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Ennuis, c’est mon problème (Les)
Raymond Chandler
Omnibus, nouvelles, traduction de l’anglais (Etats-Unis), policier, 1152 pages, mars 2009, 29€

Nul n’est besoin de présenter Raymond Chandler. L’auteur a été popularisé par le cinéma, grâce à la caméra de Howard Hawks, Robert Atlman et bien d’autres, et des films comme « Adieu ma Jolie » ou « Le Grand Sommeil ».
Les romans dont ils sont tirés sont tous aussi connus. Mais les nouvelles, publiées au coup par coup dans divers recueils, méritaient elles aussi de revenir à la lumière. C’est chose faite avec cette intégrale.



Collector


L’ouvrage, fort bien conçu, s’ouvre sur une préface d’Alain Demouzon, qui, en quelques pages, nous brosse le portrait du parfois méconnu créateur de “Marlowe”, rappelant qu’il est venu assez tard à l’écriture, et que les présentes nouvelles correspondent à un genre bien précis, publiées dans des revues pulp en vogue à l’époque, aux codes stricts et au public ciblé. Des contraintes auxquelles Chandler se plie avant de les faire peu à peu craquer à leur tour, élevant le genre au-dessus de la littérature bas de gamme qui vaut à peine le papier sur lequel on l’imprime.

Les 25 nouvelles réunies ici s’étalent de 1933, avec « Les maîtres chanteurs ne tirent pas », premier coup d’essai (réussi) publié par Black Mask, à 1959, plus une publication posthume de 1976.

Le recueil se clôt sur un article de l’auteur, essai sur le policier paru en 1944 et intitulé « Simple comme le crime », où celui-ci tire à boulets rouges sur les auteurs de son temps et leurs prédécesseurs, accusant les Anglais comme ses compatriotes de ne pas savoir ficeler une intrigue avec la cohérence de la logique et le réalisme du quotidien, et de se moquer de l’intelligence de leurs lecteurs sous prétexte de les distraire. Seul Dashiell Hammet, l’auteur du « Faucon Maltais », trouve grâce à ses yeux.

Recette d’un bon polar


Il est vrai que la méthode Chandler est parfois déroutante, d’autant plus dans ses nouvelles. Il faut se rappeler qu’elles sont au départ destinées à un public avide d’action, et peu regardant sur la qualité de l’intrigue. Aussi, de l’action il y a, à foison, mais l’auteur se refuse à livrer des histoires incohérentes ou abracadabrantes. Si le lecteur n’est pas à même d’assembler les pièces du puzzle comme dans les “problèmes de logique et de déduction” caractéristiques des romans anglais (citons pour la forme Agatha Christie, J.D. Carr et même A. Conan Doyle à qui Chandler reproche un manque de rigueur scientifique et documentaire), le scénario doit être cohérent, possible.

Car c’est là la grande force des textes de Raymond Chandler : tout pourrait être réel. Jamais le lecteur n’est pris pour un imbécile, jamais un personnage n’a une réaction totalement incongrue qui cause sa perte ou sauve la vie du héros. Les flics sont parfois bornés, mais pour une bonne raison, pas aveuglément ou dans le seul but de permettre au détective, au “privé”, de briller. Les méchants sont cruels ou honorables, lâches ou courageux, somme toute humains. Chandler peint le quotidien, dur, réel, violent, il ne fait pas (ou si peu) dans la fiction.

Littérature & cinéma


Le style de Chandler, taillé pour les revues pulp, semblait augurer de l’attrait qu’il exercera sur les studios d’Hollywood. Vif, sans fioritures, il va à l’essentiel. Un homme entre, il est décrit, le lecteur l’a sous les yeux comme s’il était projeté sur la toile blanche de l’écran et non du papier. Sans briser le rythme de l’action (car bien souvent un flingue sous une aisselle ou dans une main vient casser le portrait brut), l’auteur fournit de quoi s’approprier le récit, se figurer chaque détail important. Et livre clés en main ses textes, quasi des scripts, au cinéma.

C’est pour cette raison que ces nouvelles, dépouillées du superflu mais riches d’un décor réaliste, témoins de leur époque post-Prohibition, solidement ficelées et respectueuses de l’intelligence de leurs lecteurs, remplaceront idéalement le visionnage de séries policières américaines d’aujourd’hui, entre « les Experts » et les multiples « New York… » de Dick Wolf. Car si ces dernières sont de qualité, les textes de Chandler apparaissent clairement comme leur ancêtre fondateur, prouvent qu’on n’a rien inventé dans le policier depuis… sa création, comme l’auteur le souligne dans son essai : seules la rigueur et des qualités d’écriture peuvent apporter un plus à ce genre littéraire. L’un sans l’autre ne vaut rien.

Aussi, pour votre propre culture, et si comme moi vous rêvez d’une série qui reprendrait les qualités visuelles et scénaristiques de « L.A. Confidential » (roman de James Ellroy et magnifique film de Curtis Hanson, 1997), plongez-vous dans « Les ennuis, c’est mon problème ». Une série en 25 épisodes, deux chaque soir, plus si vous avez envie, pour pas plus cher d’un coffret DVD.

Côté matériel, bien peu de mal à dire. On a parfois (mais très rarement) l’impression qu’il manque une préposition ou un petit mot de ce genre, et la justification du texte ne parvient pas à dissimuler quelques doubles espaces. Bref rien de bien honteux, en regard de l’énorme travail accompli sur ce millier de pages.


Titre : Les ennuis, c’est mon problème (l’intégrale des nouvelles) suivi de « Simple comme le crime », essai sur le roman policier, par Raymond Chandler
Auteur : Raymond Chandler
Préface : Alain Demouzon
Postface : Jacques Baudou, « Raymond Chandler et Philip Marlowe au cinéma, à la télévision et à la radio »
Traduction : (collective) (revue)
Couverture : Atelier Didier Thimonier / © Hélène Crochemore
Editeur : Omnibus
Site Internet : fiche du roman
Pages : 1152
Format (en cm) : 19,8 x 13,2 x 3,1
Dépôt légal : mars 2009
ISBN : 978-2-258-07982-3
Prix : 29 €



Nicolas Soffray
4 mai 2009


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