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Que Notre Règne Arrive
James Graham Ballard
Gallimard, Folio, n°4808, roman (G-B), traduction de l’anglais, critique sociale - anticipation, 476 pages, octobre 2008, 7,60€


Où James Graham Ballard explore les turpitudes de la société de consommation à travers le parcours chaotique d’un fils, enfant de la pub, à la recherche du meurtrier de son père.

Mais ce qui ne semblait être que le coup de folie d’un dérangé notoire dans un centre commercial hyper moderne va s’avérer un rien plus complexe... et inquiétant.



Alors que l’homme se bat depuis de nombreuses années (2006) contre un cancer de la prostate, l’écrivain distille depuis toujours des récits d’une grande dureté envers l’humanité. À la limite de la misanthropie, tout n’est souvent que folie, déclin et brutalité de l’espèce humaine. Nulle trace d’optimisme en ce bas monde...
Visiblement marqué au fer rouge par une enfance dramatique (le petit garçon de « L’Empire du Soleil », c’est J.G. Ballard), il est un des rares auteurs phares de la SF contemporaine à avoir obtenu une reconnaissance mainstream via des romans dits « sérieux » comme « Super-Cannes » ou « Millenium People » et surtout l’adaptation de son « Crash » par David Cronenberg (un mariage réussi, assez unique, entre l’œuvre d’un romancier et les obsessions cinématographiques d’un grand réalisateur).

« Que Notre Règne Arrive » ne déroge pas aux grandes règles ballardiennes. Le héros, Richard Pearson, la quarantaine bien entamée, professionnellement trahi par sa femme (et donc au chômage et divorcé !), débarque dans un coin apparemment sans histoire de la grande banlieue londonienne, à Brooklands, anciennement petite bourgade bien tranquille, devenue depuis quelque temps le temple du consumérisme.
C’est que son père, retraité de l’aviation civile, vient d’y être « accidentellement » assassiné avec deux autres inconnus dans un supermarché gigantesque où les foules aiment à se presser...

Découpé en trois parties par l’auteur, le roman en possède plutôt deux. La première, assez longuette, peine à démarrer et demande une certaine obstination du lecteur. L’intérêt principal de ce début de roman, assez laborieux, se situe entre la découverte de quelques phrases chocs (« Les banlieues rêvent de violence », premiers mots du récit) et la mise en place du panorama apocalyptique qui est appelé à surgir plus tard.
Étrangement, cette phase exploratoire est assez éclatée. Jamais on n’arrivera à visualiser clairement les lieux, volontairement perdus que nous sommes par l’écrivain entre des bouts d’autoroutes et des avenues sans nom. Tout cela pour mieux nous traîner à la seule chose qui vaille à Brooklands : le Metro-Centre !
Un centre commercial gigantesque dont le dôme central semble juste être là pour susciter l’image du futur accouchement d’un rejeton indigne, fils de l’hyper consommation d’une époque qui vit par ce qu’elle achète.
Évidemment, c’est en approchant de la page 263 (début de la seconde partie) qu’on ne lâche pas l’affaire.

Là où tout s’emballe !


Richard Pearson qui naviguait à vue dans un monde qu’il ne connaissait pas et ne comprenait pas, devient le conseiller en communication du présentateur vedette des chaînes câblées des lieux. Les différents personnages (un proviseur, un psy, un commissaire, un avocat, un médecin, etc,.), forcément emblématiques, prennent une vraie importance dans le scénario. La critique de la société, plutôt prévisible et convenue depuis un bon moment, est enfin acerbe, mordante, visionnaire et originale.
Ce qui n’était jusque-là qu’un effet de dénonciation prend de la hauteur et la folie qui s’empare du roman le fait changer de statut.
Pas que les théories de Ballard soient vraiment d’une grande originalité (la consommation et le sport comme outils de la décérébration fasciste à visées racistes du bon peuple), mais la sauce prend enfin.
« Que Notre Règne Arrive » va alors crescendo pour se terminer dans un accès de convulsions révolutionnaires brutal et messianique.
Le final, paroxystique à souhait (l’occupation violente du Metro-Centre), justifie ainsi tout ce qui a précédé.
Certes, Ballard y range en vrac toutes ses obsessions, dans ce qui semble quand même être un effet du désordre de l’écrivain, mais le dérapage en règle de tous les éléments du récit est marquant -et en devient presque jouissif. Du maelström naît une création tangible, qui nous parle enfin.
Lorsque le petit trot narratif à la rythmique millimétrée se transforme en galop furieux, la sensation de lire une prose qui compte s’est installée et perdure.

Ballard a toujours cultivé cet art du déséquilibre, entre normalité philosophique et la folie patente, « Que Notre Règne Arrive » retranscrit parfaitement cette dichotomie.
Il est juste un peu dommage qu’il faille en passer par deux cents pages dispensables avant de toucher du doigt la grandeur de l’écrivain.


Titre : Que Notre Règne Arrive (Kingdom Come, 2006)
Auteur : James Graham Ballard
Traduction : Michelle Charrier
Couverture : photo © Denis Darzacq/Agence Vu (détail)
Éditeur : Gallimard
Collection : Folio
Numéro : 4808
Catégorie : F9
Première édition France : Denoël, coll. Denoël et d’ailleurs (2007)
Site Internet : page roman, autres œuvres du même auteur disponibles chez le même éditeur (tous site éditeur)
Pages : 476
Format (en cm) : 10,8 x 2 x 17,8 (poche, broché)
Dépôt légal : octobre 2008
EAN : 9 782070 359448
ISBN : 978-2-07-035944-8
Prix : 7,60€



Stéphane Pons
24 février 2009


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Gallimard, Folio 4808, format poche.



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La première édition : moyen format (Denoël, 2007).



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