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Par-Delà les Murs du Monde
James Tiptree Jr. (Alice Bradley Sheldon)
Gallimard, Folio Sf, traduit de l’anglais (USA), science-fiction anthropologique ?, 492 pages, octobre 2009, 8,20€

Une entité traverse l’espace, détruisant les mondes. Séparée des siens, elle poursuit une mission, tout en sachant son attitude erronée.
Sur la planète Tyree, des créatures aériennes ont senti les mondes exploser, et se savent menacées du même sort. Grâce à leur pouvoir, elles cherchent une échappatoire, pour survivre à celui qu’ils nomment le Destructeur.
Sur Terre, aux USA, Daniel Dann est un médecin sous cachetons qui, pour ne plus subir la litanie de malheurs de sa clientèle, a rejoint le groupe du professeur Noé Catledge. Ce dernier espère bien, via une expérience grandeur nature, obtenir une subvention de l’Armée pour ses recherches.

Grâce à un Faisceau psychique, des Tyrenni vont échanger leur esprit avec les sujets de Noé. Pour quelles conséquences ?



Je préfère vous le dire d’entrée de jeu : « Par-Delà les Murs du Monde » a failli me tomber une vingtaine de fois des mains avant de devenir, pour un temps, captivant. Pour un temps seulement. Je ne suis peut-être plus habitué à la SF des années 70, mais ce pavé de presque 500 pages a été un calvaire, qui m’a occupé durant dix jours et deux migraines.

Calvaire visuel et intellectuel


Tout d’abord, le récit alterne 3 points de vue : l’entité, les Tyrenni, les Terriens. Les chapitres laissant la “parole” à l’entité sont écrits en majuscules, pour mieux signifier le gigantisme et l’aspect total du truc. Et c’est très, très fatigant à lire. Heureusement que ça ne dépasse jamais les dix pages.
Les Tyrenni, via une des leurs, la femelle Tyvonel, nous présentent un monde sans commune mesure avec le nôtre. Ils ont leurs propres termes et leurs propres concepts. Je reviendrai plus loin sur l’extrême qualité créative de l’auteure à leur sujet, mais durant la première moitié du bouquin (soit presque 1 chapitre sur 2 durant 200 pages), il faut dire les choses, on a du mal : on ne sait pas à quoi ils ressemblent, beaucoup de choses normales pour la narratrice nous échappent largement, bref, on suppose, on émet des hypothèses.
La partie sur Terre pourrait être plus agréable à lire, moins “prise de tête”. Que nenni. Daniel Dann est un être torturé, qui fait passer à coups de drogues (pardon, pharmacopées) diverses les maux de crâne et aigreurs que lui inspirent les malheurs d’autrui. Car il est quelqu’un à qui on se confie, sur l’épaule de qui on vient pleurer. Et les sujets de Noé sont des cas psychiatriques, bien que certains aient l’air normaux. Et notre vieux docteur de tenter de sortir de ce marasme en draguant, bien maladroitement, la jeune mathématicienne du groupe. Entre les malheurs des uns, les hésitations des autres, il ne se passe pas grand-chose jusqu’à ce que l’expérience débute (vers la 200e page, donc), et on a envie de botter les fesses à tout le monde pour les secouer un peu.
Et tout cela, pour ne rien gâter, dans un style également pénible à lire : tout au présent (grande modernité en 1978), avec une narration centrée sur un personnage mais qui bascule parfois en vision interne, une pensée, un commentaire à la première personne s’insérant inopinément dans le récit. Ce va-et-vient objectif-subjectif est au début déroutant, et finalement juste agaçant.

Voilà, j’en ai fini avec les aspects négatifs, ou presque : l’histoire met donc 200 pages à se mettre en place, 80 à 100 sont consacrées à ce que nous attendions, les conséquences débordent quelque peu, et les 100 dernières nous entraînent loin... dans l’ennui de l’espace. La traduction d’Elisabeth Vonarburg m’a paru impeccable, mais elle ne rend pas le roman compréhensible pour autant.
Après une telle introduction, j’en attendais bien plus. Mais cette histoire d’expériences psycho-extra-corporelles est le jouet des évènements, et j’ai eu la sensation que lorsqu’une piste littéraire logique se dessinait, une catastrophe venait la réduire à néant pour nous envoyer ailleurs. Quelques scènes du troisième quart du livre apportent une réponse en quelques lignes au martyre qu’on a subit durant la première moitié. Très souvent, on s’en tient à “tout ça pour si peu...”

Un essai d’anthropologie ?


Bon, tout n’est pas noir. Les Tyrenni sont un peuple magnifiquement bien imaginé, tout comme leur monde, ou du moins leur perception de celui-ci (et, du fait de la narration par une des leurs, la vision que nous en avons). Bien entendu, l’échange de corps entre le docteur Dann et Giadoc va remplacer quelques hypothèses par des images nettes, lorsqu’un humain voit ce monde et ces gens par des yeux similaires aux nôtres. C’est l’occasion pour le lecteur de remettre en question ses préjugés sur la vie, la civilisation, etc. Point majeur, ce sont les mâles qui s’occupent des enfants, qui “paternent”, et les femelles explorent, ramènent de la nourriture... Tout ce qu’on découvre à chaque prise de parole de Tyvonel est matière à réflexion sur notre société.
Même chose, le duel politico-philosophique qui les divise (peut-on déposséder de leur esprit des êtres pensants pour assurer sa propre survie et celle de ses enfants) est fort bien mené.
Seul bémol peut-être : les Tyrenni semblent bien peu nombreux sur leur planète (bien moins que les humains, en tout cas) sans que l’auteure y apporte d’explication, voire en fasse cas, ce qui limite les conséquences des choix d’un camp et de l’autre.

Paratexte


Enfin, dès la quatrième de couverture, puis en préface, on est prévenu : James Tiptree Jr est un pseudonyme. Tous les critiques américains ont vu une grande plume de l’époque cachée derrière, mais surtout pas une femme n’ayant publié que des nouvelles. Alice Bradley Sheldon ne publiera qu’un autre roman, « Brightness Falls from the Air », jamais traduit chez nous. Deux autres faits nous sont signalés : elle se suicide en 1987 après avoir abrégé les souffrances de son mari, et un prix porte son nom (enfin son pseudonyme), récompensant un ouvrage de SF éclairant les relations entre hommes et femmes, à l’exemple des Tyrenni où les mâles paternent et les femelles subviennent aux besoins.
Bon courage
En conclusion, je ne conseillerais ce « Par-Delà les Murs du Monde » qu’avec des pincettes. En dépit de son statut de livre majeur de la SF américaine, grand classique, etc, sa lecture est très pénible, et physiquement fatigante. On peine à dégager un intérêt des 200 premières pages autre que de préparer le terrain, et les 100 dernières semblent totalement inintéressantes ou presque, passés les révélations et éclairages nécessaires à la compréhension de quelques petites choses comme le pourquoi de tout cela...

N’abordez donc ce roman qu’avec courage et patience. Il est très beau, très riche, mais très difficile.
Et si les expériences extra-corporelles via l’espace sont votre tasse de thé, je vous conseillerai plus chaudement l’également difficile mais ô combien plus bref « Transit » de Pierre Pelot, paru il y a longtemps chez Pocket.

Quelques coquilles ont traversé les décennies, et je ne garantis pas l’exhaustivité du relevé.

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Par-delà les murs du monde - corrections

Titre : Par-Delà les Murs du Monde (Up the Walls of the World, 1978)
Auteur : James Tiptree Jr. (Alice Bradley Sheldon)
Traduction de l’anglais (États-Unis) : Elisabeth Vonarburg
Couverture : Emmanuel Malin
Éditeur : Gallimard (première édition française : Denoël, Présence du Futur, 1979)
Collection : Folio SF
Site internet : page roman (site éditeur)
Pages : 492
Format (en cm) : 10,8 x 17,8 x 2,2
Dépôt légal : octobre 2009
ISBN : 978-2-07-035972-1
Prix : 8,20 €



Nicolas Soffray
15 octobre 2010


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