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Qushmarrah, le prix de la liberté
Glen Cook
L’Atalante, roman traduit de l’anglais (États-Unis), fantasy historique, 440 pages, octobre 2007, 20€

Les Hérodiens ont gagné la guerre contre Qushmarrah, un traître leur offrant la victoire d’une bataille décisive. Depuis six ans, la ville vit sous l’occupation, les mercenaires du désert patrouillant en ville sous le regard mauvais mais soumis des vétérans vaincus et démobilisés. Toute la cité n’a cependant pas capitulé. Reste Nakar, le puissant roi-sorcier, retranché dans sa tour sombre qui domine la ville. Mais cela fait si longtemps, peut-être est-il mort... Et la résistance, qui s’organise, reconstruisant l’ancienne hiérarchie militaire de la compagnie trahie six ans plus tôt.

Et au milieu, Azel, voleur, assassin, espion, enlève un enfant. Fait usage de magie. Disparait dans le labyrinthe des bas quartiers. Et réveille le conflit qui couvait, au grand dam de tous. Mais si le pire à venir n’était pas les conséquences de ses actes, mais leur cause ?



Il y a des auteurs qui font des séries en tant de volumes qu’on hésite toujours : je les lis au fur et à mesure, ou j’attends qu’ils sortent tous ? Et si ça ne me plaît pas ?
Glen Cook est connu pour sa décalogie de la « Compagnie Noire », et plus récemment ses polars de fantasy « Garrett, détective privé ». Je n’ai lu pour le moment que le premier tome de chaque, mais contrairement à mon camarade Henri Bademoude qui vous en parle ici et , je les ai trouvés respectivement “génial”, et “pas si mal”.

Mais voilà, les séries, quand on ne sait pas trop où on met les pieds, si ça va être long (non, je n’ai pas silencieusement maudit Robin Hobb et ses « Aventuriers de la Mer », son « Soldat Chamane »...), il y a des auteurs qui savent encore faire des romans en moins de 500 pages. Et « Qushmarrah » est à placer dans le haut du panier.
Bien que lu il y a quelques temps déjà (peu après sa sortie), il reste pour moi une référence que je conseille dès que je le peux. Avis à froid donc, mariné de souvenirs et longuement mûri.

Pas très récent (1990 quand même, mais traduit seulement en 2007), « Qushmarrah » est à classer dans la fantasy historique. Cook redessine les contours de la guerre entre Rome et Carthage. La fantasy est même relativement reléguée à la toile de fond durant une grande partie du récit : la ville est surplombée d’une tour, la demeure du sorcier Nakar, rendue imprenable par la magie.

Tout l’intérêt du récit tient dans sa narration multiple, alternant les points de vue. On passe de l’honnête charpentier, vétéran de la campagne qui a vu la défaite de sa cité, aux forces d’occupation via un chef de tribu bédouine, jusqu’au général hérodien qui gouverne tant bien que mal la ville.
Par ces trois regards, le récit gagne une certaine universalité : celui de la guerre, de l’occupation, de la peur de tout perdre à la moindre broutille, des calculs incessants pour sauver sa peau, vendre celle de son ennemi au prix fort et gravir les échelons avant de tirer sa révérence à temps.
Ce dernier objectif est celui qui gouverne Azel, le personnage “central” de l’histoire, espion émérite qui joue double, voire triple jeu avec brio, et parfois même un soupçon de loyauté.

Dépourvu de scrupules ou presque, Azel est le moteur des évènements, tandis que les autres protagonistes nous rappellent à chacun de leurs actes que la vie n’est pas un jeu, mais qu’il y a des règles à respecter. Le charpentier craint pour son fils qu’on a tenté d’enlever, il rejette les tentatives d’enrôlement de la résistance, quand bien même il a fréquenté ces gens-là durant son services, et pourtant il déteste l’envahisseur autant qu’eux, et cherche toujours l’identité de celui qui les a tous trahis durant la bataille décisive. Les trois mercenaires Dartars, frères et fils d’un chef de tribu, apprennent les uns des autres, évoquent la vie qu’ils n’auront pas sur leurs terres tandis qu’ils font les bases besognes des Hérodiens, regrettent, se prennent d’amitié pour ces gens qui viscéralement les détestent... Même le gouverneur hérodien, pris entre deux feux, finit par nous paraître, sinon sympathique, au moins humain dans les décisions qu’il est contraint de prendre.

Bien entendu, dans une telle histoire d’occupation et de résistance (deux termes que j’aurais pu écrire avec une majuscule), il y a moult complots, trahisons, coups sournois, ruses à long terme de joueurs d’échecs, improvisation et coups de théâtre. Et la fin est à la démesure de la cité, lorsqu’enfin la magie s’en mêle et que les évènements s’accélèrent tous en même temps.

Glen Cook nous raconte une histoire aux grandes lignes universelles, et ne sombre jamais dans le manichéisme, nous révélant au contraire que le camp des gentils est une notion floue, jamais objective, et que même un acte dicté par le bien commun pourra nuire à des innocents. Et qu’à l’inverse, que même un personnage aux actes détestables comme Azel pourra contribuer à un avenir meilleur. Bref, il donne à sa fiction toutes les apparences de la réalité, avec talent et pour notre plus grand plaisir.

On remerciera l’éditeur qui a pris soin d’inclure en début d’ouvrage une liste des personnages, avec leurs liens familiaux ou politiques, qui permet au lecteur de ne pas se perdre, durant les premiers chapitres, avec tous ces patronymes aux consonances arabo-africaines, fait assez rare dans le genre.

Aussi, si vous aimez l’histoire ancienne, les manœuvres politiques et la diplomatie de couloir, mais surtout des personnages avec de l’épaisseur et de vrais sentiments (de l’amour à la haine, en passant par toutes les petites nuances), le tout saupoudré d’une pointe de fantasy, lisez « Qushmarrah ».

Quand au reste de l’œuvre de Glen Cook, j’espère vous en dire du bien très bientôt...


Titre : Qushmarrah (The Tower of Fear, 1990)
Sous-titre de l’édition française : Le Prix de la Liberté
Auteur : Glen Cook
Traduction de l’anglais (États-Unis) : Franck Reichert
Couverture : Didier Graffet
Éditeur : L’Atalante
Collection : La Dentelle du Cygne
Site internet : page roman (site éditeur)
Pages : 440
Dépôt légal : octobre 2007
Format : 14,6 x 20 x 2,9
ISBN : 978-2-84172-357-7
Prix : 20 €



Nicolas Soffray
22 mars 2010


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