tana Thune arrive à point pour le distraire. Plus tard, un étrange phénomène spatial se produit…
Ici, l’âme humaine est poussée dans ses derniers retranchements quand son possesseur voit la fin proche et semble-t-il inéluctable. Comment réagirait-on dans une telle situation ? Céderions-nous au désespoir, perdant ainsi tous nos moyens, tenterions-nous un baroud d’honneur ou encore assouvirions-nous nos instincts les plus bas… Question difficile sur la nature humaine ! La réponse, toute waltherienne, explore avec brio les différentes possibilités.
Très bon texte qui, à lui seul, résume le talent de l’écrivain alsacien.

Lorsque l’on pense à Daniel Walther, souvent ses nouvelles nous viennent à l’esprit avant ses romans. Et on oublie qu’il écrit aussi des poésies. « Uniquement pour le plaisir », est-il précisé dans « Hologrammes Coloriés », un surprenant recueil de poésies paru dans la collection Souffles d’Automne.
Habile contre-point à l’érotisme dégagé auparavant, la série de poèmes science-fictifs, “Les Chasseurs du temps”, forme un tout : l’histoire éclatée et tourmentée de la planète Fange-du-soleil. Même pour un lecteur perméable à cet art, comme moi, on est si loin de l’image un peu vieillotte qu’il peut véhiculer, que l’on ne peut être que séduit. À mon sens, “Les Chasseurs du temps” méritent plusieurs lectures pour en saisir toutes les interactions et subtilités.

« La Musique de la Chair » est un recueil à tiroirs. Loin de se contenter du minimum, il permet de mieux cerner les différentes facettes de cet auteur fascinant, pour qui la femme est un sujet d’émerveillement permanent.

Daniel Walther, c’est l’assurance d’explorer des territoires de l’imaginaire à faible fréquentation, que la majorité des auteurs, trop timorés en la matière, s’interdit.
Alors osez franchir la barrière et découvrez une littérature plus proche des pensées humaines, d’autant qu’il le fait avec la manière.

« La Musique de la Chair » est signé par un des acteurs majeurs de l’imaginaire francophone, par une plume rare et attachante, et mérite toute notre attention.
À l’occasion de cette sortie, il a accepté de répondre à quelques questions de la Yozone.


Titre : La Musique de la Chair
Auteur : Daniel Walther
Couverture : Grillon
Éditeur : Black Coat Press
Collection : Rivière Blanche
Directeur de collection : Philippe Ward
Site Internet : Roman (site éditeur)
Pages : 276
Format (en cm) : 20,4 x 12,8
Dépôt légal : octobre 2010
ISBN : 978-1-935558-65-1
Prix : 20 € (plus 3 euros de port)



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François Schnebelen
4 décembre 2010


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Illustration de Grillon



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