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Conan le Texan
Simon Sanahujas & Gwenn Dubourthoumieu
les moutons électriques, la bibliothèque des miroirs, document (France, 2008), étude, 80 pages, novembre 2008, 50€

En France, les amateurs de Conan sont légion. Les connaisseurs de l’œuvre immense de Robert Erwin Howard ne sont pas rares. Mais, malgré le récit à consonance autobiographique « Le Rebelle », publié par les Nouvelles Editions Oswald en 1989, rares sont ceux qui en savent plus au sujet de l’écrivain que ce qu’en a résumé François Truchaud dans ses préfaces enthousiastes : une frénésie d’écriture, un suicide brutal et précoce.

En savoir plus ? Rien de plus facile. Pas loin de trois quarts de siècle après la mort de l’auteur, il est permis d’espérer retrouver sa trace au Texas. Un pèlerinage littéraire ? Il suffisait d’y penser.
Simon Sanahujas et Gwen Dubourthoumieu y ont pensé.

Mieux encore, ils l’ont fait.



Que ceux qui n’ont pas lu Robert Erwin Howard l’apprennent : lorsque celui-ci, dans les années vingt et trente, s’abat sur sa machine à écrire –une très classique Underwood n°5- la légende rapporte que la terre se met à trembler, que l’air s’obscurcit de nuées ténébreuses, et que le fracas des batailles surgit du néant. Que ce soit pour matérialiser Conan ou l’un de ses multiples avatars, pour faire renaître des époques tourmentées ou pour extraire des entités maléfiques des nécropoles, Howard se fraye un chemin sans détours. Il ne tapote pas le clavier, il le lamine à coups de masse. Howard sur son Underwood, c’est un forgeron titanesque qui modèle l’imaginaire à l’état brut. Howard, c’est le retour aux sources, le pur et dur, le bruit et la fureur, la guerre et la paix, le rouge et le noir, la puissance et la gloire. Howard ne négocie pas : il écrit à jet continu durant une quinzaine d’années, puis il met fin à ses jours. Mais, pour les amateurs du genre, ce contemporain et ami de Lovecraft ne saurait réellement mourir.

À l’opposé de la fantasy contemporaine –trilogies jetables et sagas narcotiques- son œuvre survit monolithique à l’érosion lente du temps. Elle est phare et repère, étalon et référence, bastion et refuge. Proclamons-le haut et clair : vis-à-vis des récits de Howard, la fantasy moderne, avec ses cycles romanesques pour chlorotiques, ses épopées pour ménagères variqueuses et ses sagas pour midinettes neurasthéniques, n’est rien d’autre que la vermine sur le fauve, la poussière sur l’armure, la rouille sur le glaive. Howard ne se situe pas un cran au-dessus, ni même plusieurs : il compose une fiction d’un ordre supérieur.
Rendons grâce à Simon le Cimmérien et à Gwen le Barbare de nous emmener sur ses traces.

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Côté bagages, le strict minimum : une tente, deux duvets, des tee-shirts agrémentés d’un logo Cimmeria Texas Tour : voilà qui rend l’entreprise sympathique en diable. Le voyage est préparé –un peu. Pour le reste, un étrange mélange entre l’improvisation, le « Sur la route » à la Kerouac, et la connaissance en tant que fil conducteur : Simon Sanahujas -déjà auteur d’un trésor d’érudition intitulé « Les Multiples Vies de Conan »- émaille son texte de larges citations originales tirées des récits de Howard, de ses poèmes, ou de sa correspondance avec Howard Philips Lovecraft, August Derleth, et son ami d’enfance Tevis Clyde Smith. Cette culture livresque servira de fil rouge, de guide, de boussole tout au long de ce voyage un peu fou qui fera couvrir aux deux amis près de sept mille kilomètres au Texas et dans ses alentours.

Ce voyage permettra de retrouver bien des indices, bien des traces de l’existence de Robert Erwin Howard et de ses sources d’inspiration :
- À Peaster, lieu de naissance de Howard, la photographie du médecin accoucheur et des éléments biographiques concernant le père de Howard.
- À Dark Valley Creek, l’ambiance lugubre du poème “The Dweller in Dark Valley” et, sans doute, une des inspirations originales de la Cimmérie.
- À Cross Plains, la maison des Howard conservée en l’état et transformée en mémorial. Aux Carlsbad Caverns, lieu qui enthousiasma l’auteur, les décors de “The Servants of Bit Yakin” et, très vraisemblablement, d’autres récits du père de Conan.
- Au nord de Fredericksburg, une fois encore, les décors froids et désolés de la Cimmérie, les ambiances sauvages de “The Phoenix on the sword”. Au sujet de cette région particulière, Sanahujas dresse, dans le chapitre consacré au onzième jour du périple, un parallèle particulièrement convaincant entre le Texas et la Cimmérie, qui donnera son nom à l’ouvrage.

Au fil de leurs errances, d’autres détails apparaîtront –ainsi la bourgade de Zarzamora, inspiration manifeste de la Zamora de Howard. En d’autres lieux, la quête sera vaine –ainsi de la petite ville de Mission, où fut écrit le poème “Cimméria” et où, sans doute, fut inventé le personnage de Conan.

Une des caractéristiques récurrentes de cet ouvrage est que tout y prend sens, y compris les détails. Ainsi, au premier abord, page trente-huit, la photographie noir et blanc de Simon Sanahujas, les mains dans les poches devant un mur en ruine, semble sans rapport aucun avec la quête ; mais au verso suivant, on retrouve le même mur, avec, devant, dans la même pose, Robert Erwin Howard –le connaisseur reconnaît alors une des rares photos de l’auteur publiées en France il y a deux décennies par les Nouvelles Editions Oswald, en quatrième de couverture du recueil de nouvelles « Le Manoir de la Terreur ». Plus globalement, les autres photographies de Gwenn Dubourthoumieu illustrent magnifiquement l’ensemble. Si les clichés sombres et crépusculaires font comme un écho à l’existence brève et à la fin tragique de l’auteur, l’ensemble des images associées aux commentaires de Simon Sanahujas -qu’ils soient en rapport avec le Texas ou avec les individus rencontrés au cours du périple- haussent l’ouvrage au rang de récit de voyage indépendant de sa quête.

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Car, en effet, ce livre permet de retrouver la trace de Howard, mais aussi de faire d’autres découvertes. À l’image caricaturale que l’on a bien souvent du Texas, un pays de brutes épaisses obsédées par les armes à feu, bellicistes à tout crin et fervents défenseurs des dérives politiques instaurées par un président américain parmi les plus sinistres qu’ait compté l’histoire, les auteurs substituent, au fil de ces rencontres, celle d’un état peuplé d’individus de prime abord méfiants, puis, très rapidement amicaux et serviables. Pas franchement admirateurs –c’est le moins que l’on puisse dire– d’un président pas tout à fait régulièrement élu en lequel ils ne se reconnaissent aucunement, ces Texans apparaissent ouverts et prêts à faciliter la quête de Simon le Cimmérien et Gwen le Barbare. Lesquels assistent au passage à un meeting de Barack Obama, signe d’une Amérique en train de basculer dans un monde sans doute moins ténébreux.

L’érudition, l’observation attentive du présent, les photographies, les rencontres -mais n’oublions pas, dans ce périple, l’indispensable “French touch”. Nos deux français ont emporté avec eux –car il y a des limites à la barbarie– un peu de ce champagne sans lequel nul ne saurait survivre. Et leur quête concerne non seulement Howard, mais aussi le vin préféré de ce dernier, qu’il prétendait être le meilleur du monde. Ils achètent une bouteille de “port bottled wine” et le dégustent en Cimmérie, au pied des Enchanted Rocks. Ils retrouvent l’endroit où poussait la vigne favorite de Howard, remplacée par des arbres fruitiers à l’abandon, et la maison du viticulteur qui n’est plus que ruines vermoulues hantées par des chèvres. Tempus fugit.

Tempus fugit -le temps passe, tout a une fin. À l’âge de trente ans, Howard se fait sauter la cervelle. Nous y perdons, sans aucun doute, des aventures échevelées, des combats fracassants, des démons sanguinaires. La fin est à la hauteur du personnage, à la hauteur de ses créations. Quitter le domaine littéraire d’un coup de revolver peut apparaître exemplaire : la tentation est grande de noter que si les auteurs de fantasy contemporaine avaient le courage d’en faire autant -de préférence avant de commencer à écrire– les littératures de l’imaginaire ne sombreraient pas en un tel naufrage. Mais trêve de cruauté facile. Howard s’abat, le crâne fracassé, mais Vulméa le Pirate Noir continue à naviguer sur les flots déchaînés. Howard s’effondre, mais Solomon Kane le puritain elisabethain continue à combattre le mal sur les côtes africaines. Howard quitte à tout jamais sa terne bourgade, mais Kull Le Roi Barbare continue à régner sur la Valusie. Howard meurt, mais Steve Harrison continue à traquer les criminels dans les bas-fonds de Chinatown. Howard disparaît, mais Conan continue de régner sur la Cimmérie.
Two-gun Bob, comme le surnommaient ses amis, meurt brutalement, le voyage de Simon Sanahujas et de Gwenn Dubourthoumieu fait de même. Il s’achève sur deux tombes, celle de Robert Erwin et de son unique amour, Novalyn Price, qui après avoir écrit ses souvenirs de l’auteur –One who walked alone– le rejoindra dans la lointaine éternité des auteurs immortels, des décennies plus tard, juste avant la fin du millénaire. Les auteurs passent, les héros restent, la Cimmérie est éternelle.

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Premier opus de la bibliothèque des miroirs lancée par André-François Ruaud chez les moutons électriques, « Conan le Texan » sort donc des sentiers battus pour nous offrir une démarche originale que l’on espère retrouver dans les autres volumes de la série.
Atypique, sympathique, érudit, attachant, ce road-picture littéraire ne correspond à rien de connu. Indispensable aux aficionados de Conan et aux amateurs éclairés de Robert Erwin Howard, mais capable également de séduire ceux qui n’ont pas lu cet auteur, ce très bel ouvrage à tirage limité mérite de trouver un public étendu : passionnés de l’Amérique, amateurs de récits de voyage à l’intersection des livres et du monde, fervents et collectionneurs de volumes “pas comme les autres” y trouveront leur bonheur.


Titre : Conan le Texan (France, 2008)
Auteurs : Simon Sanahujas & Gwenn Dubourthoumieu
Genre : document, art book
Couverture : Gwenn Dubourthoumieu
Photographies : Gwenn Dubourthoumieu
Éditeur : les moutons électriques
Collection : la bibliothèque des miroirs
Site Internet : fiche recueil (site éditeur)
Pages : 80
Dépôt légal : 22 novembre 2008
Format (en cm) : 20 cm x 25
Diffusion et distribution : les moutons électriques
ISBN : 978-2-915793-61-1
Prix : 50 €

- Commande en ligne : auprès de l’éditeur



Ouvrage de Simon Sanahujas critiqués sur la Yozone
- « Suleyman » (Rivière Blanche n°2013)

À propos de Robert Erwin Howard sur la Yozone
- Robert Erwin Howard by Patrice Louinet (dossier & interview)
- Solomon Kane (intégrale Bragelonne)
- Conan le Cimmérien (Bragelonne)
- Conan le Barbare Anthologie 1 (BD, Soleil)


Hilaire Alrune
28 septembre 2009


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