Chargement...
YOZONE
Le cyberespace de l'imaginaire




Viande d’origine française
L’interview de Schulmann & Sayanoff, les réalisateurs de « Viande d’origine française »
29 janvier 2010

Venus à Gérardmer présenter leur documentaire aux amateurs du genre, Tristan Schulmann et Xavier Sayanoff, les deux réalisateurs de « Viande d’origine française » ont accepté de dresser avec nous un état des lieux du cinéma d’horreur en France.



<embed src="player.swf" width="320" height="260" allowscriptaccess="always" allowfullscreen="true" wmode="opaque" flashvars="file=http://yozone.free.fr/yowelcome/yo_sayanoff_schulmann.flv&fullscreen=true&backcolor=000000&frontcolor=ffffff&autostart=false" />


D’où vous est venue l’idée de ce documentaire ?

Tristan Schulmann : C’est pas vraiment une idée : à la base c’est une commande de Canal +. Comme on avait fait « Suck My Geek » et qu’on avait eu une petite réputation, pendant longtemps Canal + nous proposait d’autres documentaires, qu’on avait refusés parce que ça ne nous intéressait pas plus que ça. Il y avait eu « James Bond », « Borat », on nous a proposé de faire quelque chose pour la nuit « Die Hard », on a voulu faire McTiernan mais ça n’avait pas pu se faire. Donc un jour ils sont venus et ils nous ont demandé si ça nous intéressait de faire un truc sur les films de genre français. On a dit ok, on a commencé à réfléchir à ce qu’on voulait faire, et on s’est dit qu’on pourrait faire quelque chose pour les gens comme nous, qui aiment le cinéma d’horreur et qui ne se reconnaissent pas vraiment dans le cinéma français, sans comprendre pourquoi. On a rendu notre copie à Canal + sur le cinéma de genre, et là Canal + nous a dit « Non en fait, c’est sur le cinéma d’horreur qu’on veut le faire » : on a un peu paniqué au début en se disant « Mince, il n’y a que 10 films ou 15 films, comment on va faire ? », et finalement on a juste changé le mot « genre » par le mot « horreur », et ça marchait aussi... Voilà comment le documentaire est né, à la base une pure commande puisque Canal + allait diffuser « Martyrs ».

Quand vous avez réalisé ce documentaire, à quel public vous le destiniez ?

Tristan Schulmann : Quelque part on savait que les gens qui allaient le regarder allaient aussi regarder « Martyrs » et « Eden Lake » ce soir-là sur Canal +, donc il fallait quand même s’adresser aux gens qui allaient voir ces films-là. Mais en même temps on l’a voulu assez ludique, assez ouvert et didactique. On espérait que des gens qui ne s’intéressent pas au cinéma d’horreur mais au cinéma en général puissent être également intéressés. Disons déjà que ça aiguise leur curiosité sur ce cinéma-là, et puis que ça puisse servir de prisme plus large sur le rapport à l’imaginaire en France, le rapport au fantasme. Parce que souvent il y a une grosse frustration en France des gens qui veulent faire des choses autour de l’imaginaire et de la poésie, et on voulait parler de ça aussi, montrer à quel point c’était à la fois politique et purement industriel. Essayer de voir pourquoi est-ce qu’on n’a pas de films plus délirants en France, plus de films de science-fiction et d’horreur, et montrer qu’au final c’est pour des histoires de gros sous et de diffusion télé. On a voulu essayer de donner quelques réponses aux gens qui se posent la question. On s’adressait donc à tous les gens qui aiment le cinéma, et qui ne se retrouvent pas dans le cinéma français. On voulait aussi montrer à nos parents pourquoi on aimait le cinéma d’horreur, et que ces gens-là aussi étaient sympas !
Xavier Sayanoff : ma mère m’a dit qu’elle avait compris pourquoi j’aimais ça. Je ne la crois pas, mais bon...

Comment avez-vous choisi les personnes que vous avez interviewées ?

Tristan Schulmann : On voulait au moins deux super méchants, un en costard-cravate, François Clerc de Gaumont a finalement un peu ce rôle-là, bien qu’au final il ne soit pas méchant mais juste pragmatique, mais on voulait aussi l’UNAF, l’association de défense des familles, et surtout UGC, qui a refusé. Parce qu’UGC refuse de distribuer dans ses salles les films interdits aux moins de 16 ans, surtout quand ils sont français, parce que quand c’est « Saw » ça les dérange beaucoup moins... Mais aucun film français interdit aux moins de 16 ans n’est sorti dans un UGC ; il y a eu une histoire avec « Saw 3 », où il y a des lascars qui ont foutu le bordel dans un cinéma parce que le film était interdit aux moins de 18 ans, qu’ils en avaient 16 et qu’ils n’ont pas pu rentrer. Depuis ça a donné une bonne excuse à UGC pour dire « nous, pour la sécurité de nos clients, on ne prend plus ces films-là ». Alors que c’est juste parce que cette filière ne marche pas en général. Donc du coup, on voulait UGC mais on ne les a pas eus, Gaumont est au final plutôt sympa, et donc on voulait aussi l’UNAF, qui souhaitait interdire « Martyrs » aux moins de 18 ans : eux nous ont posé un lapin à deux heures de l’interview, après avoir repoussé dix fois. Donc on n’a pas de super méchants dans le film.
Xavier Sayanoff : Donc c’est vrai qu’il est quand même un peu de parti pris.
Tristan Schulmann : Et à propos des réalisateurs, de toute façon la liste n’est pas très longue, mais on ne pouvait pas prendre tout le monde, donc on a essayé de faire en sorte que chacun représente une part du gâteau, une part du prisme. C’est pour ça que par exemple on a Maury et Bustillo (« A l’intérieur »), mais qu’on n’a pas Palud et Moreau (« Ils », « The Eye »), qu’on a Alexandre Aja (« La colline a des yeux ») et pas Christophe Gans (« Le Pacte des Loups », « Silent Hill »), on a Fabrice du Weltz (« Calvaire », « Vinyan ») qui est un peu plus fantastique, un peu plus poète, on a Pascal Laugier (« Martyrs », « Saint-Ange »), qui est plus dans le torture-porn... On a essayé de réunir des personnalités très fortes, sans se dire qu’il fallait qu’on soit exhaustifs ; on s’est dit que si on avait une galerie de portraits qui se répondent intelligemment, ça suffirait.
Xavier Sayanoff : On avait aussi Alain Robak (« Baby Blood ») : lui a été coupé pour des histoires de rythme, ce qui est dommage parce qu’on aimait beaucoup son intervention, mais pas moyen de la mettre, parce que ça alourdissait le début.
Tristan Schulmann : Evidemment il y avait des gens qu’on connaissait, Dahan et Rocher (« La Horde »), avec qui on travaille, Maury et Bustillo, Xavier Gens, on les connaissait aussi, on en avait rencontré d’autres en interviews, donc on les connaissait presque tous.
Xavier Sayanoff : Ca a fonctionné presque comme une évidence, en fait. On a aussi pris ceux qui avaient le plus d’humour, ceux qui étaient les plus funs.

Le fait que Christophe Gans n’apparaisse pas dans votre documentaire, c’était donc plutôt un choix ?

Tristan Schulmann : Non pas du tout, c’est juste qu’il ne répond pas aux interviews. Pour « Suck My Geek », on n’avait même pas essayé. En fait il ne répond qu’aux interviews papier, pas aux interviews filmées. Et puis on savait qu’on allait avoir Aja, qui allait avoir à peu près la même fonction. Mais c’est vrai que Gans aurait pu apporter un éclairage historique très intéressant. Mais c’est vrai que là, on n’a pas essayé.

Est-ce que Canal + vous a imposé beaucoup de contraintes ?

Xavier Sayanoff : Quasiment pas. Un petit remontage à la fin parce que le docu était très très noir...
Tristan Schulmann : mais ce n’était pas une vraie contrainte, ça correspondait juste à un boulot de commande Et puis ils ont eu raison, parce qu’avant le remontage, la conclusion du documentaire, en gros, c’était « On va tous crever, le cinéma de genre en France, c’est foutu, il n’y aura plus que des comédies de merde, et c’est la culture de Claude François qui a gagné »...Au début ça nous plaisait, mais en fait on a enlevé pas mal de passage trop plaintifs, et puis il y avait dans tout ça un côté anti-France qui faisait un peu petits cons, et finalement ce n’est pas un argument qui marche.
Xavier Sayanoff : Le seul truc, c’est que Canal + voulait un nom à mettre sur le programme télé, on devait avoir Béatrice Dalle, mais c’était très compliqué, donc ils ont insisté pour qu’on ait Hélène de Fougerolles. S’il n’y avait que notre avis, on n’interviewerait pas des comédiens pour parler de cinéma, parce qu’en général ils n’y connaissent rien. On voulait faire de Béatrice Dalle notre « Blood Queen », mais ce n’était pas possible. Donc on a pris Hélène de Fougerolles, qu’on avait déjà croisée pour « Mutants » et qui est plutôt sympathique.

Il y a beaucoup d’amertume dans les propos des réalisateurs. C’est aussi ce que vous avez ressenti ?

Xavier Sayanoff : Complètement. Et puis c’est quelque chose qu’on a vécu de l’intérieur, parce qu’on travaillait avec l’équipe de « La Horde », on a travaillé sur le making-off, et puis on est dans le même bureau que Yannick et Benjamin : c’est difficile pour eux, et je comprends qu’ils aient les boules. C’est un choix aussi.
Tristan Schulmann : Mais c’est vrai qu’ils veulent faire des films avec un peu plus d’ambition, de création et d’originalité que ce qu’on voit actuellement dans le cinéma français, sauf qu’ils ont un budget de 2 millions d’euros, ce qui est moins que ce que peut avoir un Christophe Honoré pour un film qui se passe dans un salon, avec un « Passe-moi la serviette chérie »... C’est ça qui les rend fous, d’avoir toujours aussi peu d’argent. Et quand je dis 2 millions, c’est pour les nantis : « Frontière(s) » s’est fait avec moins d’un million d’euros, « Vertige » avec 1,5 million, et c’est un film ambitieux. Ils sont toujours en-dessous du minimum nécessaire. Et c’est vrai que s’ils veulent continuer et bosser dans des conditions un peu plus satisfaisantes, il ne faut pas qu’ils fassent de l’horreur. Certains s’en foutent, comme David Morley (« Mutants ») parce que ce n’est pas ce qu’il veut faire en premier, mais par exemple Maury et Bustillo qui sont de vrais fans, ne peuvent pas. C’est de là que l’amertume vient. Ils sont insatisfaits de leur budget, ils sont insatisfaits sur le tournage parce que pour la plupart, ils ont bossé avec des producteurs qui ne les comprenaient pas et qui voulaient faire des « coups » dans les ventes à l’étranger, ensuite en post-production on les emmerde avec les interdictions moins de 16, moins de 18, et au final ils ne sont distribués que dans 20, 30 ou 40 salles pour une semaine d’exploitation. Donc jusqu’au bout, ils en prennent plein la tronche. Et en plus, ils se font démonter par la critique, avec une certaine cruauté.

Comment vous expliquez le dédain du public pour les films d’horreur français ?

Tristan Schulmann : Les ados de 15, 16 ou 17 ans, quand ils payent 9,50 € leur place de ciné, et qu’ils ont le choix entre « Saw » et « Martyrs », ils vont voir le film américain parce qu’ils savent qu’il sera de meilleure facture, parce que les dialogues de film d’horreur ou d’action en français sonnent encore mal dans notre tête de français. Les gens ont encore un rejet, et ne pardonnent pas à un film français ce qu’ils pardonneraient à un film américain. Et puis tout bêtement parce qu’il n’y a pas encore eu un film d’horreur français vraiment génial et populaire. « La Horde » est un des premiers films vraiment populaires. « A l’Intérieur », il faut quand même avoir envie d’y aller, « Martyrs », « Vinyan », « Calvaire », aussi...
Et puis le problème, c’est que souvent en France, quand les réalisateurs font un film de genre, ils se disent : « on va transcender le genre ». Sauf que pour transcender le genre, il faudrait déjà savoir faire un film de genre de base, ce qui n’est pas encore le cas en France. C’est normal : on n’a pas l’éducation, les scénaristes et les techniciens ne savent pas les faire, les chefs opérateurs ont des problèmes à fabriquer ces ambiances-là. Il faudrait vraiment un système de studio, où on en tourne encore et encore. C’est ce qu’aurait voulu faire La Fabrique. Mais on ne produit pas encore assez de films tout court en France pour faire ça. La France, c’est 200 films par an en gros : 180 films de Christophe Honoré, 10 comédies à la con et le reste pour faire autre chose que ça.

Dans le documentaire, Maury et Bustillo parlent du cinéma de genre espagnol, en disant ouvertement qu’il est de meilleure qualité que le cinéma de genre français. Qu’en pensez-vous ?

Tristan Schulmann : c’est vrai. On n’a pas un film qui arrive à la cheville de « l’Orphelinat » ou de « REC ». Ils ont une histoire et une culture qui est propice à ça : dans les années 50-70, il y avait une émission d’Ibanez Serator (?) de cinéma fantastique que tout le monde regardait en famille. Ils sont aussi plus religieux que nous, plus mystiques, donc ils acceptent mieux le fantastique que nous. On a aussi, nous, une histoire littéraire fantastique très forte, avec Maupassant par exemple, la poésie fantastique de Cocteau... Mais on a tout oublié, et c’est le naturalisme qui a gagné. Les Espagnols n’ont pas de condescendance pour le fantastique. Et puis ils ne sont plus dans le besoin de reconnaissance, de légitimité : ils ont dépassé ça. Tandis qu’en France, les réalisateurs de films d’horreur ressentent encore besoin d’en faire énormément, pour montrer qu’ils existent.
Xavier Sayanoff : En même temps, il y a très peu de films espagnols qui ont traversé la frontière. Ils ont sûrement aussi des problèmes de production.

Comment voyez-vous l’avenir du cinéma de genre et d’horreur en France ?

Tristan Schulmann : Encore deux ou trois ans de sarkozysme, ensuite une insurrection totale, un documentaire sur l’insurrection, les lascars prennent le pouvoir, 15 millions de morts...
Non sérieusement, la sortie de « La Horde » représente un tournant, et si le film se plante, plus personne ne voudra investir dans le cinéma d’horreur français. Les décideurs attendent très clairement de voir comment il sera reçu. Il y a un buzz, il sort sur 200 copies, ce qui est dix fois plus que les autres, Yannick est un peu connu, donc si celui-là se plante, dans la tête des décideurs ça signifiera que le public ne veut pas voir de films d’horreur français.

Quels sont vos projets ?

Tristan Schulmann : J’ai toujours mon émission de critique ciné sur le câble, on vient de finir le making-of de « La Horde » pour Canal +...
Xavier Sayanoff : Moi je pars en vacances...
Tristan Schulmann : moi j’essaie d’écrire des scénarios, peut -être pour le prochain film de Benjamin Rocher, il y a aussi un projet de série où on va tout faire pour que Xavier soit dessus aussi.
On aimerait bien passer à la fiction, mais pas un film d’horreur, plutôt une comédie fantastique dans la veine du « Jour sans fin ».

Merci à vous.


LIEN(S) YOZONE

=> La critique du film
=> 17e édition du Fantastic’Arts


Interview réalisée par Amandine Prié durant la 17e édition du Festival du Film Fantastique de Gérardmer



Le Yo-Master
30 janvier 2010



JPEG - 6.9 ko



JPEG - 31.2 ko



JPEG - 11.5 ko



JPEG - 11.8 ko



JPEG - 15.5 ko



JPEG - 19.6 ko



JPEG - 7.2 ko



JPEG - 6.6 ko



JPEG - 12.5 ko



JPEG - 19.1 ko



JPEG - 21.1 ko



JPEG - 8.7 ko



JPEG - 22.3 ko



JPEG - 28.1 ko



JPEG - 10.5 ko



JPEG - 16.4 ko



JPEG - 10.9 ko



JPEG - 20.5 ko



Chargement...
WebAnalytics