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Rien Ne Nous Survivra – Le Pire Est Avenir
Maïa Mazaurette
Mnémos, Dédales, roman d’anticipation (France), 269 pages, août 2009, 20€

Les jeunes ont déclaré la guerre aux vieux. Paris est un champ de bataille, le sud de la Seine aux mains des enfants et des ados. Mais plus pour longtemps. L’ultimatum de la communauté internationale est tombé : dans un peu plus de cent jours, faute de reddition, ce sera tapis de bombes sur la moitié de la capitale déjà en ruines. Deux jeunes mettent à profit ce délai pour faire un carnage chez leurs adversaires, forger leur propre légende et peut-être… espérer survivre, ou pas.



« Rien ne nous survivra » est la refonte de « Le Pire est Avenir », premier roman de Maïa Mazaurette, jeune (et jolie) auteure dont je vous ai chaudement encouragé à lire le « Dehors les chiens les infidèles ». Ici, pas de fantasy quasi historique, mais de la bonne, très bonne anticipation.

J’ai essayé de coucher sur l’écran tout le bien que je pense de ce roman. Vous faire partager la claque littéraire que me semble être ce livre, dans le message de ses protagonistes comme dans le style déployé par l’auteure.
Une fois, deux fois, trois fois, jamais satisfait du résultat. Des retouches, en pure perte. Alors je vais faire sobre, pour changer, et court, pour changer radicalement. Du moins vais-je essayer.

Le péril jeune


L’histoire est de la pure anticipation, comme il en manquait dans le paysage ces derniers temps. Les jeunes se sont rebellés contre la société de leurs parents, et pour faire table rase du passé, ils ont commencé à dégommer les vieux, donc les plus de 25 ans, date limite. L’histoire commence quand la communauté internationale a enfin pris conscience de la gravité des choses et reprend un peu le dessus. Mais la moitié sud de Paris, version paysage urbain gris comme les peint Enki Bilal, est aux mains des jeunes.

Parmi cette troupe disparate et mal organisée, deux snipers, autour de qui vont se cristalliser les passions des enfants et des ados : Silence et l’Immortel. Le premier est une légende, il a commencé par flinguer père et mère, le second rêve de marcher dans ses pas.

Les chapitres s’égrènent comme un compte à rebours, celui des jours avant le tapis de bombes et l’intervention de l’armée. Alternent Silence et l’Immortel, à la première personne du singulier et au présent, dans un texte vif et incisif, au style à la limite de l’oral. On suit seconde après seconde leurs pensées, leurs doutes, leurs peurs, leur rage. Car les choses ne se passent, bien entendu, pas comme prévu.

Silence s’éloigne de la ligne de la cellule intellectuelle, qui lui a forgé sa légende et qui voudrait l’écarter. Il fait trop souvent cavalier seul, bradant aux trafiquants albanais les tableaux du Louvre et d’Orsay pour se fournir en munitions et en bouffe consommable. Tandis que les évènements s’accélèrent, il hésite à foutre le camp, mais préfère assister à la fin de son combat. Pour ne pas trahir ses convictions, et surtout pour ne pas laisser la place à l’Immortel.

L’Immortel évolue rapidement, mais pas dans le bon sens. Silence ayant massacré sa copine (elle le méritait, voulant tuer le sniper pour acquérir gloire éphémère et confort pour ce dernier hiver), la rivalité entre les deux tireurs se double d’un désir de vengeance. Lorsqu’enfin il parvient à croiser la route de son modèle déchu, s’y ajoute une pulsion d’amour et de mort. Non seulement il veut battre Silence, mais il veut l’humilier, le rabaisser, le posséder…

Quand les images passent par les mots


Si Maïa Mazaurette réussit à merveille cette peinture d’un futur proche apocalyptique et d’un duel entre deux volontés qui n’a rien à envier à celui du « Stalingrad » de Jean-Jacques Annaud, la cerise vient de sa maîtrise du texte.
Car tout le long, on ignorera le sexe de Silence, même si les envies de viol de l’Immortel nous font pencher pour le féminin. Maïa occulte soigneusement toute conception sexuée du corps, celui de Silence en particulier, mais c’est un concept qu’on pourrait étendre à tous les protagonistes. Quelques remarques sur des cas de prostitution confirment que la sexualité n’est en aucun cas absente de cet univers d’enfants et d’ados, au contraire, mais elle n’est qu’un aspect très secondaire de leur pseudo-société, comme c’était aussi le cas dans « Dehors les chiens les infidèles ».

Plusieurs situations auraient pu visuellement lever le voile, et on sent toute la force du roman dans cette incapacité qu’on a, en tant que lecteur, à trancher avec assurance. Que ce soit physiquement ou psychologiquement, Silence nous apparaît, dans ses pensées ou le regard des autres, comme un soldat avant tout.
Et l’auteure de jouer ainsi sur l’ambivalence de certaines situations, certains termes se chargeant de sous-entendus selon le sexe des protagonistes. Les relations de Silence avec Vatican, la charismatique gestionnaire de l’Armée des jeunes, ou avec Oimir le trafiquant albanais, acquièrent une savoureuse (ou irritante, à vous de voir) double dimension.

Mon souhait de faire court n’a pas encore totalement disparu de ma mémoire, alors achevons. Ce roman n’est même pas une utopie, à l’image de celle de la Colline des « Chroniques d’un rêve enclavé » d’Ayerdhal. Le monde décrit n’a pas à être viable, il n’a plus qu’un nombre déterminé de jours à vivre. C’est une dernière bataille, façon « Légende » de David Gemmel. Mais comme ces deux grands romans, cela va finir dans un bain de sang. Le plus dur dans une anticipation de ce genre, c’est la fin. Celle que livre la demoiselle Mazaurette est la meilleure qu’on puisse espérer.

L’anticipation de ce début de XXIe siècle


Certes, « Rien ne nous survivra – Le Pire est Avenir » ne plaira pas à tous, voire ne trouvera un écho que dans la tranche d’âge de ses héros. Le message diffusé par les révoltés est empreint de vérité, mais trop radical, trop haineux pour être accepté par qui est rangé dans le camp de leurs ennemis. Mais que les “vieux” (de plus de 25 ans) tiennent bon, s’accrochent, raniment leurs idéaux de jeunesse et l’absence de demi-mesure qui les caractérisaient. Ils découvriront un solide récit d’anticipation, réaliste, et un portrait criant de la nature humaine, à tout âge de la vie, et des choses, les meilleures comme les pires, dont elle nous rend capables.

Le texte de Maïa Mazaurette est radical, différent de l’actuelle production (majoritairement fantasy), résolument novateur dans son style toujours fluide malgré la dureté du contenu, et ouvre avec brio la nouvelle collection de Mnémos, baptisée “Dédales”.
Détail tout bête, l’absence d’alinéas : le récit se présente bien carré dans les marges, aéré par de fréquents sauts de lignes, dans le présent brut de la narration.

Seul bémol à mon goût, deux douzaines de coquilles. Le détail dans le fichier ci-dessous.

Texte - 2.2 ko
Rien Ne Nous Survivra - corrections


Fait exprès ou non (mais plutôt défaut de l’imprimeur), mon exemplaire présentait plusieurs pages plus claires, le texte parfois pâlit, comme s’il avait subi les affres contenues sur ses feuillets, accentuant le côté “témoignage sauvé des décombres” sans trop nuire à la lecture.

Enfin, je ne peux qu’acclamer la magnifique couverture de Julien Delval, façon crayonné sur chute de papier kraft. Sous une telle illustration, il fallait une histoire à la hauteur. Et vice-versa.

Delval comme Mazaurette, bien qu’au-delà de la “date limite”, sont encore jeunes et audacieux. J’espère qu’ils ne vieilliront jamais. Ou, très égoïstement, pas avant moi.


Titre : Rien ne nous survivra (Le pire est avenir)
Auteur : Maïa Mazaurette
Couverture : Julien Delval
Editeur : Mnémos
Collection : Dédales
Pages : 269
Format (en cm) : 15,5 x 23,5 x 2,2
Dépôt légal : août 2009
ISBN : 978-2-35408-051-8
Prix : 20 €



Nicolas Soffray
27 novembre 2009


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