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Greg Mandel T1 : Mindstar
Peter F. Hamilton
Milady, traduit de l’anglais (Grande-Bretagne), Science-Fiction, 603 pages, février 2010, 9€

Si Peter F. Hamilton est surtout connu pour son monumental opus « L’Aube de la Nuit », il est également l’auteur d’un ensemble de trois romans consacrés aux aventures de Greg Mandel. Avec Mindstar, Milady entame la publication de ce cycle, et offre aux lecteurs francophones le premier roman de l’auteur, paru en langue anglo-saxonne en 1993.



Dix ans de Parti Socialiste Populaire ont ruiné la Grande-Bretagne : krach financier, destruction de l’économie, sécurité sociale dissoute, réseau routier à l’abandon. Un début de fonte des pôles n’a pas amélioré les choses : l’île d’Ely est sous la mer, deux millions de britanniques sont déplacés, les habitants des Fens inondés du Lincolnshire viennent augmenter la population des bourgs et des villages. Deux ans après la chute du Parti Socialiste Populaire et la seconde Restauration, dans un pays qui subit le poids des modifications climatiques – alternance de sécheresses et d’inondations – le capitalisme reprend peu à peu ses droits : la ville de Peterborough, à présent marquée par un port au-dessus de sa cathédrale engloutie, est devenue la nouvelle Hong Kong britannique.

Dans ce contexte, l’entreprise Event Horizon, après avoir, durant les années socialistes, produit des biens de consommation dans des navires-usines situés dans les eaux internationales, et les avoir introduits grâce à des contrebandiers “pareils à des Pères Noël démoniaques” sur le territoire britannique, dispose à présent des conditions idéales pour s’étendre. Elle possède des usines orbitales où sont fabriqués en microgravité des composés de haute technologie, finance des complexes de recherche, et lance vers les astéroïdes de sondes de prospection minière. Ces dernières représentent un pari un peu fou : Philip Evans, le directeur d’Event Horizon, table sur un avenir où les conglomérats japonais, allemand et américain auront mis au point un statoréacteur diminuant les coûts d’exploitation, et où son entreprise, ayant su prendre les devants, sera en toute première ligne.

Mais rien ne se déroule comme prévu. Event Horizon est la cible d’attaques et de sabotages que la sécurité ne parvient pas à prévenir. Philip Evans, gravement malade, fait appel aux services de Greg Mandel, soldat modifié issu du programme Mindstar et rescapé de la guerre de Turquie, à qui un implant neuro-hormonal confère un acuité particulière qu’il décrit comme “une sorte de superempathie, ou d’intuition très affinée, ou un mélange des deux.” Il est aidé dans son enquête par Julie Evans, jeune héritière de la firme, elle aussi modifiée par des implants cérébraux, parfois elle-même effrayée par la nature inhumaine de sa matrice métaphysique, nature que l’auteur résume par l’élégante formule d’“ordinateur irrationnel”.

Technomercenaires invisibles, cyberpirates insaisissables, conglomérats et espionnage industriels, gangs, individu biomécanique, asservissement bactériologique, félins génétiquement modifiés, propagations virales informatiques dans les défenses et les implants, personnages centraux ni vraiment vivants ni vraiment morts, traçages, satellites, navettes spatiales, armes du futur, précognition : l’auteur déploie au service de son intrigue une vaste panoplie qui ne vient jamais résoudre artificiellement un problème de narration mais au contraire s’intègre au récit et vient lui donner cohérence.

À mesure que l’intrigue avance, le récit se fait plus âpre, plus tendu. Les personnages, qui au départ ont des allures de stéréotypes, gagnent en densité au fil des chapitres, révèlent peu à peu une complexité très humaine. Le doute les assaille sans cesse, non seulement en ce qui concerne leur enquête, plus complexe qu’elle ne le semblait au départ, mais également au sujet d’eux-mêmes. “L’implant glandulaire lui donnait accès total aux faiblesses d’une âme”, écrit Peter F. Hamilton. Ainsi l’acuité augmentée de Greg Mandel dévoile-t-elle les failles et les fissures des autres mais aussi la malédiction qu’elle représente pour lui-même. Lui qui est à présent pour le plus grand nombre une sorte de monstre, et qui essaie de laisser loin en arrière un passé dans lequel il n’était qu’un soldat “dépendant de la sagesse de généraux invisibles et énigmatiques, et de Dieu qui lançait les dés”.

S’il arrive à Peter F. Hamilton d’user des ficelles du genre, elles ne sont jamais grossières, et l’on suit l’enquête menée par Greg Mandel sans jamais décrocher. Progressivement, dans le dernier tiers de l’ouvrage, le rythme du récit accélère, se fait plus riche en péripéties. Enfin le roman se conclut par des chapitres d’action enlevés qui ont des relents de scènes cinématographiques, de ces successions de paragraphes très visuels que l’on se projette inconsciemment sur son écran intérieur. Un final qui montre que Peter F. Hamilton est tout autant capable de réussir des scènes d’action que de développer patiemment son récit.

On peut, au fil du roman, critiquer ici et là quelques détails. En particulier, le support scientifique de la réincarnation d’un personnage dans un système analogue aux constructs de William Gibson apparaît assez faible. Le collage des acides ribonucléiques en séquence dans des nodules de ferrédoxine suivi de couplage neuronal peut abuser quiconque n’y connaît strictement rien en sciences, mais aussi décevoir les autres. On peut s’interroger sur la longueur du roman – plus de six cent pages – mais, s’il est vrai que l’intrigue pouvait être développée sur un format plus court, on ne peut pour autant accuser l’auteur de tirer de manière flagrante à la ligne. S’il lui arrive de s’étendre sur une description, de détailler les pensées d’un personnage au cours d’un dialogue, tous ces éléments participent à la densité et à la cohérence du récit.

Difficilement classable, « Mindstar » fait donc partie de ces romans qui mêlent et intègrent genres et influences : on y retrouve des éléments de science-fiction classique, de politique-fiction, de technothriller, de cyberpunk, de polar. De ce fait, même si « Mindstar », par comparaison, se situe dans un futur assez proche, il fait inévitablement penser à des récits comme « Avance rapide » et « Frères de Chair » de Michael Marshall Smith, ou aux volumes consacrés à Takeshi Kovacs par Richard Morgan (« Carbone Modifié » ou « Furies Déchaînées »). Au total, un premier roman ambitieux et réussi tout autant qu’un bon divertissement, à la fois dense et solidement construit.

Texte - 994 octets
Coquilles Mindstar

Titre : Mindstar (Mindstar, 1993)
Auteur : Peter F. Hamilton
Traduction de l’anglais (Grande-Bretagne) : Thierry Arson
Couverture : Lapao
Éditeur : Milady
Site internet : page roman (site éditeur)
Pages : 603
Format (en cm) : 18 x 11 x 4
Dépôt légal : février 2010
ISBN : 978-2811202903
Prix : 9 €



Hilaire Alrune
13 juin 2010


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