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Ange Distrait (Un)
Jean-Pierre Richard
LGF, Le Livre de Poche, roman (France), fantastique - société, 251 pages, Février 2009, 6 €

En emménageant dans la maison de son grand-père disparu, Laurent Castejac ne s’imagine pas l’embrouille dont il va être victime : après quelques mois dans la vieille demeure, ses deux enfants, Jérémie et Chloé, semblent possédés par les esprits de leur aïeux, Alexandre et Marthe, héritant de leurs souvenirs.
Tout cela à cause d’un ange stagiaire, qui débarque peu après, déguisé(e) en vendeuse d’encyclopédies, pour tenter de réparer sa gaffe. Mais maladroite un jour…

L’occasion pour Alexandre, dans le corps de Jérémie, de faire connaissance avec son petit-fils (qui est aussi son père), et de lui parler de sa vie, de ses erreurs, de ses amours…



Ça commence sur des chapeaux de roues, dans un style des plus truculents. Un premier chapitre pour expliquer comment un petit village viticole voisinant une forteresse de Vauban devient le bastion du mariage gay, pour le meilleur et pour le pire, une phrase sur deux nous élargissant un sourire bien agréable, l’autre se faisant l’écho d’une réalité quotidienne. On se dit qu’entre le calendrier des “Dieux du Stade” et la rébellion de Noël Mamère, tout cela aurait pu arriver.

Un second chapitre vient jeter un peu de vitriol sur les bobos parisiens (quoique, pas que, y’en a ailleurs), avides de nature et de causes bio à défendre, prêts à changer de mode de vie (plus ou moins radicalement), et nous fait penser que tous, nous connaissons des gens comme Isabelle, la femme de Laurent qui, parce que son gamin s’est trouvé à cent mètres d’une agression dans la rue, prend soudain conscience de tous les défauts de la capitale et décide arbitrairement d’aller retrouver les racines de la famille loin de toute cette violence assombrie de pollution. Là encore, on ne peut s’empêcher d’approuver, comme un bon coup de pied aux fesses à tous les adeptes du “J’achète du café équitable, mais je le bois dans un gobelet en plastique” ou encore “la nature ça me concerne, c’est pour ça que pour aller chercher le pain, j’ai acheté le 4x4 le moins polluant”.

Bref, passés les 2 premiers chapitres, on sent que ça ne va pas être mal, un récit qui va égratigner tous les biens pensants typiques de notre quotidien, d’autant que le sujet s’y prête : deux personnalités qui ont traversé le XXe siècle se retrouvent 99 ans plus jeunes, et fort de leurs souvenirs, vont nous asséner à tour de bras des “c’était mieux avant” et autres “de mon temps…” . C’était prêcher un converti, même si à toute chose il faut une nuance, dans le roman ce sera la meilleure “acclimatation” de Marthe-Chloé au XXIe siècle qui contrebalancera un peu les envolées de son frère. Un peu, car elle sera vite écartée du récit principal, centré sur Alexandre.

Et c’est là que cela pèche. Si on s’amuse beaucoup au début, avec ce clash entre deux époques, qui pointe les futilités de notre vie d’aujourd’hui, et surtout celle des ados, coincés entre télé, Internet, portables, consoles et lecteurs MP3, bref le summum de la vacuité intellectuelle pratiquée en continu (ah, non, de temps en temps, ils vont à l’école…), la suite dévie. On sombre lentement dans la nostalgie, tandis qu’Alexandre, après s’être plaint de ce qu’est devenu son fils (un vieux beau, motard et dragueur de coiffeuses), raconte son histoire à son petit-fils, Laurent.

Mais où nous v’là partis ?

Au milieu du roman, en guise d’élément charnière du récit (c’est-à-dire un raccord plus ou moins logique entre ce qu’on a déjà lu et ce qui va suivre), citons un passage représentatif de la démarche “critique” de l’auteur : Alexandre interpellant son prof d’Histoire, dont le cours sur la 2e Guerre Mondiale mettait en lumière la Résistance et oubliait un peu les collabos et le marché noir. Bémol là-dessus : la scène ne cadre pas avec les programmes scolaires, puisqu’à 13 ans, on est en 6e ou 5e, et le programme c’est l’Antiquité et le Moyen-âge, justement pour aborder 39-45 en 3e, quand les enfants ont la maturité de saisir les nuances du conflits et l’attitude de chacun… Mais bon, ça arrange l’auteur, en restant dans l’optique que non seulement les jeunes n’ont ni culture ni sens critique, mais qu’en plus ceux qui devraient y remédier ne font qu’empirer les choses…
Suit alors une retrouvaille avec son cousin, bien plus âgé, et on retombe dans le flot des souvenirs, cette fois du premier amour d’Alexandre : Marie. Qu’il perd à cause de la Première Guerre, qu’il retrouve ensuite, et qui s’enfuira avec le cousin.
Et là, allez savoir pourquoi, on a droit sur une bonne cinquantaine de pages (environ de la 160e à la 210e) au récit de cette fuite en Amérique du Sud, qui sert bien peu le récit (voire, disons-le franchement, pas du tout), tout cela pour que finalement Alexandre soit en paix avec sa conscience.

Cela nous permet de pirouetter jusqu’à la conclusion. Quelques passages au fil des chapitres nous auront permis de goûter au désarroi de Laurent, incapable d’avouer la vérité à sa femme, qui plane entre la protection des loups et les ateliers poterie, ainsi qu’aux mésaventures de l’ange, soupçonnée par la gendarmerie de tentative d’enlèvement de mineurs, voire de pédophilie (l’arrestation est un autre des passages truculents qui font garder espoir à mesure qu’on avale plus ou moins facilement les chapitres). Quelques touches humoristiques finales font passer la pilule d’une fin un peu bâclée où tout s’arrange (paraît-il que l’Histoire est semée de coïncidences bien pratiques).

Dommage

Au final, un roman en grande partie très agréable à lire, portrait à l’acide un peu dilué qui ironise sur le quotidien comme tout un chacun pourrait le faire à la machine à café, surfant sur la vague bio et l’hypocrisie qui se cache bien souvent derrière. On aurait attendu plus, peut-être une utopie paysanne du 3e millénaire avec la communauté gay et les labels AOC des vignes centenaires… Ou au moins un approfondissement de l’opposition entre cet ancêtre dans le corps d’un enfant et cette société dans laquelle il est contraint de vivre. On aurait voulu quelque chose de constructif.
Au lieu de cela, l’élément fantastique n’est que prétexte à la nostalgie, et le récit s’égare… Malgré de bons moments, et des passages qui redonnent le sourire et le moral dans le climat de sinistrose actuel, on reste sur sa faim.
A conseiller aux quadras, quinquas et plus qui lisent des romans de terroirs ?

Si vous aimez critiquer la mode du retour aux “vraies valeurs”, lisez plutôt « Le Retour à la Terre » de Manu Larcenet et Jean-Yves Ferri (5 tomes parus chez Dargaud, collection Poisson-Pilote).
Pour une projection futuriste bien plus sérieuse, je vous conseille l’excellent « Pianiste Déchaîné » de Kurt Vonnegut Jr, initialement paru chez Pocket et que Terre de Brume vient de rééditer (voir ici).


Titre : Un Ange Distrait
Auteur : Jean-Pierre Richard
Couverture : Stéphanie Roujol (photographies : Randy Faris/Corbis, IPS/Photononstop)
Editeur : LGF
Collection : Le Livre de Poche
Numéro : 31181
Pages : 251
Format (en cm) : 18 x 11 (poche)
Dépôt légal : Février 2009
ISBN : 978-2-253-12412-2
Prix : 6 €



Nicolas Soffray
14 mars 2009


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