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Peter Jackson : Le seigneur des écrans
Le couronnement du Roi Jackson


Avec deux premiers volets d’une puissance visuelle tout simplement énorme, Peter Jackson est parvenu à exposer la Terre du Milieu et ses enjeux à la face du monde. Désormais, fantasticophiles et cinéphiles avertis attendent avec la plus grande impatience « Le retour du Roi », dernière partie de cette monumentale adaptation conçue et réalisée comme un grand film de neuf heures. Une entreprise colossale et une saga épique menées de main de maître par l’enfant terrible du cinéma néo-zélandais que l’on attendait pas vraiment à pareille fête. De « Bad Taste » au « Seigneur des anneaux », retour sur le fabuleux destin d’un pape de la comédie gore devenu Grand Magicien d’Hollywood.

Parfait exemple du fan-boy précoce, Peter Jackson se lance dès ses huit ans dans la réalisation. Avec quelques copains et la caméra super 8 de ses parents, il se fait tout d’abord les dents sur des petits court-métrages inspirés des classiques du cinéma d’horreur et de science fiction. Mais son intérêt pour le 7ème art se révèle être une véritable vocation et le gamin de Wellington n’a plus qu’une idée en tête, devenir metteur en scène. Passionné de cinéma de genre, il commence à s’intéresser aux maquillages et aux trucages, expérimente l’image par image, à la manière de Willis H. O’Brien (« Le monde perdu », « King Kong ») et Ray Harryhausen (« Le voyage fantastique de Simbad », « Jason et les argonautes »), tout en développant ses propres trucs, made in système D (comme percer la pellicule pour simuler des impacts de balles) sur les différentes productions amateurs de son adolescence.

AMBASSADEUR DU MAUVAIS GOÛT

En 1983, alors âgé de 22 ans, il se paye enfin une caméra 16 mm d’occasion et s’associe avec quelques amis, également fondus de cinéma, pour produire un court-métrage. Rapidement les idées se bousculent et le short-movie se transforme en un projet de plus longue haleine, une comédie gore que l’équipe entend mettre en boite durant les week-end et les périodes de congés. Une entreprise de près de 4 ans qui faillit ne pas voir le jour, si le culot n’avait amené Peter Jackson à solliciter des fonds auprès de la très sérieuse Commission du Film Néo-Zélandais et si, son humour et son enthousiasme, n’était parvenu à séduire Jim Booth, son président. Les deux hommes vont se lier d’amitié, fonder « WingNut Films » et placer la New-Zeland Film Commission dans l’inconfortable position de devoir inclure le coup de cœur du président dans la sélection qu’elle doit présenter au prestigieux Festival de Cannes. Le parfum d’amateurisme fauché de « Bad Taste », qui retrace l’invasion de la Terre par des extraterrestres capitalistes amateurs de chair humaine, fait sensation sur la croisette. Effets Cannes. Du jour au lendemain Peter Jackson, illustre inconnu des antipodes, voit soudainement son nom fleurir dans les rubriques cinéma de la presse mondiale. Le réalisateur de mauvais goût se retrouve invité un peu partout, son film est projeté et primé au Festival Fantastique de Paris, et sa bonhomie séduit la critique, ainsi que Frances Walsh qu’il épouse quelques mois plus tard. De retour en Nouvelle-Zélande, Peter Jackson, conscient qu’il faut battre le fer pendant qu’il est chaud, entame la mise en chantier de « Braindead » (un script qu’il a sous le coude depuis quelques années). Mais son projet, qu’il veut encore plus gore et plus furieux que le précédent, ne convainc pas les investisseurs privés. Son histoire de zombies ne faisant pas recette, il décide de se venger sur des marionnettes et concocte avec Fran Walsh, Stephen Sinclair, Danny Mulheron (scénario) et Cameron Chittock (marionnettes) une parodie particulièrement trash du « Muppet Show ». Ecrit, préparé et réalisé en un temps record (8 mois), « Meet The Feebles », nouveau pavé dans la mare du puritanisme et de la bienséance, nous plonge dans les répétitions d’une troupe de music-hall (Les Feebles) gangrenée par des histoires de rivalités, d’argent, de drogues et de fesses.
Particulièrement féroce et crue, pour ne pas dire crade, cette caricature virulente du monde du show business bouscule les bonnes mœurs, repousse les limites du mauvais goût, et s’embarque même, par flash-back, dans une parodie des grands classiques sur la guerre du Viêt-Nam (« Voyage au bout de l’enfer », « Full metal jacket ») avant de basculer dans la folie meurtrière avec l’acte vengeur et désespéré de la vedette de la troupe. Une réussite (le film lui entrebaille les portes de Universal et New Line) cauchemardesque (le tournage, sans préparation ni storyboard avec des centaines de marionnettes, fut un enfer) dont Peter Jackson va essayer de profiter pour monter, en vain, un « Freddy 6 » avec New Line. Mais, finalement, la Commission Néo-Zélandaise du Film (encore elle) va décider de soutenir les délires iconoclastes de cet autodidacte surdoué et s’associer à Avalon et JAC pour financer « Braindead ». A la tête cette fois d’un budget de 2 M$ (une somme colossale après les 150.000 et 450.000$ de « Bad Taste » et « Meet the Feebles »), Jackson va, cette fois, très soigneusement et très professionnellement préparer le travail, s’entourer d’acteurs et de techniciens de métier et se payer le luxe de diriger plusieurs équipes de tournages sur quelques séquences insensées mais parfaitement storyboardées. Enchaînant, sur le rythme enjoué de la comédie burlesque, des scènes de décapitations et mutilations en tout genre, l’histoire de Lionel, fils frustré dont la mère possessive a muté en un monstre cannibale, est incontestablement un sommet du genre. Avec cette bande, considérée comme la plus gore de tous les temps, Peter Jackson rejoint Sam Raimi (avec lequel il partage certains points communs) et George A Romero au panthéon de l’horreur cinématographique.

FAITS DIVERS ET MYSTIFICATION

Désormais coupable de trois films cultes mais conscient que le gore ne paie pas, le futur seigneur de l’Heroïc Fantasy au cinéma décide de changer de registre. Avec Frances Walsh, sa femme, qui lui a communiqué sa passion de l’écriture, il exhume l’affaire Parker/Hulme, ce fait divers sanglant qui défraya la chronique néo-zélandaise dans les années 50. S’appuyant sur les procès verbaux, les coupures de presse, des témoignages et le journal intime de Pauline Parker, l’une des deux adolescentes assassines, « Créatures Célestes » entreprend de nous présenter le drame sous un jour nouveau. Loin des créatures perverses pointées du doigt par la presse de l’époque, Peter Jackson et Fran Walsh dressent le portrait touchant de deux jeunes filles à la sensibilité exacerbée, deux collégiennes passionnées de littérature qui s’inventent un monde de contes de fées pour y vivre leur amour interdit.
Magnifique, ce film qui mêle réalité (les faits), fiction (l’interprétation de Jackson et Walsh) et monde imaginaire (influencé par le passé de rôliste du réalisateur) permet à Jackson, malgré un budget restreint de 5 M$, de monter son propre studio d’effets spéciaux (Weta Digital) et d’obtenir enfin la reconnaissance. Nominé aux Oscar pour son scénario, « Créatures Célestes » remporte le Lion d’Argent à Venise, le Grand Prix du Festival de Gerardmer, tandis que Kate Winslet reçoit l’équivalent anglais de nos Césars pour son interprétation de Juliet Hulme.
L’année suivante, il secoue une nouvelle fois la population de son île avec « Forgotten Silver ». Un film documentaire sur Colin McKenzie, l’un des précurseurs oubliés du cinématographe. Ce néo-zélandais avait, dès 1908, réalisé un parlant et utilisait la couleur depuis 1911, mais faute de soutient il n’est jamais sorti de l’anonymat et a sombré dans l’oubli. Amusant de constater comment Peter Jackson, tellement désireux de devenir le cinéaste-hero de son pays, en a créé un de toutes pièces, fausses archives officielles et images truquées à l’appui. Si Colin McKenzie n’a pas existé, Peter Jackson l’a fantasmé et son canular, qui a plongé la population dans le plus grand émoi, a rapidement fait scandale et confirmé le réalisateur, à l’instar de « La guerre des mondes » de Orson Welles (« La guerre des mondes »), comme un cinéaste avec lequel il faudra désormais compter.

DE WELLINGTON à HOLLYWOOD

D’ailleurs, Robert Zemeckis ne s’y trompe pas. Jackson et Walsh lui ont fait parvenir le scénario d’une histoire de chasseur de fantômes pour la série « Les contes de la crypte ». Mais le réalisateur producteur en veut plus et contacte le couple de Wellington pour qu’il développe le sujet dans le cadre d’un long-métrage. Jackson qui y voit l’opportunité de se faire enfin un nom à Hollywood, s’investit à fond dans le projet et fini par convaincre Zemeckis et Universal de lui donner carte blanche pour produire, à moindres coûts, le film en Nouvelle-Zélande avec les équipes de WingNut Films et Weta Digital. Nantis d’un budget de 30 M$, « Fantômes contre fantômes » (qui aurait coûté le double aux Etats-Unis) réunit à l’écran Michael J. Fox, Robert Lee Ermey et Jeffrey Combs dans une comédie horrifique sombre et jubilatoire, même si les inconditionnels du réalisateur de « Bad Taste » et « Braindead » lui reprocheront d’avoir mis de côté ses penchants « gorifiques » et cédé à la sacro-sainte happy end. Cela n’empêche pas les aventures de Frank Bannister, l’escroc chasseur de spectres, d’être trop violentes pour obtenir la fameuse certification PG-13 (interdit aux moins de 13 ans) d’un vrai film hollywoodien et de se retrouver interdit au moins de 18 ans sur le territoire américain. Si le succès commercial n’est pas encore au rendez-vous, la maîtrise technique, artistique et financière de « Fantômes contre fantômes » a néanmoins permit aux infographistes de Weta Digital de faire leurs preuves (Zemeckis louera de nouveau leurs services un an plus tard pour des effets additionnels sur « Contact ») et à Peter Jackson de signer un contrat avec Universal pour un remake de « King Kong », son film fétiche. Mais les sujets plus ou moins connexes de « Godzilla » et de « Mon amie Joe » vont amener la firme et le réalisateur à repousser le retour du Roi Kong.

UN PARI INSENSE

Si, à l’époque (1997), le seigneur des anneaux n’était pas encore à l’ordre du jour, ce contretemps providentiel va amener Peter Jackson à bousculer ses plans. Fasciné par les récits de Tolkien, il contacte Saul Zaentz (« Le patient anglais », « Amadeus »), détenteur d’une option sur les droits de « Bilbo le Hobbit » et la trilogie. Miramax, déjà sur le coup mais à la recherche d’un metteur en scène pour relever le défi, propose au petit barbu une enveloppe de 75 M$ pour un long-métrage de 2h30. Inconcevable sans mettre en péril l’essence de l’œuvre originale réplique Jackson qui table au minimum sur de deux films de deux heures (« La Communauté de l’Anneau » et « La Guerre de l’Anneau ») budgétisés à la hauteur de 100 M$. Finalement, la filiale de Disney lui accorde gain de cause, mais les séances de négociations houleuses avec ses hommes d’affaires prêts à brader la cosmogonie de J.R.R. Tolkien (comme mettre de côté certaines créatures, à commencer par les Hobbits, ou remplacer Orques, Nains et Elfes par des noirs, des asiatiques et des top-models) et l’assurance de n’être qu’un pion interchangeable du studio, ont tôt fait de dégoûter le cinéaste néo-zélandais qui décide de se retirer. Mais l’idée de matérialiser la saga épique à l’écran a d’ors et déjà germé dans l’esprit de Jackson qui, par l’entremise de Mark Ordesky, décide de proposer sa vision à New Line. Le studio de Robert Shaye et Michael Lynne est bien évidemment intéressé et octroie un mois à l’auteur réalisateur de « Créatures Célestes » pour réunir des partenaires et les convaincre de se lancer dans l’aventure. Mais, Jackson, marqué par les exploits numériques des infographistes de Weta Digital (l’apparence de la mort dans « Fantômes contre fantômes » préfigurant déjà ce que seraient les Nazguls) prend le pari de se la jouer en solo et demande à ses équipes de lui préparer une démo capable de déstabiliser les exécutifs de New Line.
Une prise de décision risquée qui va s’avérer payante puisqu’à la fin de la projection, Bob Shaye et ses acolytes sont totalement médusés. Les décors sont somptueux, l’armée d’orques impressionnante et le réalisme des affrontements de plusieurs milliers d’avatars virtuels scotche tout le monde au fond de son fauteuil. Robert Shaye est tellement emballé qu’il revoit à la hausse les projets de Jackson en lui proposant 160 M$ pour transposer à l’écran la trilogie romanesque en trois films de 2 heures. Dès son annonce, la nouvelle fait boule de neige et relance l’intérêt des cinéphiles, rôlistes et lecteur de Tolkien pour cette adaptation considérée jusqu’alors comme irréalisable. Surtout, lorsque l’on apprend que c’est un véritable hold-up qu’a commis le mystificateur de « Forgotten Silver » dans les bureaux de New Line. En effet, le machiavélique créateur de Colin McKenzie, qui fantasme sur l’œuvre de Tolkien depuis l’époque de ses 18 ans, quand il dévorait les bouquins du Maître au cours d’interminables voyages en train à travers la Nouvelle-Zélande, est non seulement parvenu à imposer son île comme le territoire idéal pour figurer la Terre du Milieu mais également à convaincre les exécutifs du studio de tourner les trois films en même temps. En tout cas, si ces décisions se défendent tant sur le plan artistique, en permettant de donner une plus grand cohésion à l’ensemble, que sur le plan financier, un tournage unique en Nouvelle-Zélande étant forcément plus rentable que trois tournages nulle part ailleurs, elles offrent à Peter Jackson un contrôle quasi-hégémonique sur son œuvre. Toujours est-il que ce projet, aussi insensé qu’il puisse paraître, remporte une adhésion unanime. En quelques mois, le trublion du cinéma néo-zélandais, érigé au rang de héros national, métamorphose sa terre natale en une succursale d’Hollywood et reçoit le soutien inconditionnel de son gouvernement et des populations locales (les terres de tournage au nord de Wellington seront bénies par les Maori). Experts, artisans, techniciens, artistes débarquent à Wellington pour donner vie à la Terre du Milieu. Conscient, bien avant les premiers tours de manivelles, que les 160 M$ ne seront pas suffisants pour donner forme au mythe, Peter Jackson, tout au long des 11 mois de tournage, va très régulièrement présenter les avancées de sa bande au studio indépendant et négocier des rallonges budgétaires. Le 19 décembre 2001, « La Communauté de l’Anneau » sort enfin sur les écrans. Le film rafle 4 Oscars et déclenche un engouement planétaire pour l’œuvre maîtresse de J.R.R. Tolkien (la vente des bouquins a littéralement explosé depuis la sortie du film) dont le rayonnement se limitait jusque là aux cercles de lecteurs et de rôlistes branchés Heroïc-Fantasy. Mais nous ne sommes pas encore au bout de nos surprises. Onze mois après la sortie sur les écrans de La Communauté et un mois avant celle des « Les Deux Tours », Jackson et New Line, qui entendent également révolutionner l’industrie du DVD, sortent un fabuleux coffret, doté d’une version longue du premier épisode qui, loin d’être simplement rallongée, se présente comme une version remontée (on a l’impression de découvrir un autre film) encore plus fidèle au matériau d’origine. Du coup, les lecteurs, les plus récalcitrants à l’entreprise cinématographique, attendent de pied ferme « Les Deux Tours », qui par sa structure narrative se présente comme particulièrement casse-gueule. Mais, le travail de réécriture de Philippa Boyens, Stephen Sinclair, Frances Walsh et Peter Jackson, selon un procédé de narration globale, et le tour de force des magiciens de Weta Digital avec Gollum (la palette d’expression de la créature virtuelle étant absolument bluffante) finissent de hisser l’adaptation du Seigneur des Anneaux au rang de monument incontournable. Si bien évidemment, on attend maintenant avec la plus grande impatience, la sortie de la version longue de ce second épisode, promise comme plus puissante et sauvage que sa version cinéma, l’événement cinématographique de cette fin d’année sera incontestablement « Le Retour du Roi » qui, selon les personnes impliqués, devrait posséder son lot de surprise. Vivement le 17 décembre.

Bruno Paul

FILMOGRAPHIE

2005 - King Kong
Producteur, réalisateur, co-scénariste

2003 - Le Seigneur des Anneaux : Le retour du Roi
Producteur, réalisateur, co-scénariste

2003 - The Long and Short of It
Producteur exécutif, acteur

2002 - Le Seigneur des Anneaux : Les Deux Tours
Producteur, réalisateur, co-scénariste, acteur

2001 - Le Seigneur des Anneaux : La Communauté de l’Anneau
Producteur, réalisateur, co-scénariste, acteur

1997 - Contact
Effets visuels additionnels

1996 - Fantômes contre Fantômes
Producteur, réalisateur, acteur

1995 - Forgotten Silver
Producteur exécutif, réalisateur

1994 - Jack Brown
Producteur, co-scénariste

1994 - Créatures célestes
Coproducteur, réalisateur, co-scénariste, acteur

1992 - Braindead
Producteur, réalisateur, co-scénariste, acteur, stop motion animateur , maquettes

1992 - Valley of the Stereos
Coproducteur

1989 - Meet The Feebles
Producteur, réalisateur, co-scénariste, conception marionnettes, cameraman

1987 - Bad Taste
Producteur, réalisateur, co-scénariste, directeur photo, monteur, effets spéciaux, maquillages,acteur

1986 - Worzel Gummidge Down Under (série télévision)
Effets spéciaux

1976 - The Valley
Réalisateur, monteur, effets spéciaux, costumes, maquillages, acteur


Bruno Paul
10 décembre 2003



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