Oui, on l’espère franchement, car « Brasyl » n’est pas un livre facile. Rares sont les livres traitant de l’Amérique du Sud, plus encore en SF. Ian McDonald semble s’être fait une spécialité des univers non-occidentaux, aussi son nouveau roman prend place à Sao Paulo, cité excessive où cohabitent quartiers chics derrière des murs de béton et favelas à flanc de montagne à perte de vue, avec chacun son petit monde à lui, ses règles, ses couleurs, ses odeurs, surtout celle de la mort. Univers exotique certes, et plus terrestre que toute planète-jungle paradisiaque encore inviolée. Dans ce domaine, MacDonald n’innove pas, tout juste va-t-il plus loin que les frileux auteurs américains qui s’enhardissent à peine à traiter du Mexique dans leurs anticipations.
Non, le Brésil suffit, déjà sublime et futuriste de nos jours, pas besoin de changer de planète. Entre ce que les Occidentaux en savent et ce qu’ils imaginent, c’est déjà un décor de SF.
Là où Ian MacDonald va plus loin, c’est en écrivant dans la langue locale. Comprenez que son histoire est pétrie de portugais, d’argot ou de néologismes. J’en profite pour féliciter Cédric Perdereau, que certains critiques ont vilipendé pour son travail soi-disant bâclé. Au contraire, il a su rendre le texte presque lisible.
Car n’ayons pas peur des mots, « Brasyl » est une torture à lire. Avant même de vous (re)parler de l’histoire, je me permets d’appuyer là-dessus : si vous ne parlez pas un mot d’une langue latine, achetez-vous un dictionnaire, car le maigre glossaire en fin d’ouvrage n’y suffira pas.
Mais êtes-vous capable d’apprécier un livre en cherchant le sens d’un mot sur cinq ?
Moi, non. J’ai pris l’option « laisse-toi porter par l’histoire, le contexte suffira ».
Et c’est là que ça a foiré grave.
Car ainsi que je le résume plus haut, « Brasyl » se découpe en trois récits distincts, à trois époques différentes. Et rien, absolument rien dans les 200 premières pages (soit la moitié du bouquin !) ne relie ces trois histoires.
Ian MacDonald a découpé son roman en 8 chapitres d’une cinquantaine de pages, chacun sous l’égide d’une sainte vierge apocryphe (la première étant “Notre-Dame du Budget Illimité”) pas toujours en rapport clair avec le contenu, et qui évoque successivement les trois périodes (2006-2032-1732). L’écriture est dense, illisible sauf si vous êtes lusophone, et bardée de plus de charabia techno-argot-futbolistique que vous n’en croyez possible. Et le style de l’auteur, qui alterne juxtaposition de phrases sans ponctuation (“oui vas-y j’écoute non attends pars pas sans moi je t’aime”) et répétition de mots comme seul superlatif (“Il fait chaud chaud chaud”) n’aide pas toujours à faire passer la pilule...
Bref, quand vous finissez votre tiers de chapitre, en y ayant vaguement compris quelque chose, vous savez que vous attend le double de pages sur deux histoires qui n’ont rien, mais alors rien à voir avec ce que vous venez de décrypter/traduire. Et cela, donc, sur 200 pages.
Ces trois récits sont pourtant loin d’être inintéressants.
Avec Marcelina en 2006, on a une vision réaliste et vitriolée/alcoolisée des médias d’aujourd’hui, à l’affût de la télénovela la plus gnagnan ou de la real-TV la plus trash pour gagner la course à l’audience. L’héroïne, botoxée chaque semaine, se distingue en pratiquant la capoeira (on l’apprend au chapitre 1, ça ne resservira pas avant 250 pages !), et éprouve de vagues remords, mais zut, sa carrière avant tout, elle ne va pas se laisser marcher sur les pieds par plus jeune, plus blonde et plus décolletée qu’elle.
Truculent.
Edson est plus complexe. Son époque aussi : satellites espions, des puces arfid qui marquent au GPS le moindre objet, des ordinateurs quantiques... On retrouve ses marques rapidement si on aime lire William Gibson ou Neal Stephenson, ça a la couleur et le goût du bon cyberpunk, où le high-tech côtoie les poubelles. Edson est un ex-petit voyou, il entretient une drôle de relation homo avec un prof de physique à la retraite, il est béni des dieux mais son frère aîné est un boulet, et il tente, en bon petit poisson dans la grosse rivière, de tirer son épingle du jeu et de ne pas se faire bouffer. Tout cela foire quand son frère vole un sac à main, et doit faire effacer la puce avant l’arrivée des flics (soit dans 10... 9...). Edson rencontre alors Fia, mélange d’Asie et d’Amérique du Sud, et en tombe amoureux. Le lendemain, elle est morte, victime de ses piratages quantiques. Et le surlendemain, il la recroise dans la rue...
Encore plus succulent.
En 1732, le jésuite Luis Quinn vient expier un crime de jeunesse en allant arrêter un prêtre fou qui se prend pour Dieu dans la jungle. Si ça ne vous rappelle pas « Apocalypse Now »... En même temps, il espionne un français, Falcon, qui d’après un métier Jacquard est en train d’inventer l’ordinateur à cartes perforées. Capturé par le méchant qui a bâti une Notre-Dame de la Forêt Inondée flottante, il est envoyé par celui-ci à la recherche d’un peuple d’indiens prophètes. Des gens qui voient les différents mondes, à l’échelle quantique...
Aahhhhhhhhhh ! Enfin, ça devient clair. Fin du labeur, attaquons la seconde moitié.
Je ne plaisante pas. Entre la langue et l’absence d’intérêt reliant les récits, on peine réellement à venir à bout de ce long début.
Mais, ma foi, on est récompensé par la suite : duels à la lameQ (quantique, qui coupe tout jusqu’au centre de la terre), théories des univers parallèles, Ordre supérieur faisant la police entre les mondes (et plus pour soi-disant le bien de tous), faction rebelle, coups de bluff... Les cent dernières pages ne sont que néons, explosions et magnificence. 2006 et 2032 se raccordent, dans une bataille qui n’a rien à envier aux deux auteurs cyberpunks précédemment cités (lisez « Idoru », « Neuromancien » et « Le Samouraï virtuel »/« Snow Crash »). Mais je le répète, elles se méritent.
J’ai lu ici et là (chez la concurrence ou sur des forums) les pires avis sur ce « Brasyl ». L’auteur est déjà multi-primé (Hugo, Philip K. Dick, Theodore Sturgeon), et méta-nominé à chacun de ses bouquins. « Brasyl » a reçu quatre prix en Grande-Bretagne, dont le Locus et le Nebula. Et comme tout bouquin ainsi récompensé, il met tout le monde d’accord ou il divise franchement. On dit que les précédents MacDonald étaient bien meilleurs. Tant mieux pour moi, c’est le premier que je lis de lui. D’où ma “relative” objectivité.
On dit aussi que la traduction est un massacre, mais quelle traduction n’est pas trahison de l’œuvre originale ? « Brasyl » est “mal écrit” à la base, trop lourd trop surchargé trop excessif trop plein de mots qu’on comprend pas trop plein de syntaxe qu’on n’apprend pas à l’école trop dans une langue que les critiques ne parlent pas, et c’est ce qui en fait un ovni, sinon merveilleux, au moins mémorable. Personne n’y a rien compris, c’est pour cela qu’il est primé, et c’est pour ça qu’ensuite on le descend en flammes.
Personnellement, j’hésite encore. Est-il bon à jeter, ou dois-je le mettre sous verre entre mon DVD de « Brazil » de Terry Gilliam (à qui il emprunte presque le titre mais rien d’autre) et celui de « Blade Runner » de Ridley Scott (donc il copie la typo de titre) ?
Ne vaut-il pas plus que la magnifique couverture de Stephan Martinière, qui finalement n’a fait que nous appâter, au même titre que la typo familière et si pleine de promesses déçues ?
J’ai lu mieux, mieux raconté, mieux écrit, de temps en temps les deux ensemble. Mais j’ai lu pire, bien pire, des bouquins sans style, sans plan, sans idée, sans décor... sans vie.
Donc voici mon avis et mon conseil : Lisez-le. D’une traite, car s’arrêter dans « Brasyl », c’est perdre le fil, c’est déjà tenter de renoncer. Plongez-vous dedans. Ne vous arrêtez pas au vocabulaire, ne bloquez pas tous les trois mots, laissez filer. Lisez 100 pages par jour, minimum. Et enfin, posez-le, fini. Puis laissez reposer, et savourez. Car il y a finalement de quoi.
Je finirais en jetant quand même une pierre, et une belle, à l’éditeur : même avec la tonne de portugais qui ne facilitait rien, j’ai relevé presque quarante coquilles (et d’autres se sont sûrement échappées) : des points qui manquent, des mots tout bêtes mal écrits, des choses qu’un relecteur ne laisse normalement pas passer. Mais quelqu’un l’a-t-il seulement relu ?
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Titre : Brasyl (Brasyl, 2007)
Auteur : Ian McDonald
Traduction de l’anglais (Irlande du Nord) : Cédric Perdereau
Couverture : Stephan Martinière (aka Grillon)
Éditeur : Bragelonne
Collection : Science-fiction
Directeur de collection : Tom Clegg
Site internet : page roman (Site éditeur)
Pages : 402
Dépôt légal : septembre 2009
Format : 15,3 x 23,8 x 2,9
ISBN : 978-2-35294-345-7
Prix : 20 €