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Arthor T2 : La Louve et le Démon
Alfred Angelo Attanasio
Calmann-Lévy, Fantasy, roman traduit de l’anglais (États-Unis), génèse arthurienne et théologie, 295 pages, octobre 2009, 18,95€

Uther, nouveau héros des Bretons, hérite de la place de son défunt frère. Pour unir la Bretagne, il n’a plus qu’à épouser Ygrane, selon les plans de la reine celte et de Merlinus. C’est d’autant plus facile qu’à leur première rencontre, l’amour entre eux deux est immédiat. En plus de leur peuple, il convient alors d’unir leurs fois. Uther découvre les Sid lorsque les sorcières de Morgeu enlèvent Ygrane, le jour de leur mariage. Et la reine celte, captive de sa fille, est visitée par la Vierge Marie.
Il ne manque au royaume que la paix, qui ne s’obtient que par la guerre, et un héritier, fort et sage, pour ensuite le conserver.



Je commencerai par une remarque toute pratique : à la lecture du titre original, on notera que Calmann-Lévy a fait le choix (certainement commercial) de découper cette histoire en deux tomes, au lieu d’un seul de 500 pages dans sa version originale. Ce n’est pas grand-chose, mais c’est toujours irritant.

Parlons du contenu. Cette seconde partie de « Le Dragon et la Licorne », bien que presque 100 pages plus longue, est beaucoup plus ramassée temporellement. Le premier volume voyait la jeunesse d’Ygrane, son couronnement et l’éducation de sa fille Morgeu, alors que « La Louve et le Démon » ne dure qu’une petite année, de la mort du frère d’Uther à la naissance d’Arthor. Mais quelle année, riche de péripéties !

Conflits internes

Uther va suivre sa destinée, réunir les peuples romains et celtes de Bretagne en épousant Ygrane. Celle-ci s’arrange pour le rencontrer incognito, et jauger son futur époux. Le découvrant honnête et juste comme dans sa vision, Ygrane sait qu’elle va enfin connaître le bonheur et l’amour. Uther, qui n’avait en tête que l’objectif de convertir la reine celte au christianisme, tombe lui aussi sous le charme de cette femme.
Mais bien sûr, tout ne va pas se passer comme prévu. Le jour des noces, alors que déjà prêtres et druides chipotent sur leurs croyances respectives (malgré une révélation généalogique des druides qui les ferait remonter aux tribus d’Israël), Morgeu, possédée par le démon Ethiops, vient se venger de sa mère.
Aigrie par la mort de sa mère, qu’elle impute à Merlinus, elle s’est tournée vers les anciennes croyances celtes et adore Morrigan, la cruelle déesse du sacrifice, sans réaliser qu’elle est en fait manipulée par les démons invoqués par le Furieux, qui se servent d’elle pour frapper Lailoken, leur ancien camarade passé à l’ennemi et qui se met à aimer un peu trop ces “sacs à viande” qui s’agitent pitoyablement sur la croûte terrestre du Dragon.

Bref, tandis que Merlinus affronte les démons, Morgeu enlève sa mère. Pour se relever du carnage effectué par les sorcières dans ses rangs, et sauver son épouse, Uther fait appel aux Daoine Sid, le peuple des fées. Le roi-cerf lui ouvre les portes du royaume céleste, lui permet de revoir son frère et d’en appeler à la puissance de Wray Vitki, son ancêtre mage-dragon. Le dieu-cerf fait aussi une proposition à Uther : son âme de chrétien contre celle du meilleur guerrier celte pour son fils.
Dans sa cellule, Ygrane est torturée par les démons et sa fille, et ne doit sa survie, jusqu’à l’arrivée de son époux, qu’à sa volonté, ses dernières bribes de magie, et la visitation de Miriam, qu’elle apprendra plus tard être la mère du dieu des chrétiens. Au vu des similitudes entre leurs deux fois, ce dernier élément suffit à la convaincre de se convertir.
Une bonne partie du roman tourne autour de la foi, et Uther comme Ygrane vont découvrir celle de l’autre, et pencher en sa faveur. Ce qui au final fait sourire, car la reine celte se convertit publiquement, tandis qu’Uther mourra après avoir changé intérieurement.

Forger la future légende

Pendant ce temps, Myrddin/Merlinus suit les consignes de la licorne, et s’en va sur Avalon chercher l’épée Foudre, dérobée au Furieux par les Seigneurs du Feu, ces Anges relativement absents de cette seconde partie, alors qu’on estimait leur rôle majeur à la lecture du début de « Le Dragon et la Licorne ». Outre sa rencontre avec les Neuf Reines du passé, qui l’éclaireront (et nous aussi) sur la nécessité du sacrifice d’Uther (et plus tard d’Arthor), il reviendra de lîle légendaire avec un fragment d’étoile, une roche magnétique dans laquelle il coincera l’épée. Oui, le rocher d’Excalibur n’est qu’un gros aimant... dans la lignée des flux électriques longuement évoqués dans le tome précédent. Flux beaucoup plus rares ici, tandis que les incantations se multiplient, la magie s’installant brièvement avant de disparaître.

Merlinus ira aussi à la recherche de la Table-Roue, un tronçon d’un chêne abattu par la tempête, qu’il fera rouler sur les chemins de Bretagne, représentant initialement la mobilité du commandement d’Uther, puisque sa nouvelle capitale, Camelot, n’est pas encore achevée. C’est sur cette table, vite chargée de symbolique, que les Neuf Reines déposeront le Graal, une antenne capable de capter le flux électrique céleste et de recharger les pouvoirs d’Ygrane, à la veille de la grande bataille. Exit tout rapport avec le sang du Christ, hormis un clin d’œil vite passé.

Tout se finit dans le sang. La guerre dégoûte Uther, et son inexpérience manque de lui coûter la victoire. Les pertes sont nombreuses, des deux côtés. Ygrane parvient à exorciser Morgeu, mais celle-ci, possédée par Ethiops, blesse mortellement la licorne. Le Furieux, venu sur le champ de bataille, espère se débarrasser de Lailoken, mais à cause d’une ancienne promesse, il frappe ses propres rangs.
Tout s’achève après la mort du roi, qui sauve ainsi la reine et son fils, et la naissance de ce dernier. La mère le baptise d’un nom complexe, effrayant et ennemi : Aigle Royal du Tonnerre, Aquila Regalis Thor, ou... Arthor.
Ygrane confie l’enfant à Lailoken, pour se soustraire à la menace des complots et des démons. La Licorne rentre chez elle. Le Dragon, gavé par l’énergie de ces morts humaines, démoniaques et divines, est repu, et peut enfin communiquer avec ses confrères du cosmos.
Et l’enchanteur, préparant l’avenir, de remettre l’épée Foudre dans le fragment d’étoile magnétique.

Sentiments mitigés

On reste donc sur sa faim. Cette saga sous-titrée “Arthor” n’aura donc été qu’une genèse, mélangeant une historicité un peu plus rigoureuse que la légende (la présence romaine, l’unification militaire, politique et religieuse de la Bretagne) à une vision assez originale de la magie et du domaine divin. Rien de trop novateur cependant : le monde des dieux, comme dans la plupart des mythologies, n’est qu’un calque de la hiérarchie terrestre, avec ses complots et ses chamailleries, et l’auteur abandonne vite ses projets d’immatérialité pour revenir à des paysages majestueux même s’ils sont teintés de bleu électrique. Idem pour l’impulsion de départ de transcrire toute magie en flux magnétique et scientifique, qui revient vite sous des termes comme “incantation barbare” ou “magie” à mesure que le récit se centre sur la croûte terrestre.

Les grands complots entre Seigneurs du Feu, démons et dieux Aesirs, sans parler des Sid, largement mis en avant dans le tome 1, se sont presque évaporés, à une exception : on nous apprend que les démons manipulent en fait le Furieux. Ce qui ne fait qu’ajouter à la confusion. Les Seigneurs du Feu, qui semblaient les maîtres marionnettistes de cette histoire, passent quasi complètement à la trappe, et il s’en faut de peu que le Dragon subisse le même sort. Certes, on me dira que ces entités ne vivent pas sur le même plan temporel, néanmoins les évènements de « La Louve et le Démon » sont annoncés comme décisifs pour l’avenir, mais les forces supérieures semblent en faire bien peu cas.

On retrouvera parfois quelques allusions à la légende (les Sœurs d’Arimathie, la soi-disant métamorphose d’Uther pour séduire Ygrane) mais de manière vraiment très anecdotique, comme si Attanasio voulait mêler plus intimement sa fiction pseudo-historique au grand mythe arthurien.

Le texte, intégralement écrit au présent, pour mieux rendre l’immédiateté des actions, est plutôt haletant (durant les passages où l’action prime sur la description), mais les interludes sont éprouvants. Les multiples retours en mémoire de la (re)naissance de Lailoken sous forme humaine, mâtiné de questionnement philosophico-théologique (suis-je bon ? je suis un démon mais ma mère m’a élevé en chrétien, etc.), sont vite agaçants par leur fréquence. Et lorsque ce n’est pas Lailoken qui s’interroge sur lui-même, ce sont Ygrane et Uther qui discourent sur leur foi, souvent en longueur. Mais bon, me direz-vous, cela change des délires piézo-électriques du tome 1...

En conclusion, on retiendra une histoire pas facile d’accès, mais qui a le mérite de donner un nouvel éclairage, fictionnel comme rédactionnel, à une légende profondément ancrée dans notre culture de l’imaginaire. Les idées initiales étaient plutôt originales, et il est un peu dommage qu’elles s’étiolent et que de nombreuses questions secondaires restent sans réponses, simplement laissées de côté.
On regrettera les partis-pris discutables de l’éditeur français (une couverture et un résumé qui n’appuient que sur l’aspect fantasy, un découpage en 2 volumes, un sous-titre trompeur) qui nous font entamer la lecture sur de mauvaises bases.

Pas trop de coquilles.

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La Louve et le démon - 11 corrections et une question

Titre : La Louve et le Démon (The Dragon and the Unicorn, 1996)
Série : Arthor, tome 2
Auteur : Alfred Angelo Attanasio
Traduction de l’anglais (États-Unis) : Henry-Luc Planchat
Couverture : Alain Brion (illustration), Néjib Belhadj Kacem (maquette)
Éditeur : Calmann-Lévy
Collection : Fantasy
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 295
Format (en cm) : 15,4 x 24 x 2,4
Dépôt légal : octobre 2009
ISBN : 978-2-7021-4008-6
Prix : 18,90 €


À lire sur la Yozone :
- la chronique du tome 1 « Le Dragon et la Licorne »


Nicolas Soffray
21 avril 2010


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