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Aral
Alex Darnel
Interkeltia, Projexion-Sf/Today, roman (France), mélange SF écolo-mystico-aventure, 321 pages, novembre 2009, 12,66€

Stéphane, journaliste un peu baroudeur, blasé et cynique, est balancé par son patron au Kazakhstan pour faire un papier sur la mer d’Aral. Sur place, il tombe sur une perle parmi la population locale, une grande et belle jeune femme, qui fait tache parmi les miséreux et les malades, et qui en plus parle anglais. Il l’embauche aussitôt comme interprète et s’apprête à faire son papier fissa, mais quelques évènements étranges l’amènent à s’interroger, avec 3 scientifiques français, sur les conséquences de la découverte du tombeau d’un chef local du XIVe siècle, qui aurait défié le grand Tamerlan et prédit l’assèchement de l’Aral, en même temps que son retour en sauveur...



« Aral » est l’exemple même du roman moyen, qui captive d’abord par sa couverture accrocheuse et un titre à la référence universelle (ça fait malheureusement des années qu’on sait tous que la mer d’Aral est condamnée ou presque), et puis qui déçoit, énormément, par son contenu et le peu de soin accordé au texte.

Constat écologique ou thriller mystique ?

Le récit, résumé ci-dessus un peu plus longuement qu’en 4e de couverture, est coupé en 3 parties (par l’auteur, Alex Darnel). La première voit l’arrivée du journaliste, cliché même du reporter de Capa, l’Occidental qui débaroule avec son appareil et qui va sauver son monde de la misère et tout et tout, qui fait son boulot (qui ne l’emballe pas), sans plus, se documentant en lisant le guide du routard (authentique) durant le voyage. Pas forcément inintéressante pour qui ne sait rien de l’Aral, elle est un peu plombée par le côté “je déballe ma science”, via mes personnages de scientifiques (dont la conversation ennuie ouvertement les autres).

La seconde déplace l’intrigue vers une découverte archéologique, le tombeau d’un grand guerrier (par la taille et le courage) et une prophétie volontairement obscure (pour le héros) et que le lecteur éventera relativement rapidement. Les péripéties, pas toujours très logiques, se multiplient façon thriller, avec une narration interne qui plonge le lecteur dans les divagations paranoïaques du journaliste, qui oscille entre “tout le monde veut ma peau” et “j’ai envie de me taper mon interprète à chaque fois que je la regarde (mais peut-être est-elle dans le coup ?)”

La troisième, en guise de conclusion (soit les 30 dernières pages) semble vouloir donner une caution scientifique (peu compréhensible au lecteur lambda) aux éléments fantastiques du récit, à savoir le don de prescience physique de la jeune femme, sa remarquable adaptation au sel et la possible réincarnation du chef de guerre. Et un happy end qu’on aura deviné 50 pages plus tôt.

Bref, rien de bien fabuleux, on a en fait la sensation de deux récits distincts, et ainsi que la mission du journaliste, l’abandon du premier au profit du second. L’ennui, c’est qu’on a du mal à accrocher, entre les déballages en bloc de savoir de guide touristique (entrant pour la première fois dans une vraie yourte, Stéphane en fait une description minutieuse, reconnaissant le bois, les fibres et les toisons utilisés pour sa construction...) et les péripéties téléphonées ou totalement imprévisibles.

Le baroudeur blasé et la princesse mongole

Le héros n’est pas non plus très attachant. Décrit dès le départ (et sans subtilité, comme le reste) comme cynique et revenu de tout, se comportant comme en pays conquis, sous divers prétextes, dont l’amour et l’inquiétude, il va enchaîner le pire du pire, de l’espionnage de demoiselle au rapt et à la torture après avoir été lui-même enlevé et abandonné dans le désert.

Sa relation avec la jeune et jolie Nargiza est aussi banale que mal écrite. Sorte de top-model d’ascendance mongole, la jeune femme (représentée en couverture) s’habille de manière provocante sans que cela soit un souci dans cette société musulmane. En bon Occidental, Stéphane passe son temps à la déshabiller du regard (dès leur première rencontre) et ne rêve que de se la taper, plus ou moins vulgairement, et cela à peu près à tous les moments du roman où ils sont réunis, malgré les péripéties alors vécues. Certes, leur proximité est un des moteurs de l’intrigue (on ne fréquente pas une jeune fille sans s’attirer les foudres de quelqu’un de sa famille, éventuellement élargie), mais bien que le narrateur déclare changer, sentir ses sentiments évoluer, ses pulsions restent souvent au niveau bestial, “moi gentil blanc, toi sauvage locale, moi t’apporter la solution à la consanguinité du village”. C’est dit de manière un peu violente, mais c’est exactement la sensation qu’on retire de la lecture. Et c’est même la finalité de l’histoire, ou presque.

Tant de fautes, est-ce possible ? Il faut croire...

Enfin, et pas des moindres : c’est un torchon. Mal écrit, on se demande parfois si l’auteur s’est relu. Si certaines descriptions ne manquent pas de poésie, la narration confiée à Stéphane faite la part belle à un langage parlé au style familier vite fatigant. De plus, on tombe parfois sur des phrases où le regard et le cerveau butent, et on se dit que l’auteur a voulu réemployer une expression qu’il a (mal) entendue et mal (ou pas) comprise.
Le français est mis à mal à chaque page, par un emploi très aléatoire des virgules (souvent placées entre le sujet et le verbe) et plus souvent leur absence totale (là où il en faudrait pour séparer la réplique de l’incise, et d’une proposition subordonnée ou juxtaposée). Les coquilles sont légion, à croire qu’on s’est contenté de lancer le correcteur automatique sans vérifier. Tous les mots existent (ou presque), mais leur sens tient parfois à peu : un accent (“à” pour “a”, “où” pour “ou”, et vice-versa) ou un trait d’union (“peut-être” est par exemple systématiquement écrit sans trait d’union), quand l’auteur n’en colle pas là où il n’en faut pas ! (page 19 : “sur-le-champ de foire” !)

Comme d’habitude, je vous renvoie au document ci-dessous. Sauf que là, je vous le dis franchement, j’en ai vite eu marre. Dès le premier chapitre, j’avais renoncé à pointer les virgules manquantes ou mal placées. Dès la fin du second, j’ai abandonné l’idée de tout corriger, pour ne vous relever que le plus “rigolo” (et d’une certaine façon, le plus triste). Et puis arrivé à la page 30, plus que la plus grosse bêtise de chaque page. Enfin, vers la 50, faute de place sur mon signet-bristol, que le pire du pire. Et puis, un livre déjà pas captivant, s’il faut s’interrompre toutes les 20 secondes pour noter...

Texte - 3.4 ko
Aral - florilège !


Je vilipendais il y a quelques temps le roman auto-édité « Farence : la Légende », lui aussi rempli de fautes, et louais alors le travail de l’éditeur. « Aral » est-il l’exception qui confirme douloureusement la règle ? Le livre est imprimé en Bulgarie, mais ce n’est quand même pas l’imprimeur qui se charge de la correction ? Je dirais, à la louche et après la fatigue oculaire consécutive à sa lecture, qu’« Aral » doit bien contenir 1200 coquilles, lourdeurs, contre-sens, torsions de la langue, points de ponctuation à revoir, majuscules en trop ou oubliées, dont la quasi-totalité n’aurait pas échappé à un lecteur lambda.

On terminera par du détail, au regard de ce qui précède : la maquette fait le choix de ne pas mettre d’alinéa en début de paragraphe, ce qui n’allège pas le bloc pondu par Alex Darnel. L’éditeur n’accentue pas ses majuscules (surprenant en 2009, mais les puristes apprécieront), mais on trouvera quand même deux “À”. Enfin, les chiffres romains ne sont pas le fort de quelqu’un dans cette histoire : il y a deux chapitres 10 (X) et point de 9 (IX), et le 29e et dernier est maladroitement composé ainsi : XXVIV.

Piètre vitrine d’Interkeltia

Proposé à petit prix (12.66€, c’est la crise), « Aral » ne les vaut pas. Brouillon, bavard, donneur de leçons qu’il n’applique pas, il tente (apparemment) de s’affranchir de codes (de la SF ou du thriller) et échoue lamentablement à captiver l’attention, à cause d’incessants changements de direction, d’hypothèses absurdes du narrateur aussitôt estampillées vérités absolues, de clichés dignes de la France coloniale et du machisme du siècle dernier.
Lu faute de mieux sous la main (et parce que j’ai toujours espoir que les choses s’améliorent au fil des pages), « Aral » est un agglomérat de promesses déçues, qui du fond à la forme se moque du lecteur et de son intelligence.
J’ai vraiment l’impression d’avoir perdu mon temps. Que mon sacrifice ne soit pas vain !


Titre : Aral
Auteur : Alex Darnel
Couverture : Amar Djouad
Éditeur : Interkeltia
Collection : Projexion SF/Today, dirigée par Jacques Seval
Site internet : page roman (site éditeur)
Pages : 321
Format (en cm) : 14,2 x 20 x 1,7
Dépôt légal : novembre 2009
ISBN : 978-2-35778-017-0
Prix : 12,66 € (ou 7 € en PDF / ePub, achat via le site éditeur)



Nicolas Soffray
29 juin 2010


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