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Magiciennes et Sorciers (Imaginales 2010)
Stéphanie Nicot (dir.)
Mnémos, anthologie Imaginales 2010, nouvelles (France), 283 pages, mai 2010, 20€

L’initiative de Stéphanie Nicot, initiée l’an dernier, de marquer chaque festival Imaginales d’une anthologie sur un grand thème de fantasy a été, en 2009, un franc succès. « Rois et capitaines » réunissait grands noms et petits nouveaux de la fantasy française.
Eh bien, si c’est possible, « Magiciennes et Sorciers », le millésime 2010, fait encore plus fort !



Quatorze textes cette année, et difficile d’en trouver un qui fasse tache. En qualité, surtout, parce que côté contenu, on a là un panel complet de ce qui fait la richesse de la fantasy.

Dans sa préface, Stéphanie Nicot rappelle les sources du genre, et on partagera avec elle le constat que la fantasy a bien évolué, depuis la définition de Sprague de Camp (“un univers merveilleux où les hommes sont forts et les femmes toutes belles”), pour acquérir une densité, du fond et de la forme. Comme la SF, le genre est désormais un décor de transposition, un lieu où l’épique peut s’ajouter au quotidien, mais surtout un révélateur de certaines permanences de l’âme humaine, dans ce qu’elle peut avoir de meilleur, dans ce qu’elle cache souvent de pire.

Le livre s’ouvre par le coup de cœur de cette année, Sire Cédric. Friand et talentueux auteur de fantastique gothique, il passe à la fantasy, avec un roman en prévision. Son “Coeur de Serpent”, s’il joue sur un thème connu, dévoile un univers fort détaillé qui emportera rapidement l’adhésion.

J’attendais avec impatience le retour de Laurent Gidon. Avant le second roman des aventures de son Djeeb (à paraître très bientôt chez Mnémos), il jette son héros dans des contrées superstitieuses, où la magie commence là où les autres veulent bien y croire. Jusqu’à rencontrer de vrais magiciens, et là, bonjour les ennuis ! Le ton, initialement léger, sait se faire grave lorsqu’il le faut. Si vous avez aimé la plume de « Djeeb le Chanceur », vous vous délecterez, passant du rire aux larmes, de “Djeeb l’Encharmeur”.

Les “Toiles Déchirées” de Charlotte Bousquet mettent stylistiquement la barre un cran au-dessus. L’auteure sait mieux que quiconque parler des femmes dans sa prose, et le destin de ses deux personnages, la mère et la fille, ne manque pas de tragique. Le récit, construit par la révélation de souvenirs (c’est mieux que des flash-back), est d’une telle densité qu’il pourrait être l’incipit d’un excellent roman d’apprentissage et de lutte féminine. On se vengera de sa brièveté en se jetant sur la suite d’« Arachnae », « Cytheriae », sorti récemment.

Mon coup de cœur de l’an dernier, Maïa Mazaurette, m’avait enchanté avec « Dehors les Chiens les Infidèles ». Le “Sacre” de « Rois et Capitaines » valait le détour. Son “Exaucée” est tout en finesse et en noirceur. Sa première phrase (“À part les dents pourries, tout était conforme.”) donne le ton. Reprenant un thème classique, l’attente du prince charmant, elle réussit à lui insuffler une dimension inédite, exercice dans lequel Catherine Dufour avait un peu pataugé l’an dernier. La chute n’est guère en faveur de la cause masculine...

C’est d’ailleurs l’une des marques de la fantasy du XXIe siècle : la place des femmes. Il y en a des fortes, des faibles, certaines savent user de leurs charmes, d’autres les voient se retourner contre elles... Les hommes, dans tout cela, s’éloignent parfois de l’archétype énoncé par Sprague de Camp, délaissant la force pour la ruse, parfois la douceur... Mais hélas, il demeure en eux la mauvaise graine de l’appât du gain, de la tentation de la chair, qui les rend encore bien imparfaits et les confine souvent aux mauvais rôles. Mais ceux-ci peuvent s’étendre à la race humaine en général...

T’humiliera” de Justine Niogret le prouve bien. Si les hommes, les soldats, sont à l’origine de la déchéance de la vieille bossue qui nous narre sournoisement son histoire, c’est à la face de l’ensemble des humains qu’elle crache son mépris. La plume de l’auteure de « Chien du Heaume » (Mnémos), premier roman fort remarqué, est incisive, dure, sans concession dans la bouche d’une femme que la vie n’a pas épargnée. Un des textes les plus puissants de ce « Magiciennes et Sorciers ».

J’outrepasse l’ordre du sommaire pour vous parler de “L’Autre”, de Pierre Bordage. C’est ici une femme qui est victime, de sa différence, des rumeurs, du ressentiment. Bouc émissaire, elle concentre sur sa personne tous les petits soucis et les terreurs fantasmées des villageois. La seule magie, noire, à l’œuvre dans le texte de Pierre Bordage, c’est celle des foules en colère, et du mal qu’elles peuvent provoquer. Le moins “magique” de tous, mais le plus révélateur de notre nature humaine.

L“’Ultime Illusion”, d’Érik Wietzel, ne fait certes pas preuve de beaucoup d’originalité, mais il sait lui aussi conter, dans une aventure “quotidienne” d’un univers de fantasy, toute la valeur d’une histoire merveilleuse. Son récit est sans chichis extraordinaires (bon, il y a un dragon), ses personnages attachants, ses méchants simplement vrais. Sans forcer, sans chercher loin, un texte très plaisant.

Dans “In Cauda Venenum”, Rachel Tanner reprend, comme Laurent Gidon, un de ses personnages de roman, pour nous replonger dans une Rome antique à peine uchronique. Elle tourne sa nouvelle comme une enquête policière, où les femmes se tiennent en bonne place, qu’elles soient belles, fanées ou vieillies, désirées ou juste désirables. L’amour est une magie redoutable, et contrairement à la malédiction que doit contrer Judith, il n’y a pas toujours de contre-sort...

Julien d’Hem, le petit jeune recommandé l’an dernier par Michel Robert, est de retour. Son “Margot” n’est pas désagréable, un peu violent, et il semble mettre toute son imagination masculine à nous narrer la vengeance d’une jeune fille abusée par le nobliau local et ses compagnons. Il est dommage que son texte soit chargé d’une vingtaine de coquilles...

Le duo Sylvie Miller et Philippe Ward est seul à puiser dans la richesse du folklore français, pour un texte aux accents très médiévaux fort sympathique, où magies blanche et noire s’affrontent par l’entremise de l’Inquisition dans “Le Crépuscule des Maudites”.

J’adore Jean-Claude Dunyach. Il faudra qu’on vous parle sur la Yozone des recueils que l’Atalante consacre à ses nouvelles, bien souvent excellentes. Si comme moi vous avez lu « Déchiffrer la Trame » et « Séparations », les deux derniers opus, vous connaissez déjà le troll de pierre, responsable de la section forge et excavation, qui hait la paperasse et les pistonnés de la hiérarchie. Cette fois-ci, dans “Respectons les procédures”, on lui reproche de ne pas avoir rapporté les notes de frais de sa dernière mission. Il va falloir y retourner, et les réclamer à des interlocuteurs pas toujours dociles ni conciliants. D’un sérieux hilarant, cette transposition du monde de l’entreprise dans un univers de fantasy met bien souvent le doigt là où ça fait mal.

Alors qu’on approche des dernière pages, voici qu’arrive Lionel Davoust, déjà au sommaire l’an dernier, et ses “Quelques grammes d’oubli dans la neige”. Tout simplement fabuleux, mêlant magie, politique et histoire, pouvoir masculin contre (im)puissance féminine, poésie et réalité. Mon coup de cœur 2010, à travers « La Volonté du Dragon », ou le recueil « L’Importance de ton Regard ».

Jean-Philippe Jaworski, lauréat l’an dernier du Prix Imaginales pour « Gagner la Guerre », nous replonge dans son Vieux Royaume avec “La Troisième Hypostase”. Tissant le portrait, et l’ultime combat, d’une magicienne blanche, il parvient en simple toile de fond à nous narrer la défaite du Bien contre les Hordes Noires. De son écriture aussi dense qu’à l’accoutumée, il nous raconte un duel inégal, où la balance ne cesse d’osciller entre les deux adversaires, incarnant sur cet îlot isolé du conflit la bataille titanesque qui s’achève au loin.

Fabien Clavel clôt ce « Magiciennes et Sorciers » avec la puissance brute, primale, d’un chaman d’Europe Centrale, dans une ère temporelle et géographique proche des « Cavaliers du Taurus » de Nicolas Cluzeau. Son “Chamane” est apprenti, et tandis que sa civilisation se meurt, il va faire ses premières armes, prendre ses premiers coups, frémir pour la première fois, avant de devoir accepter les changements qui s’annoncent.
Il est temps de tourner la page.

Sans conteste, « Magiciennes et Sorciers » succède dignement à « Rois et Capitaines ». Après l’honneur ou la trahison des hommes d’armes, cette seconde anthologie des Imaginales célèbre la magie, dans toute sa dualité, des souffrances qu’elle inflige aux maux qu’elle peut soulager, du pouvoir qu’elle apporte au prix qu’il faut, fatalement, payer.

Il est un peu dommage que les résolutions de Mnémos de voir se raréfier les coquilles dans leurs parutions ne s’avèrent qu’imparfaitement concrétisées. Si certains textes sont impeccables (il faut le souligner), une poignée de fautes subsistent encore, au risque de rompre le charme. Problèmes de délais restreints à respecter (sans doute) pour une parution à temps pour les Imaginales et aléas de l’édition indépendante donc on comprend et on pardonne.

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Magiciennes et sorciers - corrections


Cela dit, ne vous arrêtez pas à si peu, car « Magiciennes et Sorciers » vaut vraiment qu’on s’y plonge. Je regrette presque d’avoir dû le dévorer si vite...


Titre : Magiciennes et Sorciers - Anthologie du Festival Imaginales 2010
Direction de l’anthologie : Stéphanie Nicot
Auteurs (par ordre alphabétique) : Pierre Bordage, Charlotte Bousquet, Fabien Clavel, Lionel Davoust, Jean-Claude Dunyach, Laurent Gidon, Julien d’Hem, Jean-Philippe Jaworski, Maïa Mazaurette, Sylvie Miller et Philippe Ward, Justice Niogret, Sire Cédric, Rachel Tanner, Érik Wieztel
Couverture : Julien Delval
Éditeur : Mnémos
Collection : Fantasy / Imaginales
Site internet : page roman (site éditeur)
Pages : 283
Format (en cm) : 15,5 x 23,5 x 2,2
Dépôt légal : mai 2010
ISBN : 978-2-35408-079-2
Prix : 20 €



Nicolas Soffray
20 mai 2010


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