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Romans merveilleux
René Barjavel
Omnibus, intégrale, romans divers, 1376 pages, février 2009, 25€

Seconde partie de l’intégrale consacrée à René Barjavel, un précurseur français en matière de SF. Mais ici, d’autres choses sont à découvrir...
Si le premier volume intitulé « Romans Extraordinaires » rassemblait les textes les plus connus de l’auteur (« Ravage », « La Nuit des Temps », « Le Voyageur Imprudent », ...), celui-ci fait plus office de fourre-tout. S’y mêlent romans d’apprentissage, de terroir... mais aussi de l’anticipation, un polar, de la mythologie et de la chronique familiale.



Tarendol

Malgré son nom de héros de Tolkien, Jean Tarendol n’est qu’un lycéen de la Drôme natale de l’auteur. Pensionnaire pendant l’Occupation, il découvrira l’amour en même temps que la résistance à l’oppresseur. Le roman est à mi-chemin entre du Pagnol (« le Temps des Secrets » et « le Temps des Amours ») et du Shakespeare pour le côté dramatique.
Aride lecture pour moi qui ne me souviens pas quand j’ai lu mon dernier ouvrage de littérature générale. Si le côté scolaire à la « Guerre des Boutons » de Pergault m’a empêché de lâcher prise avant la moitié, le style très roman de terroir de ce « Tarendol » en rebutera certainement d’autres ici présents.

La Charrette Bleue

Idem, l’auteur fait aussi appel à ses souvenirs drômois. Je ne vous en rajoute pas plus, ce n’est point le lieu.
Signalons tout de même que, comme le précédent, le style de Barjavel, bien que légèrement surchargé, à la limite d’un Zola, donne à ce roman une richesse évocatrice de ces campagnes d’autrefois. Certes, ce n’est pas ma tasse de thé, mais il faut reconnaître que sur la forme, l’auteur est impeccable.

Les Chemins de Katmandou

Roman post-68, Barjavel livre ici son horreur de l’Homme tout comme les espoirs qu’il porte encore en certains individus. Au travers de plusieurs destins de jeunes plus ou moins idéalistes, il nous montre leurs visions de l’avenir, mais aussi la cruauté du présent. À la liberté sexuelle réclamée par les étudiants, Barjavel montre l’envers de la médaille, des viols à n’en plus finir, l’œuvre de brutes comme de créatures esseulées. Alors si vous voulez sauver le monde en creusant des puits à Katmandou, sachez que le chemin n’est pas pavé de pétales de roses...
Ce roman est la refonte du scénario co-écrit par Barjavel pour le film éponyme d’André Cayatte, sorti en 1969, avec entre autres Serge Gainsbourg et Jane Birkin, et apparemment déjà assez violent pour les yeux et le cœur... L’auteur déclara à la parution du livre être aller encore plus loin dans la peinture de ce que l’Homme peut infliger à l’Homme. Les vingt premières pages ont suffi à me faire une opinion, entre les discours aujourd’hui vieillis des étudiants de 68 et les violences sexuelles pour un oui ou pour un non...

Une Rose au Paradis


Enfin de la SF, de la bonne vraie anticipation ! Après un début qui n’a rien à envier à Serge Brussolo, lors d’une manif entre femmes enceintes et jeunes skins nihilistes, le roman part sur une voie plus “biblique”.

Monsieur et madame Jonas attendent des jumeaux. Lui est le plus grand génie technique de ce futur proche. Contacté, limite enlevé, par monsieur Gé, la plus grosse fortune du globe, ce dernier lui annonce son projet : contre la prolifération de la nouvelle bombe U (qui fait passer les A et H pour des pétards mouillés), il a décidé de sauver la Terre des ravages causés par les hommes. Pour ce faire il va provoquer une réaction en chaîne qui va toutes les faire exploser. Cependant, il a créé une Arche souterraine, dans laquelle il va s’enfermer avec les Jonas pour vingt ans.

Après ce début aux concepts délectables, le roman prend la tournure du huis-clos biblique lorsque les innocents jumeaux Jim et Jif, âgés de seize ans, commettent la même erreur qu’Adam et Eve. Bientôt un sixième occupant viendra au monde dans l’Arche, sauf qu’il n’y aura pas assez d’air pour tous. Que faire ? Faire avorter Jif ? Sortir, avec 4 ans d’avance, et risquer l’irradiation ? Madame Jonas, au nom du sang, refuse de sacrifier son petit-fils. Une vie pour une vie, ils peuvent rester cinq dans l’arche... en sacrifiant monsieur Gé, par exemple. Malheureusement, les choses vont aller de mal en pis, l’I.A. qui gère l’Arche va s’emballer, et quelques incidents vont réveiller les animaux congelés dans les niveaux inférieurs...

On ne manquera pas de sourire aux nombreux illogismes qui servent le récit (M. Gé fournit des contraceptifs à la mère mais pas à la fille, les enfants sont limite idiots sous prétexte de naïveté originelle à préserver, les évolutions de leur caractère sont brutales...), mais on en appréciera pas moins la qualité du huis-clos, l’humour parfois absurde de certains passages, la cruelle réalité de certaines remarques.
Certainement pas le meilleur récit d’anticipation de l’auteur (préférez-lui « Ravage », sans hésitation), mais pas dénué de qualités.

L’Enchanteur


Barjavel s’attaque ici à la légende de la Table Ronde, et place Merlin au centre de son récit. Et l’auteur de nous refaire toute la Quête du Graal, de la genèse du royaume de Logres, avec la troupe des Quarante-et-un chevaliers-rois menée par le jeune Arthur, à sa chute, minée par la guerre entre les partisans de Lancelot et les chevaliers restés fidèles au roi.
Je ne vais point vous refaire le récit en entier. Vous trouverez dans « l’Enchanteur » les grands épisodes marquants de la légende, l’échec de Perceval, les errances de Gauvain, les trahisons de Morgane... Comme bien souvent, Arthur finit par passer au second plan.

Rappelons qu’il s’agit de chansons de geste, d’auteurs différents, et dont le texte n’a été fixé qu’aux XIe-XIIe siècles par des auteurs comme Geoffroy de Monmouth, Wace ou Chrétien de Troyes. Si les évènements majeurs sont souvent similaires, les aventures annexes varient souvent, aussi est-il impossible de dégager une véritable histoire de la Table Ronde. Ses avatars récents sont nombreux : en BD, il y a les très bons « Arthur, une épopée celtique » (Chauvel et Lereculey, 9 tomes), « Légendes de la Table Ronde » (Le Breton, 3 tomes) ou encore « La quête du Graal » et « Le Roi Arthur » (Boulenger et Graffet, 2 tomes). Sur petit ou grand écran, citons « Excalibur » de Bormann, « Sacré Graal » des Monty Python, « Le Roi Arthur » d’Antoine Fuqua ou l’excellente série TV « Kaamelott » d’Alexandre Astier, au milieu de beaucoup d’autres...
Le Livre de Poche Fantasy vient également de rééditer “La Quête du Roi Arthur”, de T.H. White, ou encore les cinq volumes du “Cycle de Pendragon” de Stephen Lawhead (« Taliesin », « Merlin », « Arthur », « Pendragon », « Le Graal »), 2500 pages à la chronologie malmenée et à l’incursion remarquée des Atlantes dans la création du royaume d’Arthur.
Toutes variations sur une même source, la fameuse “matière de Bretagne”.

Centrer le récit sur Merlin, quasi démiurge et grand ordonnateur de la Table Ronde et de la Quête du Graal, permet d’approfondir ses rapports avec Viviane, mais également de le faire dialoguer avec son Diable de père. On sourira à les voir échouer l’un comme l’autre dans leurs projets (Merlin de produire un chevalier assez pur pour mériter le Graal, le Diable de s’emparer d’âmes assez noires pour peupler les Enfers).
Certains paragraphes, sous prétexte d’explications sur les us et coutumes de ce temps, se font un peu donneurs de leçons (oui, le souper est le repas du soir, où on mange de la soupe...). On se hérissera aussi à l’idée volontairement anachronique de nourrir un village avec des boîtes de conserve, bien que ce soit l’occasion de passages savoureux.

Au-delà d’une nouvelle mouture respectueuse de la légende telle que la plupart d’entre nous la connaisse, on trouvera dans « l’Enchanteur » un hymne à l’amour, charnel, filial ou confraternel.
Quelques coquilles : “anusé” pour “amusé” page 697, des points finaux manquent pages 718, 830 et 855, une virgule page 855 également.

La Peau de César


Unique incursion de l’auteur dans le genre policier, « La Peau de César » se déroule lors de 3 représentations du “Jules César” de Shakespeare aux Arènes de Nîmes. Une lettre anonyme prévient les commissaires Gobelin, à un week-end de la retraite, et Mary, jeune fraîchement débarqué de Paris, que le soir de la première, les conjurés tueront vraiment César. Lequel César est interprété par Faucon, un monstre sacré à la Alain Delon.
Malgré la présence de la police, le crime a bien lieu. Les mobiles de manquent pas : Faucon était un homme à femmes, mais aussi un monstre cruel gourmand de chair fraîche, filles ou garçons, collectionnant les conquêtes en public et détruisant les corps et les âmes en privé, par la drogue, le sexe ou les faux espoirs. La jalousie et la vengeance sont les motifs retenus par la police. Quel conjuré l’a frappé d’une lame acérée ? Est-ce Brutus, le dernier à frapper César ? Celui-ci, accusé par la foule lors de la seconde représentation, met fin à ses jours...
Plus qu’un soir pour démasquer l’assassin...

Ce court polar (90 pages ici, 250 dans l’édition Folio Policier d’il y a 10 ans) nous plonge dans le monde du théâtre et des faux-semblants. On craint un moment, au début de l’enquête, de s’embrouiller entre le nom des acteurs, leur nom de scène et leur rôle, d’autant qu’au fil des morts, les doublures se retrouvent sur le devant de la scène tandis que d’autres les remplacent... Bien heureusement, Barjavel restreint rapidement l’attention sur quelques-uns, et l’unité de temps et de lieu, règle de théâtre, appliquée à ce roman nous empêche de le lâcher avant la fin.
L’enquête policière est rondement menée, le commissaire Mary s’accrochant à une photo dont il ne nous dit rien mais qu’il sait être la clé de l’énigme, laissant le lecteur dans le flou pendant un bon tiers du roman. Les amateurs des meurtres impossibles de John Dickson Carr se délecteront de ce meurtre devant 20.000 spectateurs, mais trouveront l’astuce rapidement, car bien qu’ingénieuse elle n’est pas nouvelle.
Enfin, Barjavel incruste en filigrane de son histoire une critique acerbe de la société et de son voyeurisme, la mort de la star faisant plus recette que le texte de Shakespeare. Il fustige également le vampirisme exercé par le cinéma sur les acteurs, et nous laisse seul juge des réalités cachées sous la devise du théâtre : “le spectacle doit continuer”.
Un détail : page 910, “Trebonius”, l’un des conjurés, est en italique, sans que ce soit nécessaire (non vérifié dans l’édition Folio).

Les Dames à la Licorne (& Les Jours du Monde)


Roman co-écrit avec Olenka de Veer, « Les Dames à la Licorne » commence sur des airs mythologiques, avec le mariage du comte Foulques d’Anjou avec une licorne ayant pris forme humaine. Leur descendance mêlera ainsi le sang du lion (la fougue masculine) et celui de la licorne (l’indépendance, et plus tard le féminisme).
La majeure partie du roman se concentre sur la famille Greene. Sir Johnatan, puis son fils John et ses cinq filles, vivent sur l’île de St Albans, à la fin du XIXe siècle. Le grand-père a dépensé la fortune familiale pour sauver ses gens de la grande famine qui a frappé l’Irlande, et les terres des Greene se sont réduites à l’île sur laquelle il a tenu à mourir.
Et sur cette île, les cinq fillettes sont devenues des femmes. Chez certaines, le sang de la licorne est fort, et les poussera à quitter l’île, et à vivre selon leur désir. Et voilà...
Voilà, en 210 pages bien denses...
Rasoir comme la mort, ce mélange entre « Les Quatre Filles du docteur March » et « La petite Maison dans la Prairie » est toujours bien écrit, mais peine à éveiller le moindre intérêt, à part quelques anecdotes ponctuelles qui soulèvent de grands espoirs vite douchés : Barjavel introduit une histoire de Merlin qui deviendra son « Enchanteur » (publié en 1985, neuf ans plus tard), l’intendante de St Albans, gardienne de la mémoire irlandaise, évoque de nombreuses légendes, des moines de l’île au récit de Deirdre... D’autres éléments de merveilleux saupoudrent le récit, qui pourrait basculer dans le fantastique, mais non. On se borne à de bien plates amours de jeunes filles, guère captivantes pour des lecteurs avides de merveilleux.
Trois coquilles relevées : page 976 “crier le bois” (cirer), page 1044 “tous les jeudis. à Donegal” (point en trop), page 1110 “parmi ses livres ou aucune” (où).

Le tableau est aussi noirci par le côté pseudo-biographique de la chose, Olenka de Veer étant l’arrière-petite-fille d’Helen Greene, la licorne qui fera un mauvais mariage. Traumatisé par le divorce de ses parents dès son jeune âge, passionnée d’astrologie (elle a publié une vingtaine de livres sur le sujet), elle livre en annexe son arbre généalogique, qui la fait remonter aux grandes familles royales anglaises, et qui recoupe la descendance de la licorne, entre justification et recherche de filiation prestigieuse. Mouais...
Au-delà d’une affirmation de l’indépendance qu’elle désire pour elle et toutes les femmes, on a du mal à cerner le message de son roman. Peut-être parce que c’est le seul ? Bref, tout ça pour ça...

La postface de Jacques Goimard nous révèle que le roman fut adapté en feuilleton pour Antenne 2 (l’ancêtre de France 2 pour les plus jeunes), et cela finit de vous donner une idée du genre. Le roman sera suivi des « Jours du Monde » (1977), centré sur le fils d’Helen (et sûrement aussi palpitant) co-écrit avec Barjavel, puis « La Troisième Licorne » en 1985, sur sa petite-fille (et donc grand-mère d’Olenka de Veer). Un quatrième volume n’a apparemment toujours pas vu le jour.

L’édition


Les livres d’Omnibus, souples et compacts, ne sont pas dénués de qualités, et savent à merveille présenter ces nouveaux auteurs classiques de la SF comme René Barjavel.
On regrettera une couverture guère aguichante (après les dessins de Sempé des poches chez Folio) pour emballer ce mélange très hétéroclite de genres littéraires, où la SF est minoritaire.
Le titre « Romans merveilleux » définit bien mal la diversité du contenu, mais plutôt la qualité stylistique (parfaitement expliquée par Jacques Goimard dans la postface) des textes ici rassemblés. Mais c’est le lot de toute intégrale d’un auteur quelque peu touche-à-tout.
Enfin, défauts inhérents à la compacité de l’édition, mais qui font aussi son charme : le papier fin se révèle parfois transparent, et les 48 lignes de chaque feuillet semblent parfois interminables, véritables blocs de caractères noirs.
Comptez une page d’Omnibus pour deux pages d’un poche. Même en dévorant, on n’a jamais si lentement tourné les pages. Mais pas toujours pour les mêmes raisons.


Titre : Romans merveilleux (intégrale de l’auteur, tome 2)
Romans :
- Tarendol (1946, 235 pages),
- la Charrette Bleue (1980, 100 pages),
- les Chemins de Katmandou (1969, 180 pages),
- une Rose au Paradis (1981, 115 pages),
- l’Enchanteur (1984, 230 pages),
- la Peau de César (1985, 90 pages),
- les Dames à la Licorne (avec Olenka de Veer) (1974, 210 pages),
- les Jours du Monde (avec Olenka de Veer) (1977, 170 pages).
Auteur : René Barjavel
Postface : Jacques Goimard
Couverture : Atelier Didier Thimonier
Éditeur : Omnibus
Site Internet : fiche du roman
Pages : 1376
Format (en cm) : 13,2 x 19,8 x 3,6
Dépôt légal : avril 2009
ISBN : 978-2-258-07939-7
Prix : 25 €



Nicolas Soffray
26 août 2009


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