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Dimension Brian Stableford
Brian Stableford
Black Coat Press, Rivière Blanche, Fusée, nouvelles traduites de l’anglais (Grande-Bretagne), science-fiction, 293 pages, juillet 2010, 20€

Brian Stableford est un oublié de l’édition française. Ainsi que le rappelle Jean-Marc Lofficier dans la préface de cet ouvrage, Stableford est un auteur prolifique. Et quiconque le lit un tant soit peu pourra ajouter l’argument de la qualité à la quantité.
Trop peu traduit, ou de manière incomplète, Brian Stableford est enfin disponible au lectorat français via ce premier ouvrage que Rivière Blanche lui consacre.



Huit nouvelles et une novella composent ce premier « Dimension Brian Stableford » (un second est en préparation). Excellente entrée en matière, le recueil rassemble des textes des 20 dernières années, publiés ça et là en France (Cyberdreams, Asphodale, Utopod, Les Moutons électriques) et quelques inédits.

Un thème, favori de l’auteur, domine sans pour autant s’imposer : la quête de l’immortalité. Si Jean-Marc Lofficier le souligne concernant les nouvelles “Les Flûtes de Pan”, La Grande Chaîne de la Vie et “Les Immortels de l’Atlantide”, on peut sans conteste l’étendre à tout l’ouvrage.

On commencera avec “L’exposition secrète”, un texte qui sera au sommaire du prochain « La Muse Égarée », prenant place sur une île réservée aux artistes, Mnémosyne, dans un univers uchronique où Rome a perduré. Ici s’affrontent deux peintres : l’un, âgé, reconnu, voit débarqué sur l’île la nouvelle coqueluche de Rome, qui traîne derrière lui un mystère aux allures de malédiction : trois jeunes filles dont il a fait le portrait sont mortes peu après. Entre rivalité artistique et quête de la raison d’être profonde de l’art et de son besoin d’expression, le texte, parsemé de touches fantastiques, remémore Hoffman ou Théophile Gautier. On en ressort un peu secoué, ce qui est, ma foi, une bonne chose.

L’Homme qui inventa le Bon Goût” est plus léger dans sa forme, interview d’un publicitaire gouailleur après le décès d’un chimiste de génie qui travaillait sur les récepteurs gustatifs. Au fil des pages, on voit l’entreprise idéaliste du jeune chimiste dévoyée par le commercial, mais aussi et simplement par les consommateurs, qui répondent à la tentative d’éducation gustative du scientifique par une utilisation toute pratique de son produit... De quoi perdre confiance en la race humaine... De toute façon, c’était déjà fait ! L’ambivalence entre le sujet sérieux, sinon grave (les conséquences de la malbouffe) et l’humour noir, dans le style comme dans la chute, s’avère une excellente idée.

Le Mal que font les Hommes” est un conte moral, dans la tradition des Mille et Une Nuits. Un tyran, devenu ascète durant 43 années, s’en retourne chez lui pour réparer ses erreurs, armé du pouvoir secret de son dieu. En chemin, il peine à réaliser qu’on l’a déjà oublié, car son remplaçant actuel est encore plus tyrannique. Bien décidé à purger les hommes de leurs péchés, il va faire, comme on s’y attendait, plus de mal que de bien. Expression du proverbe “le mieux est l’ennemi du bien”, ce conte attaque aussi discrètement la religion et le fanatisme aveugle, qui mine la vie des hommes (qui s’en sortent très bien sans foi, avec du blé et du jus de raisin...)

L’Élixir de Jouvence” reste dans le domaine viticole, dans l’Europe moyenâgeuse, et commence de même comme un conte : un vigneron a deux fils. L’aîné renonce à son héritage et part à la recherche de trésors. Le cadet trime des années durant, sans répit, sans profiter de sa jeunesse, tandis que le père lui fait miroiter son futur patrimoine. Une nuit, l’aîné revient, et propose à son frère un élixir de jouvence en échange de l’héritage. Le cadet, furieux de se voir dépossédé après tant de labeur, tue son frère et l’enferme dans une barrique avec son soi-disant élixir. Et lorsque le duc vient chercher du vin pour les noces de son fils, ce tonneau-là s’avère délicieux... et attire toutes les convoitises... La suite, aussi drôle que tragique, pointe de quoi sont capables les hommes pour se réserver à eux seuls la jeunesse éternelle. Quel qu’en soit finalement le prix...

Après l’Âge de Pierre”, texte écrit pour la BBC, revisite le mythe du vampire, de façon très prosaïque, dans notre monde partagé entre le bureau en open-space et la tyrannie de la mode qui impose aux femmes de ne pas dépasser le 38 si elles veulent prendre du galon. Au-delà de ce tableau plutôt réaliste de notre société, les vampires apparaissent sous la plume de Stableford non comme des prédateurs mais comme une race divergente, et menacée d’extinction, presque par choix...

Les Flûtes de Pan” nous plonge en pleine anticipation, dans un futur flou où la science semble se mêler de tout. Histoire difficile à cerner, tournant autour d’une enfant qui a atteint la puberté, ce qui semble être catalogué comme une défaillance quand on vit éternellement, enfant ou adulte... Il en va un peu de même avec “La Grande Chaîne de la Vie”, où les mourants sont métamorphosés en arbres, combattant du même coup la déforestation et payant la “dette carbone” de leurs pères. Aussi, quand une mère fait le choix de la métamorphose qui la rendra immortelle avant que le cancer n’ait raison de ses dernières forces, le plus dur est pour sa famille : accepter son choix. Très belle anticipation écologique, mêlée à un sujet pas facile, la fin de vie volontaire...

Les Immortels de l’Atlantide”, en comparaison de tout ce qui a précédé, fait un peu série B. Dans une banlieue un peu chaude, un vieux bien propre sur lui séquestre une femme chez elle avant de lui révéler la vérité : ils sont tous deux des Atlantes, il va réveiller ses souvenirs ataviques au moyen de fragrances élaborées, et ensemble, ils réveilleront leurs autres frères pour dominer la Terre et mettre fin aux méfaits des hommes envers la planète. Le tout échoue à cause de petits voyous passant par là. Et la femme de se dire : Finalement, et si... ? Un peu en deçà donc, mais pas déplaisant.

La novella qui clôt ce premier « Dimension Brian Stableford » a été publiée dans Les Compagnons de l’Ombre 3, chez le même éditeur. Stableford y revisite une nouvelle de Morgan Robertson. Un voyage du transatlantique “Titan” voit se rencontrer auteurs et journalistes de l’époque, et quelques héros (ainsi qu’il sied à l’anthologie “Compagnons de l’Ombre”), dont Allan Quatermain. Le voyage aurait pu être paisible, sans d’étranges cas de vampirisme. Dieu merci, à l’entrepont, pas en première classe ! Quatermain, entre deux dîners fins et trois histoires de chasse, se voit charger de ramener le calme, sinon d’enquêter, tandis que les divagations des auteurs sur les évènements vont bon train, que le petit-fils de Rocambole fourre son nez partout et que Thomas Edison met au point sa machine à communiquer avec les morts... Tout cela à la veille du XXe siècle.
Un dernier texte riche de références littéraires chères à Stableford, Féval en tête, et baignant avec délice dans cette atmosphère de fin de siècle, où chacun décrie le XIXe siècle s’éteignant pour mieux fonder ses espoirs dans le XXe pas encore né mais déjà si prometteur...
Encore faudra-t-il atteindre New York en vie...

Si vous ne connaissez pas encore Brian Stableford, ce premier recueil laisse entrevoir la richesse et la variété de sa prose, du conte et de l’héroïc-fantasy à des textes beaucoup plus scientifiques, tous d’une grande profondeur, révélatrice de l’âme humaine, tantôt d’une pâle pureté, souvent noir d’encre...

Las, las, las, on déplorera beaucoup, beaucoup, beaucoup de coquilles.

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Dimension Brian Stableford - corrections

Titre : Dimension Brian Stableford (nouvelles)
Nouvelles : L’exposition secrète (The Secret Exhibition, 1999, inédite en français), L’Homme qui inventa le Bon Goût (The Man who invented Good Taste, 1991, 1995), Le Mal que font les Hommes (The Evil that Men Do, 1995, 2003), L’Élixir de Jouvence (The Elixir of Youth, 2003, 2003), Après l’Âge de Pierre (After the Stone Age, 2004, inédit en français), Les Flûtes de Pan (The pipes of Pan, 1997, 2005), La Grande Chaîne de la Vie (The Great Chain of Being), 2008, inédit en français), Les Immortels de l’Atlantide (The Immortals of Atlantis, 2007, 2008), Le Sauvetage du Titan ou La Futilité revisitée (The Titan Unwrecked, or Futility Revisited, 2005, 2009)
Auteur : Brian Stableford
Traduction de l’anglais (Grande-Bretagne) : Nicolas Cluzeau, Sylvie Denis, Florence Dolizi, Jean-Marc Lofficier, Martine Loncan, Lucas Moreno, Catherine Rabier
Couverture : Ladrönn
Éditeur : Black Coat Press
Collection : Rivière Blanche - Fusée
Site internet : page roman (site éditeur)
Pages : 293
Format (en cm) : 12,3 x 20,2 x 1,8
Dépôt légal : juillet 2010
ISBN : 978-1-935558-54-5
Prix : 20 €



Brian Stableford sur la Yozone :
- L’Empire des Nécromants


Nicolas Soffray
27 septembre 2010


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