Chargement...
YOZONE
Le cyberespace de l'imaginaire




Seul le Silence
R.J. Ellory
Le Livre de Poche, n°31494, thriller, traduit de l’anglais (Grande-Bretagne), roman psychologique, 602 pages, juillet 2009, 7,50€

Dans une petite ville de Géorgie, un tueur assassine de façon atroce des petites filles… Crimes qui influenceront à jamais l’existence de Joseph Vaughan, un apprenti écrivain. Jusqu’à ce qu’il découvre lui-même une des victimes…



On a désormais tendance à se méfier des derniers petits génies américains lancés comme des savonnettes, de préférence avec quelques faits tragiques dans leur biblio, provoquant les couinements pavloviens des salonnards, encore que, vu l’état de déliquescence du polar US, lesdits petits génies se fassent de plus en plus rares. Certes, R.J. Ellory est Anglais de Birmingham, un fait que les diverses éditions s’ingénient à omettre histoire de tromper le chaland, mais tout ça, Anglais, Américain, Australien, c’est pareil, non ?

Dommage, car l’« Anglitude » d’Ellory est une des clés pour comprendre ce roman. En ce sens, la vision d’une enfance dans une petite ville des USA (qui, comme chacun sait, est le fantasme branchouille par excellence) semble plutôt témoigner d’une vision irréelle renforçant son aspect onirique, quitte à glisser sous le tapis tout ce qui pourrait déranger : l’action a beau se passer partiellement en Géorgie, ce roman noir est dépourvu de Noirs… On est assez proche de la vision de l’« Americana » chère à Philip Ridley, le réalisateur britannique des excellents « L’enfant-miroir » et « Darkly Noon », vision également justifiée par l’aliénation du narrateur dont l’histoire est intériorisée au possible.

Et c’est là que pointe l’influence essentielle de l’auteur : celle de Stephen King. Une enfance dans une petite ville US, des gamins formant une sorte de club — les Anges Gardiens, ici pour patrouiller les rues — des morts violentes de plus ou moins proches, un héros apprenti écrivain forcément voué à réussir… ça ne vous rappelle rien ? Il y a même un soupçon de fantastique et, heureusement pour un sujet aussi scabreux, un refus louable de tout sensationnalisme. Ainsi donc, les deux premiers tiers du roman suivent ce schéma de façon agréable, mais relativement prévisible avec une écriture travaillée qui fera hurler les bobeaufs pour qui tout ce qui sort du « verbe-sujet-complément » a droit à l’étiquette infamante de « prise de tête ». Changement de braquet lorsque le narrateur passe à New York et découvre une petite communauté littéraire qui donne envie d’entonner « la bohè-meuh »…

Et c’est là, subitement, que le roman prend de l’ampleur, lorsque le narrateur se retrouve dans l’atroce situation du faux coupable victime d’une justice bâclée et expéditive, comme si on passait de Stephen King à William Irish. La description de son calvaire offre des moments d’une justesse incroyable sans qu’on ait jamais l’impression que l’auteur titille la fibre lacrymale. Des pages hantées, éblouissantes à l’écriture extraordinaire (on compatit en imaginant un autre calvaire, celui du traducteur, qui s’en sort de façon tout aussi remarquable…) Le tout jusqu’à une conclusion du plus beau noir, malheureusement (presque) gâchée par un coda en forme de happy-end qui sent la commande d’éditeur et dont on se serait volontiers passé.

Bien sûr, on pourra aussi poser l’éternelle question de la porosité des genres : est-ce uniquement parce qu’on parle de crimes qu’il s’agit d’un roman criminel ? Car là, on s’attache moins à une quelconque traque du monstre de service qu’aux infinies répercussions qu’un fait divers peut avoir sur une communauté et des destins individuels.

Au final, si on fait le décompte, on obtient trois quarts de roman classique satisfaisant tous les fantasmes américanoïaques un rien dépassés, puisque n’ayant pas vraiment évolué depuis Faulkner ou Caldwell (mais qui font si chic dans les salons où l’on cause) avec quelques retournements parfois légèrement faciles, plus un quart éblouissant de grande littérature à l’estomac. De nos jours, ce n’est tout de même pas mal… On attend de voir comment Ellory transformera cet essai. En attendant, l’inévitable film sera réalisé par notre Olivier Dahan national, qui n’est pas le pire choix possible si on se souvient de la réussite qu’était « Déjà Mort », lui-même du plus beau noir. On se demande comment il pourra retranscrire à l’écran une histoire aussi intimiste…


Titre : Seul le silence (A Quiet Belief in Angels, 2007)
Auteur : R.J. Ellory
Traduction de l’anglais : Fabrice Pointeau
Couverture : Plainpicture/Millenium
Éditeur : Le Livre de Poche
Collection : Thriller
Première édition française : Sonatine, 2007
Site internet : Site auteur (en anglais), site éditeur
Pages : 602
Format (en cm) : 11 x 17
Dépôt légal : Juillet 2009
ISBN : 978-2-253-12527-3
Prix : 7,50 €



Thomas Bauduret
3 mars 2010


JPEG - 12.2 ko



Chargement...
WebAnalytics