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Breaking Bad
Une création de Vince Gilligan
26 juin 2010

Créée par Vince Gilligan (co-producteur de « X-Files ») et diffusée depuis janvier 2008 sur la chaîne câblée AMC, « Breaking Bad » s’impose dès le pilote comme une des meilleures séries du moment.



Le pitch a déjà de quoi mettre l’eau à la bouche : professeur de chimie dans un lycée d’Albuquerque, au Nouveau Mexique, Walter White mène une existence morne et routinière aux côtés de sa femme (enceinte) et de son fils (handicapé). Apprenant qu’il est atteint d’un cancer des poumons incurable, Walter décide de goûter à la liberté en s’associant avec un ancien élève, Jesse Pinkman, petite frappe et dealer de quartier : ensemble, ils installent dans une caravane un laboratoire de fabrication de drogue et se lancent dans la production de méthamphétamine.

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Le pilote est à la hauteur du pitch : il y a du « Priscilla, folle du désert » dans cette ouverture déjantée en plein désert du Nouveau-Mexique, où un Walter en (désormais légendaire) slip blanc et masque à gaz se débat dans sa nouvelle existence de caïd de la drogue. Il y a quelque chose des frères Coen, aussi, dans l’absurdité quasi burlesque que trimballe ce héros-loser avec lui, dans ce grincement à peine audible entre le drôle et le sordide. C’est avec grand plaisir que l’on retrouve Bryan Cranston, découvert dans la série « Malcolm » à travers le personnage déjà sérieusement barré et totalement irresponsable de Hal, le père de famille. On se souvient aussi de sa présence, sous le nom de Hammond Druthers, dans deux épisodes de « How I Met Your Mother » : architecte imbuvable et doté d’un ego démesuré, il y débutait en tant que patron de Ted, poursuivait employé et finissait licencié en seulement deux fois vingt minutes…

Dès le début du pilote, le message est clair : « Breaking Bad » n’est pas un remâché de « Weeds ». Si dans cette dernière, une mère de famille bien sous tous rapports se découvrait soudainement une vocation de dealeuse, la comparaison s’arrête là. « Breaking Bad »se veut incontestablement plus noire, plus cynique, plus adulte. Car outre l’aspect fun et purement jouissif amené par la transformation de ce petit prof terne en fabriquant de méthamphétamine, le pilote ne perd pas un instant de vue les raisons de cette métamorphose : la maladie, la mort programmée et le furieux besoin d’être au monde. « Six Feet Under » nous avait intimé de vivre en nous rappelant l’omniprésence de la mort ; « Breaking Bad » semble prendre la même direction, en empruntant d’autres routes.

Mais qu’importe le flacon, pourvu qu’on ait la qualité : à n’en pas douter, le pilote tient ses promesses.

Breaking Bad : bilan de la saison 1

Inutile de préciser qu’après un tel pilote, on attendait beaucoup de cette première saison de « Breaking Bad », sérieusement écourtée par la grève des scénaristes de 2007. Toutefois, boucler la saison en seulement sept épisodes fut peut-être un mal nécessaire : Vince Gilligan, créateur de la série et ancien producteur, scénariste et réalisateur de « X-Files », redoutait en effet que le scénario souffre de son propre élan, progressant trop rapidement vers une issue qui ne pourra qu’être tragique. Pas de happy-end en vue pour Walter White et sa famille, pas de guérison inexpliquée ni d’intervention divine : le prof de chimie devenu fabriquant de méthamphétamine ne se relèvera pas de son cancer des poumons.

Mais Walt n’est pas encore à terre, et c’est bien à sa chute que nous assistons, ou du moins à une dégringolade du masque : plus de quarante années d’hibernation, quarante années passées à polir la couche de vernis plaquée sur sa vie, son travail, sa famille et ses relations, volent en éclat à l’annonce du verdict : cancer des poumons. Inopérable. Walter l’effacé, le discipliné, décide ainsi un beau matin de piétiner l’obéissance à grand coup de savate, envoyant valser pour le meilleur et (surtout) le pire toutes les règles et tous les cadres qui structuraient son existence. Car c’est bien de transgression qu’il s’agit, dans ce refus nouveau et obstiné de toute forme de loi, dans le basculement brutal de ce drôle de type vers un territoire non balisé. Faire le choix de poser la caravane, lieu de fabrication de la drogue et concentré de la violation des interdits, au beau milieu du désert ne relève pas seulement de considérations logistiques et pragmatiques. Rien ne vient régir l’ordre des choses dans le désert, si ce n’est la loi de la nature.

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Un désert qui, par ailleurs, répond à l’exigence visuelle et esthétique de la série : les sols rouges, les ciels filmés en contre-plongée, les plans shootés au grand angle, le soin apporté à la composition et l’audace de certains cadrages constituent désormais, après seulement sept épisodes, la signature graphique de « Breaking Bad ». L’écriture est à la hauteur de l’image, ne se résignant à aucune facilité et y gagnant considérablement en efficacité : le recours aux flash forwards, qui se systématisera dans la deuxième saison, est dosé et calibré au millimètre près. Quel que soit l’angle choisi, il y a toujours prise de position, et il est souvent difficile d’anticiper la scène suivante tant « Breaking Bad » nous embarque hors des sentiers battus, dans cette sorte de no rule’s land aussi effrayant que jouissif.

De scènes d’actions survoltées en longs silences pesants - de ceux qui nous feraient quitter la pièce si n’y avait pas d’écran pour nous en protéger -, « Breaking Bad » trace sa route et invente son propre langage ; horreur, drame intimiste, western, comédie ou burlesque, tous les registres sont exploités pour servir le même propos : qu’advient-il de la vie lorsque l’on prend conscience de sa mort ? De la maladie, omniprésente, rien ne nous est épargné : Walter tousse, crache et vomit. Il perd ses cheveux, maigrit et traîne son angoisse et sa fatigue de chimiothérapie en radiothérapie. Le corps est un élément central de « Breaking Bad » : celui de Walter, bien sûr, mais aussi celui de sa femme Skyler, enceinte, et de son fils Walter Jr, handicapé.

Rien ici n’est moins rêche, rien n’est moins crade et moins cru que dans une certaine réalité : « Breaking Bad » est une série qui donne à voir, avec toute la complexité et les nuances que cela implique.


Article extrait du blog God Save My Screen



Amandine Prié
26 juin 2010



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